A-Infos (fr) Sarkozy et les 35 heures

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Nicolas Sarkozy est un être remarquable et drôle, voire remarquablement
drôle. Voilà c'est dit. Et du coup, vous vous dîtes : « Ca y est,
Noire-Atlantique tourne avec le vent, caresse le parti de l'Ordre dans le
sens de la pelisse. Révolutionnaire à 20 ans, réactionnaire à 40 ! ».
Non, rassurez-vous, je n'ai pas encore rendu les armes de la critique.
Si Nicolas Sarkozy, alias le Kid de Neuilly, est remarquable, c'est qu'il
est tout simplement impossible de ne pas le voir ! Même en vacances, il
travaille ! Si Nicolas Sarkozy, alias le petit félon du 9.2, est drôle,
ce n'est pas forcément parce qu'il prête à rire, mais parce que c'est «
un drôle », soit, selon mon vieux dictionnaire édition 1984, « une
personne peu scrupuleuse qui n'inspire pas confiance ».
À la mi-juillet dernier, alors qu'une masse compacte de toxicomanes
sponsorisés attaquaient les cols pyrénéens à bicyclette, l'ex-premier
flic de France recevait sous les lambris républicains une troïka de
journalistes du journal Le Monde, histoire de peaufiner son image de
futur chef de la droite présidentiable. Et l'image, dans un Monde qui en
regorge et s'en repaît, c'est essentiel !
À la posture de l'idéologue, Nicolas Sarkozy préfère celle du pragmatique
: « j'essaie d'exprimer mes idées sans tabou, sans a priori idéologique,
avec la seule préoccupation de trouver la bonne solution et la meilleure
méthode. » Les premières questions ayant trait aux 35 heures et au
rapport entre le Capital et le Travail, nous avons pu ainsi mesurer à
quel point notre Nicolas s'était émancipé de l'héritage libéral du xixe
siècle.
J'ai retenu de son intervention sa principale proposition : le libre
choix, c'est-à-dire la permission accordée à ceux qui le veulent de
travailler plus pour gagner davantage : « au début de chaque année,
dit-il, chaque salarié pourrait faire acte de volontariat dans son
entreprise, en choisissant d'être candidat pour faire des heures
supplémentaires ou de rester à 35 heures. »
Ainsi donc, dans la pensée « absolument pas idéologique » de Nicolas
Sarkozy, il n'y a que des individus libres et autonomes. Des individus
qui passent contrat : le premier « propose » du travail, le second «
offre » sa force de travail et définirait lui-même son temps
d'exploitation ; les deux ¦uvrant de concert, certainement pour le Bien
commun : « vivre sa vie au rythme où on l'entend, ajoute-t-il, gagner sa
vie en fonction de ses efforts, c'est une société plus souple, mieux
adaptée aux aspirations de notre temps. Cette « société du libre choix »
pourrait devenir une référence, par opposition au nivellement, à
l'égalitarisme, à la rigidité de la majorité précédente. »
Sous un habillage moderne, cool, pragmatique, Nicolas Sarkozy est un
libéral accroché à cette fiction de l'individu libre et autonome, de cet
Homme abstrait fustigé par Marx en son temps. Cet Homme-là n'existe pas.
Et il existe encore moins dans le rapport salarial. En régime
capitaliste, le contrat de travail est un contrat de subordination signé
entre deux personnes aux pouvoirs inégaux, le patron et l'employé. Le
premier décide, le second obtempère, se bat, lutte ou courbe l'échine. Si
le second refuse de faire des heures supplémentaires que le premier lui
demande, que se passera-t-il ? Nicolas Sarkozy pense-t-il réellement que
le patron acceptera cela, à l'heure où dans les boîtes, on réclame des
subalternes « implication », « don de soi » et « adhésion » aux valeurs
de l'entreprise ?
Non, il ne l'acceptera pas et saura trouver suffisamment de carottes et
de bâton dans son sac managérial pour remettre le « libre choix de
l'individu libre et autonome » à sa juste place : celle du
piège-couillon. Plus encore : en donnant au salarié le choix de faire ou
non des heures supplémentaires, Nicolas Sarkozy va plus loin. Tout au
long du xixe siècle, le prolétariat s'est battu pour faire reconnaître sa
force collective, pour se faire reconnaître en tant que « classe » ; tout
au long du xixe siècle, patrons et juristes se sont battus pour que cela
n'apparaisse pas dans le droit. Et il en fallût des luttes pour que les
syndicats soient reconnus, pour obtenir que la grève ne soit plus une
rupture du contrat de travail (menant donc les grévistes au chômage) mais
une suspension de celui-ci ; il en fallût des combats pour qu'émergent
des conventions collectives !
Le pragmatisme du nouveau chef de l'UMP suinte le vieux libéralisme par
tous les pores. Sa « société du libre-choix », c'est une société de
classes sans lutte de classes, une société dans laquelle la bourgeoisie
ne trouverait plus en face d'elle une classe ouvrière organisée mais des
individus « atomisés », « isolés » et sans défense, des individus qu'on
peut pressurer à volonté au nom de leur liberté individuelle. En clair,
un vieux rêve libéral !
patsy

Texte extrait de Noire-Atlantique # 5
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