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(fr) Liberté ouvrière - En Espagne | Ariane Miéville et José Luis García González (Octobre 2024)
Date
Sun, 27 Oct 2024 18:53:53 +0000
Cet article a été rédigé suite à un récent périple en Espagne qui nous a
permis de mieux comprendre la crise qu'y traverse
l'anarcho-syndicalisme. Nous avons milité au sein de la CNT-AIT à
Grenade, il y a quelques années, et dans le groupe Direct! AIT quand il
existait en Suisse. Nous sommes solidaires du combat mené actuellement
par la CNT-AIT et c'est à ce titre que nous nous exprimons. ---- ocaux
de la CNT-AIT, Place Tirso Molina à Madrid ---- C'est tellement gros que
certain.es ne veulent peut-être pas y croire, mais ça raconte bien les
temps du capitalisme barbare et triomphant que nous vivons aujourd'hui:
une marque déposée va interdire l'usage du sigle CNT et d'un certain
nombre de symboles, dont le drapeau rouge et noir en diagonale, à la
CNT-AIT. Ceux-ci seront désormais propriété exclusive de la CNT-CIT (ou
CNT®).
Une première fournée de dix-sept syndicats (il s'agit de seize syndicats
de la CNT-AIT et du syndicat CNT de Vigo, qui est indépendant) ont été
condamnés à verser 2000€ chacun à titre de préjudice moral à la CNT®CIT,
dont les prétentions ont été jugées légitime par le tribunal de la
«Audiencia Nacional», même si le montant réclamé au départ par la
CNT®CIT (50'000€ par syndicat) a été revu à la baisse par la «justice».
La veille du procès, dix-sept autres entités (syndicats et fédérations
locales de la CNT-AIT) étaient à leur tour dénoncées pour les mêmes
motifs par la CNT®CIT et risquent la même condamnation. Le procès de
cette seconde fournée doit avoir lieu le 29 octobre. Trente-quatre
collectifs déjà... pour une organisation soi-disant inexistante! Et il y
aura peut-être une troisième fournée, car quelques entités ont échappé à
l'inquisition.
Une légende noire
Le mouvement libertaire international - à l'exception des sections et
ami.es de l'AIT et de quelques rares collectifs dont nous faisons partie
- semble se ficher complètement de l'attaque frontale que subit
l'anarcho-syndicalisme espagnol. Outre le fait que les luttes sont de
plus en plus atomisées, que le chacun.e pour soi est de rigueur, nous
pensons que cette indifférence est due à une légende noire qui circule
depuis longtemps dans nos milieux. Un texte anonyme qui prétend que la
CNT-AIT a été créée il y a sept ans(!), publié récemment sur un site
anglophone et écrit semble-t-il par un porte-parole de la CNT®CIT,
illustre cette vision mythique.(1)
Commençons par une recherche des occurrences de certains concepts
utilisés dans ce texte pour désigner les membres de la CNT-AIT ou leurs
idées. Le concept de «taliban» (talibane ou talibanisme) apparaît six
fois; «orthodoxe» trois fois; «théorie(s) du complot» trois fois,
«conservateur-trice» deux fois, «sectaire» deux fois, «dogmatique et
puriste» une fois... L'image qui est donnée est celle de militant.es
passéistes, paranoïaques et borné.es, incapable de s'adapter aux temps
actuels.
L'un des adjectifs qui revient le plus souvent est celui de «petit-e»
pour désigner les syndicats de la CNT-AIT ou les sections de l'AIT: onze
occurrences! A la CNT®CIT on n'aime pas les petits, c'est pourquoi on
n'hésite pas à exclure les syndicats de cette caractéristique. Le
fédéralisme, principe anarchiste et anarcho-syndicaliste, est rejeté au
bénéfice de la dictature des «majorités» ou plutôt de leurs chef.fes.
Le texte en question est une logorrhée qui raconte moultes exclusions de
syndicats ou de militant.es, toujours pour de bonnes raisons bien sur!
Il évoque aussi les «faits d'armes» des futurs membres de la CNT®CIT: un
commando se rend à Cadix pour changer les serrures du local de la
CNT-AIT, voler du matériel et la bibliothèque du syndicat exclu. Puis,
il s'étonne que les militant.es et sympathisant.es y voient une attaque
intolérable! Même cas de figure à Madrid où le syndicat des métiers
divers (SOV) est exclu au cours d'une réunion plénière qui a lieu en
banlieue et à laquelle participe une quarantaine de ses militant.es. Au
même instant, un groupe s'en prend à leur local au centre de la
capitale. Toujours le même scénario de changement de serrures... mais
les militant.es du SOV ne se laissent pas faire et reprennent leur local
de force. Un scandale pour l'auteur du texte. Car si un groupe est
exclu, «il est tout à fait normal de récupérer son patrimoine».
Selon la légende noire, les anarchistes espagnols auraient la manie de
se battre pour l'acronyme CNT. Cet élément est mis en avant par l'auteur
du texte susmentionné qui prétend que ce qui se passe aujourd'hui est un
juste retour de bâton de la lutte autour des sigles qui a eu lieu dans
les années 1980, car «ceux qui se plaignent aujourd'hui des procès»
seraient les «héritiers directs» de celles et ceux qui à l'époque ont
obtenu devant la justice le sigle CNT (la partie adverse adoptant
l'acronyme CGT). Là on entre dans le monde d'Orwell: car si la CNT-AIT
est née de la dernière pluie comme le prétend cet auteur, les héritiers
de la CNT des années 80 sont les gens de la CNT®CIT! On ne peut pas
revendiquer un héritage et en rejeter les pages jugées moins glorieuses.
