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(fr) Monde Libertaire - Une petite manipulation climatérique
Date
Tue, 5 Nov 2024 18:37:39 +0000
NB: Par «climatérisme», comprenons le discours qui se focalise sur le
climat au détriment de la météorologie proprement dite (pas la même
échelle de temps ou d'espace) et au détriment de la multiplicité des
facteurs (car il n'y a pas que le «temps qu'il fait» - ou weather en
anglais - dans la problématique environnementale). ---- Entendu au
«Bulletin Météo-Climat» de France 2 du jeudi 24 octobre 2024: (la
speakerine) «Intéressons-nous à présent à l'érosion de nos côtes; il est
vrai que nos littoraux ne sont pas figés dans un contexte de changement
climatique; l'érosion s'aggrave à cause de la montée des eaux, (est)
notamment en cause la hausse des températures qui dilate l'eau de nos
océans. Et ce n'est pas sans conséquence que ce phénomène entraîne un
recul du trait de côte».
Ce propos semble anodin. Il est en tous les cas main stream et familier
aux oreilles du public. Mais le diable se nichant dans les détails, il
n'est pas inutile, pour la pensée libre et la lutte contre le
capitalisme vert, d'en reprendre quelques éléments.
Voyons point par point.
Le «niveau des mers»: eustatisme et hydrodynamisme, à ne pas confondre
«Nos littoraux ne sont pas figés». Certes, c'est un constat évident. Ce
phénomène est, par exemple, familier aux habitants d'Aigues-Mortes dont
la cité fut située au bord de la mer, du temps où les Chrétiens allaient
chasser les Musulmans en Terre Sainte via les Croisades, et qui s'en
trouve désormais à six kilomètres.
C'est le résultat d'un millénaire d'alluvions apportées par le Rhône et
ses affluents jusqu'à son delta de Camargue. Les conditions strictement
météorologiques ne constituent d'ailleurs qu'un facteur parmi d'autres
dans cette avancée des terres.
Je mets de côté le fait que l'évolution actuelle du trait de côte en
Camargue est complexe, entre avancée et recul en fonction du Rhône et de
la dérive littorale (mais tel est le destin géographique d'un delta),
suivant les décennies.
«L'érosion s'aggrave à cause de la montée des eaux»: cette affirmation
est largement incomplète dans sa généralisation puisqu'elle confond
eustatisme et hydrodynamisme. L'eustatisme désigne la variation en
hauteur du niveau océanique, tandis que l'hydrodynamisme désigne le
phénomène d'avancée des eaux océaniques proprement dites (par la houle,
les marées, les tempêtes...).
Quel amaigrissement des plages?
Les deux phénomènes peuvent se conjuguer, mais pas nécessairement.
L'évolution du trait de côte atlantique entre le marais Poitevin et le
pays Basque, par exemple, est largement du à l'affaiblissement
demi-séculaire de l'apport en sédiments, lesquels sont retenus par des
barrages en amont sur la Garonne, la Dordogne et leurs affluents.
Il a bien fallu un demi-siècle pour se rendre compte des effets à long
terme de ce type d'aménagement, que l'on constate aussi par ailleurs (le
Nil depuis la construction du barrage d'Assouan, exemple le plus connu).
Cela ne veut pas dire que les barrages soient systématiquement inutiles
(les crues, les inondations, l'approvisionnement en eau...), mais tout
n'est pas du au «climat», ou à la mer.
L'amaigrissement des plages - phénomène bien connu des géographes qui
travaillent sur les littoraux (cf. les travaux de Roland Paskoff) -
favorise bien évidemment l'hydrodynamisme sans qu'intervienne forcément
l'eustatisme. Il peut d'ailleurs survenir très rapidement lorsque des
jetées ou des digues sont construites sans respecter la dérive littorale.
Quant aux côtes strictement rocheuses dans l'Hexagone, il faut
distinguer ce qui relève de la mer ou bien de la géologie proprement
dite. Il n'est pas sur que la côte rocheuse de l'Estérel, pour prendre
une région touchée par de fortes précipitations, évolue beaucoup.
Marégraphe de Brest et rocher de Celsius
Est «notamment en cause la hausse des températures qui dilate l'eau de
nos océans» précise le bulletin. Or cette dilation est variable suivant
les espaces et les saisons. Elle est d'ailleurs difficile à observer sur
un temps long, surtout avant l'arrivée des mesures satellitaires.
L'un des plus anciens marégraphes de France, celui de Brest (trois
siècles), ne signale pas d'évolution extraordinaire du niveau de la mer
dans cette région (thèse de Nicolas Pouvreau, 2018). Ne parlons pas du
rocher de Celsius qui montre que le niveau de la mer Baltique «descend»
(en fait, c'est le socle hercynien qui «remonte» par effet rebond
post-glaciaire), ou de son équivalent en baie d'Hudson au Canada.
Ces quelques remarques montrent déjà la faiblesse scientifique de ce
«Bulletin Météo-Climat». Mais ce n'est pas tout. C'est même la suite qui
est la plus intéressante. Car il ne suffit pas de lancer des paroles, il
faut démontrer les arguments et les illustrer par une étude de cas.
Images à l'appui.
Le camping de Quiberville sur-Mer
Le reportage qui suit se tourne alors vers Quiberville-sur-Mer. Car
«dans cette petite commune de Normandie se joue un exemple d'adaptation
au changement climatique (avec) le déménagement d'un camping pour
échapper à la montée des eaux, un projet indispensable selon le maire».
Très bien, pense-t-on. Mais restons attentifs.
