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(fr) Genre et développement (1)

From Worker <a-infos-fr@ainfos.ca>
Date Sat, 10 May 2003 21:46:02 +0200 (CEST)


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"Genre et développement" : une analyse critique des politiques des
institutions internationales depuis la Conférence de Pékin

Jules Falquet

[1re partie ]


Depuis la chute du mur de Berlin et l'avènement du "monde
unipolaire", les institutions de Bretton Woods - la Banque Mondiale, le
FMI, mais aussi l'ONU et ses multiples satellites - jouent un rôle
croissant dansla mise en place d'un nouvel ordre économique mondial, derrière
l'étendard officiel du "développement" et, plus récemment, de la "lutte
contre la pauvreté". Dans un travail précédent, j'ai tenté de montrer, en
suivant l'analyse d'une partie des féministes latino - américaines et
caribéennes, que ces institutions présidaient à la réorganisation
néolibérale du système mondial de production et de répartition des
richesses, au détriment des femmes - principalement du Sud - , tout en se
légitimant paradoxalement grâce à la participation d'un certain nombre de
femmes et de féministes à ce projet (Falquet, à paraître).

Je souhaite ici approfondir cette analyse sur le point précis des
"nouveaux" paradigmes sur le "genre et développement" qui s'affirment
depuis la Conférence mondiale de Pékin sur "la Femme" de 1995, relayée
par celle de Johannesburg sur "le développement durable" en 2002, toutes
deux organisées par l'ONU et appuyées par le système des institutions de
Bretton Woods. Certes, sous la pression d'une partie du mouvement
féministe, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ces institutions, des
"avancées" ont été obtenues. En effet, la mise en évidence d'une
"féminisation de la pauvreté" a motivé un ensemble de projets visant à
l'empowerment des femmes - du Sud tout particulièrement - , notamment par
le biais d'une vaste campagne d'attribution de "micro - crédits" et leur
"inclusion" dans les politiques publiques et internationales par le biais
du mainstreaming. Des stratégies "participatives", destinées notamment à
inclure les femmes, ont été mises en place afin de lutter contre la
corruption et la pauvreté et d'atteindre une "bonne gouvernance".
Cependant, après plusieurs années de mise en application de ces nouvelles
stratégies, force est de constater que la situation matérielle des femmes
- et de beaucoup d'hommes - dans le monde a empiré, et que les rapports
sociaux de sexe n'ont pas évolué vers une plus grande égalité sur la
majeure partie du globe.

On peut toujours penser que le temps a manqué ou que les
circonstances ont été défavorables, cependant je ferai ici l'hypothèse que
ce sont plutôt les limites intrinsèques de ces "nouveaux paradigmes" qui
n'ont pas permis une réelle transformation, et moins encore une réelleamélioration, de la situation des femmes. Pour ce faire, j'analyserai
d'abord les origines et les fondements idéologiques du mainstreaming, de
l'empowerment et des "micro - crédits" pour les femmes. Dans un deuxième
temps, je présenterai un certain nombre d'indicateurs du développement,
en soulignant certaines avancées dans la prise en compte du "genre" mais
aussi les lacunes persistantes en ce domaine. Enfin, j'aborderai les
implications de la lutte contre la pauvreté et la corruption, cheval de
bataille de la Banque mondiale, et notamment les effets de la
"participation" de la "société civile" au "développement".



