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(fr) Courant Alternative #343 (OCL) - Retraite et inégalités, brèves de l'éco
Date
Sat, 26 Oct 2024 18:00:08 +0100
Il est très compliqué de s'y retrouver dans le montant des retraites. En
effet, les retraité·es perçoivent une retraite de base (CNAV) ou une
pension de l'état (fonctionnaires) (ou un peu des deux pour ceux et
celles qui ont travaillé dans le privé et dans le public), et une ou
plusieurs retraites complémentaires, dont les bases de calcul sont
différentes, sans compter bien sur les régimes spéciaux. Vous me direz
qu'il suffit d'additionner tout ça, sauf que, fort heureusement
d'ailleurs, Big Brother n'est pas encore complètement là, donc on
connaît le montant des retraites et pensions, le montant des
complémentaires, mais on ne sait pas dire pour telle tranche de revenus
de retraite de base combien il faut ajouter de retraite complémentaire.
Le Conseil d'Orientation des Retraites (COR), l'organisme qui essaie de
gérer tout ça, en est réduit à présenter des «cas types» pour essayer
d'y voir clair, cas types dont lui-même reconnaît qu'il n'est pas en
mesure d'indiquer leur représentativité.
La retraite de base et la pension étant basées sur nos cotisations, de
gros salaires signifient de grosses retraites, des petits salaires des
petites retraites. Mais à salaire égal, il n'y a pas de retraite égale,
à cause des différences de régimes sociaux et de retraites
complémentaires. Et il faut rappeler également que les primes ne
comptent pas pour la retraite. Donc par exemple dans la fonction
publique, les fonctionnaires sans beaucoup de primes, généralement donc
les petit·es fonctionnaires, ont un meilleur taux de remplacement (1)
que les haut·es fonctionnaires pour lesquels les primes représentent une
part plus importante de leur rémunération.
Tout le monde dit que la retraite des fonctionnaires est plus
avantageuse que la retraite du privé. Ce n'est pas si évident. Notamment
les complémentaires du privé sont beaucoup plus importantes que celles
du public. La DREES (service statistique du ministère du travail) a
essayé de mesurer la différence en simulant quelle retraite aurait eu
un·e fonctionnaire si elle ou il avait travaillé dans le privé au même
salaire. 62 % des fonctionnaires sédentaires né·es en 1958 seraient
gagnant·es à se voir appliquer les règles du privé, 32 % perdant·es et 6
% verraient leur pension inchangée à plus ou moins 1% près.
Le rapport entre la pension moyenne des femmes et celle des hommes, sur
le champ des monopensionnés à carrière complète, était en 2021 de 86 %
pour les fonctionnaires civils d'État, 88 % pour les fonctionnaires
territoriaux et hospitaliers et de 87 % pour les assurés des autres
régimes spéciaux, contre 71 % pour les salariés relevant du régime
général et 62 % pour les non-salariés. Il faut faire attention à tous
les mots. Il s'agit des femmes ayant eu une carrière complète. Jusqu'à
il y a peu d'années, beaucoup de femmes n'avaient pas de carrière
complète parce qu'elles s'arrêtaient au moment des enfants en bas âge.
Puis reprenaient dans de mauvaises conditions. Donc l'écart de retraite
entre les hommes et les femmes est beaucoup plus important que ça. Les
femmes touchaient en moyenne 42 % de moins que les hommes en 2012. La
même année, l'écart salarial entre hommes et femmes n'était «que» de 30
% (20 % en équivalent temps plein). Au total, cette année là, 445 000
femmes de plus de 75 ans (soit 14,1 %) vivaient sous le seuil de
pauvreté contre 175 000 hommes (8,9 %).
En fait, le taux de remplacement est plus important pour les petits
revenus que pour les revenus élevés. Un cadre a un taux de remplacement
s'il part à l'âge d'ouverture des droits d'environ 53 %, un non cadre de
78 %. Mais si le non cadre a été au chômage (cas quand même relativement
fréquent!), son taux de remplacement n'est plus que de 69 %. Pour les
catégories qui ont le droit de partir à la retraite plus tôt, leur
retraite est aussi plus faible, puisqu'elle est proratisée, c'est-à-dire
qu'elle est calculée en retirant les trimestres manquants. A quoi ça
sert d'avoir le droit de partir plus tôt dans ce cas, me direz-vous?
