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(fr) Socialisme Libertaire - Malatesta: Comment concevoir la révolution
Date
Mon, 4 Nov 2024 20:40:08 +0000
«VERS L'ANARCHIE ---- Il est assez coutume de croire que par le fait que
nous nous disons révolutionnaires, nous entendons que l'avènement de
l'anarchie doive se produire d'un seul coup, comme conséquence immédiate
d'une insurrection, qui abattrait violemment tout ce qui existe et
substituerait à cela des institutions vraiment nouvelles. A dire vrai,
il ne manque pas de camarades qui conçoivent la révolution de telle
façon. ---- Ce malentendu explique pourquoi parmi nos adversaires
beaucoup croient, de bonne foi, que l'anarchie est une chose impossible;
et cela explique aussi pourquoi certains camarades, voyant que
l'anarchie ne peut venir soudainement, étant donné les conditions
morales actuelles de la foule, vivent entre un dogmatisme qui les met en
dehors de la vie réelle et un opportunisme qui leur fait pratiquement
oublier qu'ils sont anarchistes et, qu'en cette qualité, ils doivent
combattre pour l'anarchie.
Maintenant, il est certain que le triomphe de l'anarchie ne peut être
l'effet d'un miracle, pas plus qu'il ne peut se produire en dépit, en
contradiction de la loi de l'évolution: que rien n'arrive sans cause
suffisante, que rien ne peut se faire si la force nécessaire manque.
Si nous voulions substituer un gouvernement à un autre, c'est-à-dire
imposer notre volonté aux autres, il suffirait, pour cela, d'acquérir la
force matérielle indispensable pour abattre les oppresseurs et nous
mettre à leur place.
Mais au contraire, nous voulons l'Anarchie, soit une société fondée sur
l'accord libre et volontaire, dans laquelle personne ne puisse imposer
sa volonté à autrui, où toutes et tous puissent faire comme elles et ils
l'entendent et concourir volontairement au bien-être général. Son
triomphe ne sera définitif, universel que lorsque toutes les personnes
humaines ne voudront plus être commandées ni commander à d'autres et
auront compris les avantages de la solidarité pour savoir organiser un
système social dans lequel il n'y aura plus trace de violence et de
coercition.
D'autre part comme la conscience, la volonté, la capacité augmentent
graduellement et ne peuvent trouver l'occasion et des moyens de se
développer que dans la transformation graduelle du milieu et dans la
réalisation des volontés au fur et à mesure qu'elles se forment et
deviennent impérieuses, de même l'anarchie ne s'instaurera que peu à peu
pour s'intensifier et s'élargir toujours plus.
Il ne s'agit dons pas d'arriver à l'anarchie aujourd'hui ou demain ou
dans dix siècles, mais de s'acheminer ver l'anarchie aujourd'hui, demain
et toujours.
L'anarchie est l'abolition du vol et de l'oppression de l'homme par
l'homme, c'est-à-dire l'abolition de la propriété individuelle et du
gouvernement. L'anarchie est la destruction de la misère, des
superstitions et de la haine. Donc, chaque coup porté aux institutions
de la propriété individuelle et du gouvernement, est un pas vers
l'anarchie, de même que chaque mensonge dévoilé, chaque parcelle
d'activité humaine soustraite au contrôle de l'autorité, chaque effort
tendant à élever la conscience populaire et à augmenter l'esprit de
solidarité et d'initiative ainsi qu'à égaliser les conditions. Le
problème réside dans le fait de savoir choisir la voie qui réellement
nous rapproche de la réalisation de notre idéal et de ne pas confondre
les vrais progrès avec ces réformes hypocrites, qui, sous pré texte
d'améliorations immédiates, tendent à distraire le peuple de la lutte
contre l'autorité et le capitalisme, à paralyser son action et à lui
laisser espérer que quelque chose peut être obtenu de la bonté des
patrons et des gouvernements. Le problème est de savoir employer la part
de forces que nous avons et que nous acquérons de la façon la plus
économique et la plus utile à notre but. Aujourd'hui dans chaque pays il
y a un gouvernement qui, par la force brutale, impose la loi à tous,
nous contraint toutes et tous à nous laisser exploiter et à maintenir,
que cela nous plaise ou non, les institutions existantes, à empêcher que
les minorités puissent mettre en action leurs idées et que
l'organisation sociale en général puisse se modifier suivant les
variations de l'opinion publique. Le cours régulier pacifique de
l'évolution est arrêté par la violence et c'est par la violence qu'il
faudra lui ouvrir la route. C'est pour cela que nous voulons la
révolution violente aujourd'hui et que nous la voudrons toujours ainsi,
aussi longtemps que l'on voudra imposer à quelqu'un par la force une
chose contraire à sa volonté. La violence gouvernementale est supprimée,
notre violence n'aurait plus sa raison d'être.