** Origines et logiques de l'empowerment, du mainstreaming et des micro -
crédits pour les femmes


Bien qu'ayant des origines plus anciennes, les concepts
d'empowerment, de mainstreaming et la vague du "micro - crédit" pour les
femmes ont connu leur véritable consécration en 1995, lors de la
Conférence de Pékin sur "La Femme", organisée par l'ONU. Les résultats de
cette Conférence et l'adoption de ces "paradigmes" ont été largement
célébrés à la fois comme une victoire du mouvement féministe et comme une
avancée considérable pour les femmes. Cependant, dans les deux cas, la
réalité est plus complexe.
En effet, pour ce qui est du mouvement féministe, il ne s'agissait
nullement de sa rencontre. Au contraire, les évènements étaient
entièrement chapeautés par l'ONU, une institution très largement dirigée
par des hommes qu'on ne saurait suspecter d'appartenir au mouvement
féministe. Elle s'inscrivait dans un cycle d'événements internationaux
décennaux organisés par l'ONU sur le thème des femmes. Or, dès la
Conférence de México en 1975, certaines féministes avaient déjà dénoncé
ce qu'elles percevaient comme une tentative de récupération de leur
mouvement. Elles avaient alors organisé un forum des ONGs en dehors des
événements officiels pour faire entendre leur propre voix. En 1995 en
revanche, l'ONU était organisatrice, non seulement de la partie
officielle - gouvernementale de la Conférence, mais aussi du Forum des
ONGs.

On ne saurait donc classer "Pékin" parmi les actions propres du
mouvement féministe. Quid de ses résultats? Certainement, de nombreuses
féministes s'y sont battues pour faire entendre leurs propositions. De
fait, l'ONU avait organisé la conférence comme l'aboutissement d'un
processus"participatif", fomentant des rapprochements préalables entre des
féministes, des ONGs de femmes, des ONGs mixtes et les instances
gouvernementales ad - hoc dans chaque pays. Cependant, il semble que
beaucoup des féministes présentes à Pékin ne possédaient guère de
"mandat" collectif de leur mouvement, mais bien plutôt celui de leurs
ONGs et réseaux . Dans certains pays, même, les thèmes de la Conférence
et les mécanismes de "participation" avaient été critiqués pour leur
décalage par rapport aux problématiques concrètes des femmes et aux
priorités du mouvement féministe local (Más allá de Beijín, 1994).
C'était le cas notamment en Amérique Latine, où depuis la VI ème
rencontre féministe continentale de 1993 au Salvador, un courant
"autonome" dénonçait notamment la main - mise sur la préparation du Forum
des ONGs de l'Agence interaméricaine de développement (AID ), agence de
coopération du gouvernement nord - américain, historiquement stigmatisée
dans la région pour son rôle anti - insurrectionnel et son implication
dans les campagnes de stérilisation massive de femmes (Falquet, 1997 et à
paraître).

Examinons maintenant, pour les femmes, les résultats de Pékin :
empowerment, mainstreaming et micro - crédits.


Empowerment : de quel pouvoir parle - t - on?

La déclaration de Pékin, dans son épigraphe 13, présente
l'empowerment des femmes comme une stratégie - clé du développement :
"L'empowerment des femmes et leur pleine participation dans des conditions
d'égalité dans toutes les sphères de la société, incluant la participation
aux processus de décision et l'accès au pouvoir, sont fondamentaux pourl'obtention de l'égalité, du développement et de la paix". Cependant, ce
terme d'empowerment (prendre/recevoir/gagner du pouvoir) est utilisé d'une
manière si large qu'il perd souvent tout sens. Il n'existe d'ailleurs pas
véritablement de consensus clair autour de sa signification.

On peut trouver les premières références à l'empowerment dans le
radicalisme Noir nord - américain des années soixante et dans le travail
communautaire de "conscientisation" inspiré notamment par Paolo Freire au
Brésil puis dans de nombreux pays du Sud. Dans la foulée du "féminisme
des secteurs populaires" des années quatre - vingt, la notion
d'empoderamiento a été reprise par "glissement" par un certain nombre
d'ONGs et de réseaux latino - américains et caribéens. Selon une autre
exposante de l'empowerment, Naila Kabeer, celui - ci reflète la capacité
et la volonté des exclu - e - s de définir "depuis la base" les priorités
dudéveloppement (Kabeer, 1994). L'empowerment constituerait même un apport
significatif des "féministes du Sud" (Moser, 1989). Le réseau DAWN en
serait un exemple particulièrement significatif (Madrigal & al., 2000).
Cependant, pour nuancer ce caractère spécifiquement féministe et du Sud,
il faut remarquer que le projet de DAWN a été conçu à Bangalore, en août
1984, et qu' "une série de débats a eu lieu au Forum des ONGs de la
Conférence de l'ONU pour la décennie des femmes (Nairobi, juillet 1985).
[...] Le financement a été assuré par la Fondation Ford. Un lieu de
travail et une infrastructure ont été partiellement offerts par le
Conseil de la population [institution ONUsienne]" (DAWN, 1992). C'est
dire que malgré tout, les institutions internationales et les fondations
"donnantes" ne sont pas tout à fait étrangères à la création de ce
réseau.