Simple, aucune décote n'est appliquée. La décote c'est ce qu'on retire
en plus, environ 6 % par année manquante (le calcul est plus compliqué
que ça, ce serait dommage sinon). Par exemple si vous avez cotisé 161
trimestres au lieu de 169, vous allez toucher 161/169 de la retraite
(ça, c'est la proratisation) - 12 % environ (ça, c'est la décote). Pour
ne plus être touché par la décote, il faut travailler jusqu'à la limite
d'âge (qui, je crois, est restée à 67 ans).
Il est en fait très compliqué de rentrer dans les détails et de trouver
l'état réel des inégalités. En effet, il n'y a pas que le montant de la
retraite qui compte. Déjà, tous ces chiffres sont calculés pour une
carrière complète à temps plein, c'est-à-dire sans interruptions et sans
temps partiels. C'est de moins en moins le cas pour la population
générale. C'est par contre de plus en plus le cas pour les femmes qui
ont maintenant en moyenne une carrière aussi longue que les hommes
(autrement dit, elles ne s'arrêtent plus pour les enfants). Mais parmi
les retraitées d'aujourd'hui il y a encore parmi les plus âgées la
génération des femmes au foyer qui touchent seulement une pension de
réversion, et aussi la génération des femmes qui ont travaillé avec
interruptions.
Ensuite, parmi les ménages aisés, beaucoup souscrivent à des assurances
vie et autres plans épargne retraite. Ce sont des produits bancaires
privés qui ne figurent donc pas dans les statistiques dont je vous
parle. Ce qui fait qu'il n'est pas certain que le revenu des cadres
supérieur·es baissent tant que ça lorsqu'ils ou elles partent à la retraite.
Enfin, il est une dernière inégalité d'importance: l'inégalité
d'espérance de vie. En moyenne, les cadres vivent 7 ans de plus que les
ouvriers. Ils touchent donc leur retraite nettement plus longtemps...
Sans compter les inégalités de santé: être réduit à un état de
dépendance ou pouvoir profiter de sa retraite, ce n'est pas la même
chose. En 2022, l'espérance de vie sans incapacité à la naissance est de
65,3 ans pour les femmes et de 63,8 ans pour les hommes (chiffres du
ministère). A comparer avec les âges de départ à la retraite...
Retraçons les évolutions à très grands traits. Pendant toute la première
moitié du 20ème siècle, vieillesse rimait avec pauvreté (sauf pour les
bourgeois bien sur). C'est à cette situation que la mise en place d'un
système de retraite a remédié. Ce système a mis du temps à faire son
plein effet. Ceux et celles qui sont parti·es à la retraite jusque dans
les années 70 n'avaient pas suffisamment cotisé pour toucher une
retraite pleine. Aujourd'hui, globalement, les retraité·es gagnent un
peu plus que la moyenne de la population mais un peu moins que les
actifs, et leur taux de pauvreté est plus faible. La pension de
réversion (2) a mis fin à la grande misère des veuves. Lorsque
Mitterrand a abaissé l'âge de la retraite à 60 ans, l'espérance de vie
(3) d'un ouvrier était de 61 ans. Après la crise des années 70, on s'est
mis à parler des «nouveaux pauvres»: on désignait ainsi une pauvreté qui
n'était pas traditionnelle, en clair que ces pauvres n'étaient pas
forcément des vieux ou des vieilles. Depuis, une réforme a baissé le
pouvoir d'achat de l'ensemble des retraité·es: les retraites ne sont
plus indexées sur la hausse générale des salaires, mais sur l'inflation.
Il est difficile de trouver les effets des récentes réformes de la
retraite dans les chiffres: parmi la masse des retraité·es, beaucoup
sont parti·es à la retraite avant. Et beaucoup de choses ont changé. Par
exemple, les femmes arrivent majoritairement à la retraite avec une
carrière complète, la durée de vie active des hommes a diminué, les
coupures de carrière pour chômage sont devenues ordinaires... Pour faire
un réel état des inégalités et de ce que les réformes ont modifié, il
faudrait des études qui ne sont pas financées, disposer de chiffres qui
ne nous sont pas fournis, et éventuellement qui n'existent pas. Mais il
est certain que la situation de la masse des retraité·es va se dégrader.
Source principale: Conseil d'Orientation des Retraites, rapport annuel,
Évolutions et perspectives des retraites en France, juin 2024.
Disponible gratuitement sur internet.
Notes
(1) Le taux de remplacement, c'est le pourcentage que représente la
retraite par rapport à notre dernière année d'activité.
(2) La moitié de la retraite est versée au conjoint, en fait plus
souvent à la conjointe, survivant·e. Mais attention camarades, pour en
bénéficier il faut être marié·e!
(3) L'espérance de vie est la durée moyenne de vie.
https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4275
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