Mais surtout, cette vision mythique oublie que la principale divergence
de l'époque était la participation ou non aux élections syndicales et
aux comités d'entreprises. La future CGT était favorable à cette forme
d'intégration au système, alors que la partie de l'organisation qui
allait rester avec le sigle CNT pariait sur l'autonomie de la classe
ouvrière organisée dans les assemblées de base et les sections syndicales.
Certes il y a eu, au moment de la division des années 80, des conflits
autour des locaux syndicaux(2), mais à aucun moment l'une ou l'autre des
parties n'a revendiqué des dommages et intérêts ou l'interdiction
d'utiliser des couleurs ou des symboles. Divergences il y avait,
séparation il y eut, mais pas une tentative d'annihiler l'adversaire, de
le ruiner et de l'invisibiliser comme aujourd'hui. En effet, si les
militant.es de la CNT-AIT renonçaient à faire recours contre le récent
jugement (et ceux à venir), iels devraient tout de même payer l'amende
de 2000€ par syndicat au bénéfice de la CNT®CIT et restituer les locaux
qui sont propriété de la CNT. Seront-iels expulsé.es par la police
armée, ou par les barbouzes de Desokupa au service des spéculateurs?
l'avenir le dira.
Alors quel est le problème?
En décembre 2010, lors du congrès de Cordoba, la CNT s'est dotée d'un
Cabinet technique confédéral. Il n'était pas explicite au départ que ses
membres seraient rétribué.es. D'abord constitué de trois personnes, iels
seraient bien plus actuellement, principalement des juristes.
Soi-disant, iels répondraient mieux aux nécessités d'action légale des
syndicats locaux que «l'avocat syndical typique» auquel ceux-ci
recourent ponctuellement.
Outre le fait qu'iels sont grassement payés, les avocat.es du Cabinet se
logent dans des hôtels trois étoiles lors de leurs déplacements et se
font rembourser leurs frais de repas au restaurant. Iels décident aussi
des conflits syndicaux qui doivent être menés et de ceux auxquels il
faut renoncer! De véritables technocrates. Étant donné que les
archivistes du Centre Anselmo Lorenzo sont aussi rémunéré.es, la CNT®CIT
a besoin de beaucoup d'argent et, comme Julito qui vendit sa voiture
pour acheter de la benzine, les dirigeants de la CNT®CIT vendent des
locaux syndicaux du patrimoine historique ou ceux acquis par la suite,
pour payer leurs permanent.es.
Au cours de la Transition, la CNT a pu récupérer certains locaux
historiques et a reçu une compensation (bien inférieure à celle obtenue
par le syndicat socialiste UGT, mais tout de même d'une certaine
importance) à titre de réparation pour les locaux syndicaux confisqués
par les franquistes. Ce capital était bien trop alléchant pour ne pas
attirer la convoitise. Il y a en Espagne, peut-être plus qu'ailleurs,
des quantités de diplômé.es universitaires qui peinent à faire carrière.
Certain.es sont parvenu.es à faire leur nid au sein de la CNT en
s'emparant des comités et en transformant l'organisation libertaire en
une organisation autoritaire.
Celles et ceux qui ont tenté de s'opposer à cette offensive ont été
exclu.es tour à tour ou sont parti.es dégouté.es. Il reste au sein de la
CNT®CIT des collectifs qui sont en désaccord avec l'évolution actuelle,
mais qui savent que s'ils bougent une oreille, ils subiront le même sort
que celui de la CNT-AIT: locaux confisqués, amendes, etc.; mais la
majorité des adhérent.es de la CNT®CIT est désormais constituée d'une
clientèle qui attend d'être prise en charge par des spécialistes.
L'«anarcho-syndicalisme» que met en avant cette organisation est de plus
en plus creux, une simple image qui évoque un passé glorieux. (À suivre)
Ariane Miéville et José Luis García González
Notes
1) Ce texte est signé CNT-E. S'agit-il d'un texte écrit par un
porte-parole de la CNT®CIT? Impossible d'en avoir la certitude. Il
raconte de manière tendancieuse et mensongère, le conflit qui a mené à
la scission actuelle.
Mise en cause personnellement dans cet écrit, Laure Akai, secrétaire de
l'AIT, y répond en commentaire, de manière à la fois personnelle et
circonstanciée.
Telle n'est pas notre démarche, nous n'en retiendrons que ce qui
illustre notre propos. Libre à chacun.e de se faire sa propre idée.
https://libcom.org/article/making-spanish-cnt-iwa-2010-2024
2) Une tactique des «rénovés» (future CGT) de l'époque était d'aller
déclarer aux autorités que le syndicat avait changé de secrétaire.
Inscrit sous un nouveau nom, le syndicat changeait ainsi de
«propriétaire». Ces manoeuvres ont été à l'origine de la lutte pour le
sigle CNT. Par contre, les sept locaux qui ont été attribués à la
CNT-Congrès de Valence, précurseur de la CGT, n'ont jamais été
revendiqués par la CNT-AIT.
https://liberteouvriere.com/2024/10/24/en-espagne-ariane-mieville-et-jose-luis-garcia-gonzalez-octobre-2024/
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