Dans son acception actuelle, l'empowerment prend à rebrousse - poil les
analyses qui présentent les femmes en situation de "non - pouvoir" -
jugées trop statiques et victimistes - , pour focaliser l'attention sur
des luttes de résistance, de subversion et de transformation progressive
de cette situation. Concrètement, l'empowerment des femmes devrait avoir
lieu grâce à un meilleur contrôle qu'obtiendraient les femmes sur les
ressources matérielles et non - matérielles, tout en élevant leur "estime
d'elles - mêmes" (Moser, 1989). Le pouvoir que ces femmes gagneraient
serait un pouvoir "différent", plus un "pouvoir - capacité". On voit donc
clairement les deux principaux obstacles aux quels cette démarche se
heurte : d'abord l'idée de pouvoir sur laquelle elle repose, ensuite plus
prosaïquement la question des ressources matérielles.

En effet, la notion d'empowerment balaie la notion wéberienne du pouvoir
comme "jeu à somme nulle" pour la perspective de "jeu à somme positive"
plus chère à Foucault (López Méndez, 2000). Cette influence croissante du
post - modernisme sur certaines féministes se combine à un fond de
naturalisme idéaliste qui veut que les femmes ne puissent faire qu'un
"bon usage" (féminin) du pouvoir (féminin). Personne ne semble plus
penser que des femmes pourraient chercher à inverser radicalement les
termes du patriarcat en une stricte domination des femmes sur les hommes,
encore moins que d'autres femmes puissent vouloir détruire purement et
simplement le contrat patriarcal. Du côté matériel ensuite, il semble
difficile que les femmes réussissent à obtenir une "plus grande part" des
ressources et des richesses "toutes choses égales par ailleurs". Les
fortes résistances que de nombreux hommes montrent en la matière en sont
le meilleur indice.

C'est pourquoi l'empowerment tel qu'il est préconisé ressemble moins
à une prise de pouvoir collective par les femmes - Wendy James montre que
cette notion est de plus en plus présentée comme obsolète (James, 1999) -
qu'à un octroi, d'en haut, de certaines parcelles de pouvoir. Pour s'en
convaincre, il suffit de voir comment le mesure le PNUD - une institution
marraine de l'empowerment. En effet, son Indice de "potentiation du
genre" (IPG), mesure deux et seulement deux données, particulièrement
contestables : la proportion de femmes parlementaires et la proportion de
femmes "professionnelles" et techniciennes. La première réduit
précisément le pouvoir à sa plus "simple" expression, qu'il légitime en
écartant toute mesure de pouvoirs plus quotidiens ou situés dans d'autres
sphères (syndicat, associations, foyer...). La deuxième présente encore
plus de défauts. D'abord, elle néglige complètement les différences de
salaires et de statut qui existent entre femmes et hommes, même dans
d'équivalentes professions "prestigieuses". Ensuite, elle postule que
l'obtention d'un meilleur revenu est suffisante pour obtenir plus de
pouvoir. Enfin, elle mesure des avancées purement individuelles.

Le caractère très individualiste de la stratégie de l'empowerment
telle qu'elle est majoritairement pratiquée à l'heure actuelle prête
également le flanc à la critique. Sans entrer dans les détails, que nous
avons abordés à travers l'exemple du Salvador (Falquet, 1997), signalonsqu'elle repose généralement sur une notion d'autonomie individualiste qui
pose problème. En effet, on est loin désormais des "groupes de prise de
conscience" du mouvement féministe, qui allaient dans le sens d'une
analyse collective de l'oppression et de l'exploitation des femmes.
L'autonomie est désormais présentée comme le résultat d'une dynamique
psychologique liant identité et pouvoir dans un travail
d'individualisation et d'élévation de "l'estime de soi".