Nous ne pouvons pour le moment abattre le gouvernement existant,
peut-être ne pourrons-nous pas empêcher demain que sur les ruines du
gouvernement actuel, un autre ne surgisse; mais cela ne nous empêche pas
aujourd'hui de même que cela ne nous empêchera pas demain de combattre
n'importe quel gouvernement en refusant de nous soumettre à la loi
chaque fois que cela nous est possible et d'opposer la force à la force.
Chaque fois que l'autorité est amoindrie, chaque fois qu'un plus grand
nombre de liberté est conquise et non mendiée, c'est un progrès vers
l'anarchie. Il en est de même chaque fois aussi que nous considérons le
gouvernement comme un ennemi avec lequel il ne faut jamais faire trêve,
après nous être bien convaincus que la diminution des maux engendrés par
lui n'est possible que par la diminution de ses attributions et de sa
force et non par l'augmentation du nombre des gouvernants ou par le fait
de les faire élire par les gouvernés eux-mêmes.
Par gouvernement nous entendons tout homme ou groupement d'individus,
dans l'État, les Conseils, la Municipalité ou l'association, ayant le
droit de faire la loi ou de l'imposer à ceux à qui elle ne plaît pas.
Nous ne pouvons pour le moment abolir la propriété individuelle, nous ne
pouvons pour l'instant disposer des moyens de production nécessaires
pour travailler librement; peut-être ne le pourrons-nous pas encore lors
d'un prochain mouvement insurrectionnel; mais cela ne nous empêche pas
aujourd'hui déjà, comme cela ne nous empêchera pas demain, de combattre
continuellement le capitalisme. Chaque victoire, si minime soit-elle,
des travailleurs et des travailleuses sur le patronat, chaque effort
contre l'exploitation, chaque parcelle de richesse soustraite aux
propriétaires et mise à la disposition de tous, sera un progrès, un pas
sur la voie de l'anarchie, comme chaque fait tendant à augmenter les
exigences des ouvriers et à donner plus d'activité à la lutte, toutes
les fois que nous pourrons envisager ce que nous aurons gagné, comme une
victoire sur l'ennemi et non comme une concession dont nous devrions
être reconnaissants, chaque fois que nous affirmerons notre volonté
d'enlever par la force, aux propriétaires, les moyens que, protégés par
le gouvernement, ils ont enlevés aux travailleuses et aux travailleurs.
Le droit de la force disparu de la société humaine, les moyens de
production mis à la disposition de ceux et celles qui veulent produire,
le reste sera le résultat de l'évolution pacifique.
L'anarchie ne serait pas encore réalisée ou elle ne le serait que pour
celles et ceux qui la veulent et seulement pour les choses où le
concours des non anarchistes n'est pas indispensable. Elle s'étendra
ainsi gagnant peu à peu les personnes humaines et les choses, jusqu'à ce
qu'elle embrasse toute l'humanité et toutes les manifestations de la vie.
Une fois le gouvernement disparu, avec toutes les institutions nuisibles
qu'il protège, une fois la liberté conquise pour toutes et tous ainsi
que le droit aux instruments de travail, sans lequel la liberté est un
mensonge, nous n'entendons détruire toutes choses qu'au fur et à mesure
que nous pourrons en substituer d'autres.
Par exemple: le service de ravitaillement est mal fait dans la société
actuelle, il s'effectue d'une façon anormale avec un grand gaspillage de
force et de matériel et seulement en vue des intérêts des capitalistes;
mais en somme de quelque façon que s'opère la consommation, il serait
absurde de vouloir désorganiser ce service, si nous ne sommes pas en
mesure d'assurer l'alimentation du peuple plus logiquement et plus
équitablement.
II existe un service des postes, nous avons mille critiques à en faire,
mais pour l'instant nous nous en servons pour envoyer nos lettre ou pour
en recevoir, supportons-le donc comme il est tant que nous n'aurons pu
le corriger.
Il y a des écoles, hélas, combien mauvaises, pourtant nous ne voudrions
pas que nos fils restassent sans apprendre à lire ni à écrire, en
attendant que nous ayons pu organiser des écoles modèles suffisantes
pour tous.
Par là nous voyons que pour instaurer l'anarchie il ne suffit pas
d'avoir la force matérielle pour faire la révolution, mais il importe
aussi que les travailleuses et les travailleurs associées selon les
diverses branches de production, soient en mesure d'assurer par elles et
eux-mêmes le fonctionnement de la vie sociale sans le recours des
capitalistes et du gouvernement.
On peut constater de même que les idées anarchistes, loin d'être en
contradiction avec les lois de l'évolution basée sur la science, comme
le prétendent les socialistes scientifiques, sont des conceptions qui
s'adaptent parfaitement à elles: c'est le système expérimental
transporté du terrain des recherches dans le champ des réalisations
sociales.»
Errico Malatesta, in Le Réveil anarchiste, n° 791, 8 mars 1930.
SOURCE: Le site de Nedjib Sidi Moussa
https://www.socialisme-libertaire.fr/2024/07/malatesta-comment-concevoir-la-revolution.html
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