A-Infos (fr) Alternative Libertaire #352 (UCL) - Iconographie: Histoires ouvrières et temps de révoltes

Deux ouvrages récemment publiés s'essaient à un exercice de 
transcription des mondes ouvriers au travers de photographies ou de 
cartes postales. Ces apports, le plus souvent ignorés, s‘avèrent riches 
d'enseignements. ---- Elles sont plutôt rares ces laisses 
iconographiques du monde ouvrier. Le plus souvent, elles appartiennent 
aux mondes oubliés de l'Histoire. ---- Le premier livre se situe au 
début du XXe siècle. Les conflits sociaux, parfois extrêmement violents, 
se multiplient comme autant d'expressions de combats pour la dignité 
ouvrière et la reconnaissance sociale. ---- À cette époque, le support 
visuel de ces moments de révoltes et de répressions reste la carte 
postale. La photographie de presse relatant ces faits est rare. Elle est 
bien souvent l'expression des dominants. Les récits et les images 
proposées, nous plongent au coeur de ces histoires passées et nous 
dévoilent des aventures collectives et des révoltes pour certains et 
certaines oublié·es.

La force de ce livre, réédition augmentée d'un précédent ouvrage épuisé, 
réside dans ces expressions collectives des vies de femmes et d' hommes 
qui en furent les actrices et acteurs. Si les révoltes en «Pays noir» en 
1906 ou à Nantes et en Languedoc en 1907 se rappellent à notre mémoire; 
celle des boutonniers de Méru en 1909 ou des boulonniers dans le 
département de la Loire en 1910 sont de véritables découvertes.

Toutes ces luttes démontrent le caractère volontaire et déterminé de ces 
femmes, de ces hommes et parfois de l'ensemble de la population. Ce 
livre est un magnifique hommage aux luttes collectives menées autrefois. 
Un puissant sentiment d'entraide parcourt l'ouvrage. Un livre très 
formateur, un témoignage poignant!

Le second livre appartient à cette période, juste après le mouvement des 
Gilets jaunes en 2018. Il traite des paysages industriels, des 
travailleuses et travailleurs sur leurs lieux de labeur, mais aussi dans 
leurs luttes. On nous propose une immersion dans les ports de Saint 
Nazaire, de Lorient, dans les usines bretonnes de l'agro-alimentaire, ou 
encore, près de Montceau-les-Mines, chez Michelin, au Creusot chez 
Safran, dans l'usine Ferropem à Livet-et-Gavet ou dans l'unité de 
production de silicium de Château-Feuillet, à La Léchère, au coeur des 
usines de la vallée de la Tarentaise.

Des paysages multiples, des univers différenciés avec pour dénominateur 
commun la vie ouvrière dans ses multiples facettes.

Ce livre évoque ces instantanés de la vie ouvrière ou syndicale où plus 
d'un ou une se reconnaîtront. Comment ne pas percevoir toute l'humanité 
contenue dans les regards graves de ces responsables syndicaux en prise 
avec les difficultés des salarié·es.

Ces angoisses partagées des temps de licenciements, mais également ces 
sourires, ces plaisanteries qui en disent plus long que bien des 
discours. Toute cette connivence de visages rieurs, cette fierté de ces 
ouvriers posant devant l'objectif, toute cette complicité exprime 
l'entraide et la lutte. Elle se ressent par-delà le support photographique.

La grande différence avec le précédent tient au fait collectif, ici plus 
parcellisé, plus individualisé. Les temps historiques ne sont point les 
mêmes, les réalités salariales diffèrent. Ce second ouvrage cible plus 
le quotidien et sa banalité que les moments forts de l'action revendicative.

La révolte omniprésente dans le premier livre témoigne de la force 
collective; le second, met davantage l'accent sur l'individu et le 
groupe restreint.

«Écrire, c'est clarifier ce que l'on a vu ou tenté de voir»

Exercice périlleux où le subjectif peut dépasser ce que révèle 
l'objectif. L'aventure de clarification n'est pas chose aisée. Il faut 
éviter de sombrer dans le pathos miséreux ou glorifier outrancièrement 
par un ouvrièrisme forcé.

L'enjeu est de se cantonner au rôle de simple observateur bienveillant, 
traducteur de faits observés, saisir l'instant pour exprimer et extraire 
tout l'humain de ces situations, faites de sueurs, de souffrances, de 
joies et d'entraide.

Deux immersions attachantes par leur humanité et la bienveillance qui 
accompagnent le propos. Le premier, porté par de riches documents 
constitue un témoignage historique de première importance; le second a 
plus valeur d'actualité.

Dominique Sureau (UCL Angers)

* Anne Steiner, Le temps des révoltes. Une histoire en cartes postales 
des luttes sociales à la «Belle Époque», éditions l'Échappée, 140 cartes 
postales, 22 euros, septembre 2024.

* Daniel Challe, Photos de classe, éditions Syllepse, collection les 
Utopiques, 20 euros, février 2024.

https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Iconographie-Histoires-ouvrieres-et-temps-de-revoltes
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