Ainsi, même s'il peut être "tiré" dans des sens plus ou moins
transformateurs, l'empowerment des femmes tel qu'il est préconisé depuis
Pékin semble plutôt s'orienter vers des stratégies individualistes de la
part des femmes, et top - down de la part des institutions
internationales, qui n'envisagent par de perdre le contrôle in fine de
cette dynamique (Madrigal & al., 2000).


Mainstreaming


La notion de mainstreaming, qui signifie "intégration au courant
principal" du développement, semble moins problématique. En effet, bien
souvent les projets de développement concernant les femmes ont été
ponctuels, marginaux, de taille extrêmement modeste, en comparaison des
grands projets "généraux" dans lesquels les besoins et les intérêts des
femmes n'étaient jamais pris en compte et qui, par voie de conséquence,
pouvaient même leur être tout à fait défavorables. Un cas d'école est
constitué par les projets d'agriculture "moderne" et éventuellement
irriguée pour l'exportation, destinés à fournir de meilleurs revenus
monétaires aux familles. Dans les faits, ces projets sont réalisé presque
exclusivement par des hommes et pour leur propre bénéfice, en rognant sur
les terres cultivées par les femmes et en utilisant l'eau dont elles ont
besoin. Aux femmes, on propose ensuite... un micro - projet de potager
pour nourrir les enfants de l'école. Face à de tels projets de
"développement" presque caricaturaux, l'idée du mainstreaming semble on
ne peut plus raisonnable. Il s'agit tout simplement d'introduire une
perspective de genre dans l'ensemble des projets de développement, c'est
- à - dire de prévoir ce que chaque projet apporte aux femmes et aux
hommes, pour faire en sorte que le projet ne bénéficie pas aux uns au
détriment des autres mais qu'au contraire il permette une plus grande
justice dans les rapports sociaux entre femmes et hommes.

Pour être efficace, le mainstreaming doit intervenir à toutes les étapes
des projets, depuis leur conception jusqu'à leur évaluation, en passant
bien entendu par leur réalisation. Pour cela, il est nécessaire que des
femmes/personnes formées à la perspective de genre participent à
l'ensemble du processus, aussi bien dans les agences financières que dans
les ONGs et bien entendu sur le terrain. Cela suppose que les femmes
destinataires des projets soient désireuses/en mesure de formuler leurs
besoins, leurs stratégies et leurs critiques dans le langage légitime des
"agences". Cela suppose également que les hommes se prêtent à l'exercice,
à toutes les étapes. Si le mainstreaming était appliqué pleinement,
beaucoup de choses devraient être remise en cause. Par exemple, les
agences de coopération devraient réorienter profondément leurs budgets,
les agences, les ONGs intermédiaires et les "bénéficiaires" devraient non
seulement inclure des femmes dans toutes leurs structures mais accorder
une réelle attention à leurs propositions ou à leurs exigences. Par
ailleurs, pour planifier puis évaluer les projets, il faudrait disposer
de méthodologies et d'outils "sensibles au genre", qui sont encore
souvent au stade d'ébauche - comme on le verra plus bas. Du côté des pays
"donnants", une étude menée par l'Association Femmes et développement sur
l'inclusion de la perspective de genre dans la coopération au
développement, pour quatre pays européens, montre que l'on est encore
très loin d'une réelle application de la plateforme de Pékin dans ce
sens, en France notamment (AFED, 2000).