Voici ce que dit le maire: «Si demain la mer débordait, oui, vous aviez
un endroit très dangereux, et si vous aviez des inondations venant du
fleuve côtier, c'était toujours très dangereux, la preuve en 99, il
existait à soixante mètres d'ici, et donc cent caravanes flottaient». Le
«si» est très important, et peut être bénéfique si l'on se place dans
une perspective de «prévision» et donc de «gestion du risque».
Mais il est «ici» très ambigu, car il se réfère tantôt à une éventualité
(future), tantôt à un événement accompli (passé). Très bien dira-t-on
encore. L'utilisation baroque de la concordance des temps interpelle
néanmoins, en mettant même de côté qu'il n'est pas facile de s'exprimer
à vif devant un micro et une caméra.
Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit. Car l'événement passé qui est
supposé nous donner l'avenir par rapport au trait de côte n'a rien à
voir. Le maire le dit lui-même: le camping était en zone inondable et
s'il a été inondé en 1999, ce n'est pas du tout à cause de la mer, mais
à cause de l'inondation du cours d'eau qui s'y jette, la Saâne. Cette
inondation a été provoquée par le blocage de l'évacuation de ses eaux à
cause de leur passage sous-dimensionné sous le pont où passe la route
littorale. Les eaux se sont accumulées, ont été refoulées et ont inondé.
C'est pratiquement le même phénomène que le Limony bloqué par un embâcle
les 17 et 18 octobre dernier en Ardèche (sauf que ce n'était pas des
caravanes qui ont été touchées, mais des pavillons...).
La rhétorique du sous-entendu
La mer n'est donc strictement pour rien dans cette inondation à
Quiberville, à moins que, indirectement, il y ait eu une marée à fort
coefficient qui se soit ajoutée pour freiner l'écoulement. Mais cela, le
reportage ne nous le dit pas.
De même qu'il n'évoque pas le fameux camping de La Faute-sur-Mer
installé sur une zone inondable et dévasté par la tempête Xynthia en
février 2010 (cf. la notice «Xynthia» dans le Dictionnaire critique de
l'anthropocène).
Au passage, soulignons l'ambiguïté du propos qui parle du «déménagement
d'un camping pour échapper à la montée des eaux», sans préciser de
quelles eaux il s'agit: celles du fleuve ou celles de la mer?
Sauf que la succession du contenu laisse entendre qu'il s'agit de la
mer. Manipulation quasi imparable, sauf vigilance.
Et surtout ne pas parler de la délivrance des permis de construire.
Et la biodiversité arrive
Mais ce n'est pas fini.
Le nouvel aménagement - élargissement du passage sous le pont,
suppression du camping - a en effet deux objectifs: «limiter les risques
d'inondation et favoriser le retour de la biodiversité» nous dit un
expert interrogé. La biodiversité: c'est-à-dire des poissons qui
remontent le cours (saumon, truite de mer), des anguilles, de la végétation.
Très bien... mais où est le rapport avec le climat, ou, plus
précisément, l'érosion des côtes et le niveau de a mer (sujet,
rappelons-le du Bulletin Météo-Climat du 24 octobre)?
L'évolution météorologique peut affecter l'évolution des écosystèmes,
mais les espèces vivent selon différents milieux, croissent, régressent,
s'adaptent selon le temps qu'il fait...
En réalité, on mélange tout. C'est le grand fourre-tout intellectuel
et... politique. Car lutter «contre le climat» et pour «la biodiversité»
relève du même mantra. Il faut agir, mais, en sous-texte, pas n'importe
quelle action: il faut la «décarbonation», donc promouvoir l'électrique,
donc le tout-électrique, donc la relance de l'électro-nucléaire. C'est
l'agenda du capitalisme vert.
La résilience des assurances
J'exagère? Revenons au «si». Le lendemain même, sur une autre chaîne du
«service public», le journal de 13 h de France Inter, nous avons droit à
une interview complaisante du directeur d'Axa-Climat. Oui, Axa, la
compagnie d'assurance. Et qui s'intéresse au «climat». Propos
particulièrement édifiant, car le directeur s'est systématiquement placé
dans le «si» de la prospective, le futur, mais devenu chez lui du «quasi
sur». Les catastrophes climatiques vont fatalement augmenter, nous
dit-il, donc les dégâts...
Et, là, chère lectrice et cher lecteur, vous allez ajouter logiquement
que «le montant des primes d'assurance vont également augmenter». Mais
non, pas un mot! Car nous sommes entre gens de bonne compagnie, n'est-ce
pas. Chut sur ce qui fâcherait!
Au moment où la sphère politico-médiatique française glose sur
«l'adoption du budget» et «les impôts», pas question d'évoquer ces
basses questions d'argent. Surtout si ce sont les poches du citoyen
lambda qui vont être touchées. On a déjà donné avec les gilets jaunes,
on ne va pas refaire la même erreur politico-médiatique. On va donc
gloser sur ce qu'il faudrait généreusement faire en réaménagement du
territoire.
Et enchaînement logique du journal de France Inter: on va parler du
Fonds Barnier d'indemnisation! Lequel Barnier se trouve au même moment
en déplacement sur la zone commerciale de Givors, là où les grandes
enseignes de la «distribution» (lire: du «grand commerce») se sont
installées n'importe comment (pas de noms de marque: vous les connaissez
déjà, vous pouvez toutes les énumérer).
Inondés à cause de leur impéritie, leurs bâtiments viennent de l'être.
Et devinez qui va payer?
Ah, le «changement climatique», s'il n'existait pas, il faudrait
l'inventer...
Philippe P., le 25 octobre 2024.
https://monde-libertaire.fr/?articlen=8081
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