En dehors des difficultés pratiques qui se posent pour mettre en
application le mainstreaming, il faut soulever deux critiques plus
profondes. La première est que le mainstreaming risque fort de faire
disparaître les projets spécifiquement destinés aux femmes, que l'on peut
comparer aux mesures d' "action affirmative" prises en faveur de toutes
sortes de groupes "minoritaires" ou opprimés. A moins de pouvoir prouver
que les inégalités ont disparu, ou mieux encore, que les causes de ces
inégalités ont été supprimées, il est très prématuré de suspendre de
telles mesures. Au lieu d'améliorer ce type d'actions spécifiques, en
réfléchissant sur leurs limites, la tentation est grande, avec le
mainstreaming, de les évacuer complètement, malgré un certain nombre de
caractéristiques qui peuvent être positives. Par exemple, l'échelle plus
réduite de ce type de projets, si elle a été souvent critiquée, possède
souvent l'avantage d'être plus économe en ressources et d'offrir moins de
prise à la corruption ou aux dépenses somptuaires, en même temps qu'elle
peut être plus adaptée au caractère souvent local des préoccupations des
femmes et leur permettre un meilleur contrôle sur les événements.

Ce qui amène à l'autre grande ligne de critique : le mainstreaming
signifie "intégration au courant principal du développement". Mais quel
est ce courant principal? Non seulement il n'est pas identifié, mais
surtout, il ne fait guère l'objet d'analyse dans la littérature qui
promeut le mainstreaming. Or, non seulement le mouvement féministe a
amplement critiqué les successifs paradigmes du développement, mais dans
l'immense majorité des cas, les résultats positifs de ces projets de
développement, pour les femmes comme pour les hommes, se font toujours
attendre. Aujourd'hui, même le FMI reconnaît avoir commis des erreurs et
les chiffres du PNUD ou de la Banque mondiale montrent que la pauvreté
s'est considérablement aggravée dans le monde, en particuler là où les
recettes du "développement" néolibéral ont été appliquées. Comme le
signale une observatrice impliquée et critique, Ochy Curiel : "Dans le
mouvement de femmes noires, j'ai vu avec angoisse comment nous sommes
entrées ces dernières années dans la logique des politiques néolibérales.
A l'heure actuelle, La Banque mondiale elle - même distribue des
financements pour des projets "de développement" en notre faveur. Cette
même Banque mondiale qui, avec le FMI et avec l'appui de l'ONU, définit
les politiques qui conduisent la majorité de la populatuion de la planète
à la misère, et en particulier les femmes noires."(Curiel, 2002).

Il est donc pour le moins étonnant qu'une partie des féministes se
réjouissent que les femmes soient intégrées sans autre forme de procès
dans ce processus et que le mainstreaming puisse en quelque sorte
signifier un blanc - seing au paradigme dominant du "développement".


Micro - crédits

Le développement des micro - crédits pour les femmes s'inscrit dans
le cadre de la lutte contre la pauvreté, qui dans sa forme discursive a pris
le tour d'une véritable croisade morale - le président de la Banque
mondiale se rend tous les jours à son bureau "en pensant [qu'il est] en
train de faire le travail de Dieu" . L'accès des femmes au crédit est un
thème déjà ancien, soulevé notamment lors de la conférence de Nairobi en
1985 : il est certain que la plupart des femmes dans le monde subissent
une discrimination injustifiable quand elles se voient refuser l'accès au
crédit (ainsi qu'aux formations et aux aides techniques), souvent
indispensable pour développer leur production, agricole notamment.

Cependant, la question est plus complexe. D'une part, les femmes sont
loin d'être toutes dépourvues d'accès à des liquidités monétaires.
D'autre part, s'endetter, avant d'éventuellement s'enrichir, c'est
s'appauvrir. Enfin, derrière l'aspect charitable ou égalitariste du micro
- crédit pour les femmes, les banques escomptent surtout d'énormes
profits. A ce sujet, on se référera avec profit au passionnant travail
d'Hedwige Peemans Poullet (Peemans Poullet, 2000). Celle - ci montre bien
d'abord qu'il existe dans le monde un ensemble de systèmes d'épargne
traditionne à vocation sociale et sans intérêts, souvent gérés par des
femmes - notamment en Afrique sous la forme des Tontines - , qui leur
permettent de disposer d'argent liquide quand elles en ont besoin. Il
n'est pas innocent de présenter les femmes - du Sud - comme des victimes
passives qui attendent la main tendue qu'un banquier généreux s'intéresse
à leur sort. Les micro - crédits accordés aux femmes, par contre, sont
souvent assortis de taux d'intérêt élevés, parfois plus que les taux du
marché comme dans le cas de la Grameen Bank. Or, toutes les études le
prouvent : les femmes sont d'excellentes débitrices, capables de se
saigner à blanc pour rembourser les prêts. C'est pourquoi Peemans Poullet
souligne que les principaux bénéficiaires de ces micro - crédits sont
plutôt à rechercher du côté des banques, qui espèrent ainsi drainer à
leur profit au moindre risque les sommes considérables que génère
l'épargne traditionnelle. Elle souligne également que la Grameen Bank,
qui fait par ailleurs campagne pour la privatisation des services publics
et la disparition de la protection sociale au Bangladesh, réutilise
aussitôt l'argent gagné pour investir dans de très lucratives assurances
de santé, d'éducation et de retraites. Ce n'est sans doute pas un hasard
si d'autres fervents défenseurs des privatisations (en particulier les
Etats - Unis et l'AID, déjà évoquée) appuient avec enthousiasme les
politiques de micro - crédits.

Peemans Poullet évoque aussi les conditions d'attribution de ces crédits,
parfois assortis d'obligations tout à fait déplacées, comme répéter les
seize commandements de la Grammen Bank : "Discipline, unité, courage,
travail, c'est ce qui fait notre vie. [...] Nous veillerons à avoir une
famille de petite taille. Nous dépenserons peu, nous veillerons à notre
santé. Nous veillerons à ce que nos enfants et l'environnement soient
propres. Nous construirons et utiliserons des latrines..." (Peemans
Poullet, 2000). Si tous les programmes de micro - crédit ne sont sont pas
aussi choquants, il n'en reste pas moins que l'angoisse de devoir
rembourser la dette par tous les moyens ne fait qu'alourdir les charges
matérielles et morales multiples qui pèsent sur les femmes.

Par ailleurs, des études de cas plus fines montrent que la question de
l'argent n'est pas toujours le principal obstacle pour que les femmes
puissent travailler et obtenir des revenus. Ainsi, un passionant article
de Penelope A. Roberts sur les femmes rurales d'Afrique de l'Ouest montre
que le principal goulot d'étranglement pour les petites entreprises des
femmes est constitué par les règles sociales qui les empêchent d'avoir
accès à une main d'oeuvre suffisante (Roberts, 2001). Réduire toutes les
difficultés des femmes à des problèmes purement monétaires est donc un
raccourci trompeur.

Enfin, bien qu'ils soient souvent assortis de l'obligation d'un
encadrement collectif, les micro - crédits sont attribués la plupart du
temps de manière individuelle. C'est là une des critiques les plus
profondes que l'on peut faire à cette tentative de résolution de la
"pauvreté" des femmes. En effet, elle renforce la recherche de solutions
individualistes, quand l'action collective serait probablement beaucoup
plus efficace, non seulement pour échapper à la pauvreté, mais surtout
pour combattre les racines de cette pauvreté, que de nombreux
observateurs s'accordent de plus en plus à analyser comme un
appauvrissement des femmes découlant directement de l'application des
politiques d'ajustement structurel. Comme l'analyse Silvia Federici :
"Des millions de personnes [de femmes], en Afrique, en Asie et en
Amérique latine ne seraient pas en effet devenues dépendantes de
l'économie mondiale pour leur survie si elles n'avaient pas perdu tous
leurs moyens de subsistance à la suite d'une guerre ou d'un "ajustement
économique." (Federici, 2002) Le micro - crédit apparaît alors en bout de
chaîne, comme une mesure d'accompagnement de politiques de dépouillement
des terres, des ressources naturelles et des systèmes de services publics,
comme une soupape de sécurité qui accompagne la mise en place de
l'économienéolibérale globalisée, bien plus qu'elle n'en attaque les effets.




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