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(fr) Alternative Libertaire #352 (UCL) - Fachosphère: L'extrême droite tisse sa toile

Date Thu, 24 Oct 2024 17:36:44 +0100


Résultat de plusieurs décennies d'une «guerre culturelle» qu'elle mène sur plusieurs fronts, l'extrême droite, et par extension ses idées, apparaît aujourd'hui de plus en plus banalisée au sein des médias mainstream. Sur internet, elle semble même avoir gagné le «combat culturel». Des premiers blogs aux influenceurs et influenceuses de la génération Tik-Tok, deux livres récents aident à mieux cerner ce phénomène. ---- Deux ouvrages[1], publiés à quelques mois d'intervalle, proposent de décrire ce qui semble être l'irrésistible ascension des extrêmes droites sur le Net, prélude à leur omniprésence dans les médias mainstream, et en premier lieu ceux de la sphère Bolloré. Alain Chevarin, déjà auteur d'un ouvrage sur l'extrême droite lyonnaise[2], revient sur «l'emprise des extrêmes droites sur le Net», tandis que les journalistes de Libération Pierre Plottu et Maxime Placé racontent «comment l'extrême droite a (aurait?) gagné la bataille culturelle sur Internet». Deux styles, deux écritures différentes mais un même constat à la lecture: la visibilité accrue des extrêmes droites n'est pas fortuite et ne tient pas seulement à un jeu d'algorithmes, mêmes si ceux-ci ne sont pas neutres. Il s'agit avant tout d'une stratégie réfléchie, théorisée dès les années 1960 par Dominique Venner[3]et reprise une décennie plus tard par la Nouvelle Droite dans une perspective nommée le «gramscisme de droite». Pour tenter d'imposer une hégémonie culturelle d'extrême droite, ces militant·es se livrent à une «guerre culturelle» qui ne privilégie plus le traditionnel travail politique mais la «métapolitique», c'est à dire le fait d'agir sur le plan des idées et des représentations afin de les transformer. La «banalisation des idées d'extrême droite» étant dans cette perspective un préalable à la prise de pouvoir politique effective.

Une structuration en réseau

Dès 1962, Dominique Venner écrit qu'il est nécessaire de «combattre plus par les idées que par la force», dénonçant un «activisme stérile» de la part des groupes d'extrême droite. Sa stratégie implique une «pénétration systématique et patiente», son action «suivant les circonstances» sera «apparente ou non»[4]. Deux courants qui se revendiquent de Dominique Venner se développent: la Nouvelle Droite, incarnant le «pôle intellectuel» et le Nationalisme révolutionnaire, représentant le «pôle activiste». Moins visibles que la Nouvelle Droite qui créé dans le milieu des années 1970 des ponts avec la droite dite républicaine - notamment via le Groupement de recherche et d'étude pour la civilisation européenne (GRECE) - les nationalistes révolutionnaires ont «innervé la vie de la plupart des groupes d'extrême droite». Mais surtout, leur structuration en réseau propre au fonctionnement du Net amène les membres de cette mouvance à s'emparer très tôt des outils numériques pour y délivrer leur propagande. Ils apparaissent à visage découvert, mais le plus souvent de façon détournée.

La mise en oeuvre d'une «lutte métapolitique» a trouvé, avec l'évolution des technologies et le développement d'Internet, un champ d'action démultiplié. La pensée complexe y est quasiment absente au profit de l'émotion. Dans un article paru en 2008, «Douze thèses pour un gramscisme technologique»[5], Jean-Yves Le Gallou, ex-membre du GRECE et du Front national, livre le mode d'emploi du militantisme numérique des extrêmes droites et la manière de mener la «bataille des idées». Au menu: manipulation et abreuvage de contenu, tant via des sites et des blogs que sur les plateformes de vente en ligne - en premier lieu Amazon - qui se nourrissent de la démultiplication des références disponibles, donnent l'illusion du nombre et rendent visibles des mouvements ou théories groupusculaires. Capitalisme 2.0 et extrême droite n'étant pas du tout incompatibles, loin de là. Quant aux manipulations, notamment sur Wikipedia, elles sont connues et ne datent pas d'hier[6]. L'investissement des forums de sites mainstream est une caractéristique de l'activisme d'extrême droite sur le Net, les messages y étant diffusés sous forme potache, détournée ou à coups de mèmes indécryptables de prime abord pour les non-initié·es.

Activer les ressorts émotionnels

Ainsi un groupe de personnes peu nombreuses mais investies et très connectées entre elles, peuvent créer de toutes pièces une mobilisation d'importance en activant des ressorts émotionnels. C'est ce que démontre Alain Chevarin à propos des «journées du retrait à l'école» organisées en janvier 2014. Elles trouvent leur origine dans le prolongement des mobilisations contre le mariage pour tou·tes, portant leur lutte contre «le genre à l'école». Pourtant, elles ont largement débordé le cadre d'origine. Leur succès tient au fait que la diffusion de fausses informations a débordé la fachosphère traditionnelle et s'est diffusée hors de ses réseaux traditionnels. Cette pratique est caractéristique de l'activisme d'extrême droite de manière générale et particulièrement sur le Net. C'est via des listes de parents d'élèves et par des relais d'information, notamment Farida Belghoul (ancienne figure de la «marche des Beurs» dans les années 1980, alors proche d'Alain Soral et des catholiques intégristes de Civitas) que la mobilisation a touché des familles des quartiers populaires. Le succès de cette mobilisation a été le fruit de la mise en pratique de cette «lutte métapolitique» relayée dans un premier temps par des réseaux militants déjà constitués. Elle a ensuite réussi à s'élargir au-delà de ces réseaux, par la mobilisations de cadres émotionnels et affectifs. Les fakenews font aussi partie des moyens mobilisés: «obligation faite aux petits garçons de se déguiser en filles», «droit pour les enfants de se choisir leur genre», «initiation à la fellation en classe», «intervention d'associations LGBTI pour "apprendre" à devenir homosexuel·le», etc. Ces affirmations seront directement mises en lien avec des propos prétendument tenus par Laurence Rossignol, et abondement relayés par la fachosphère. Celle qui était alors secrétaire d'État chargée de la Famille, des Personnes âgées, de l'Autonomie et de l'Enfance aurait déclaré, selon ses détracteurs, que «les enfants n'appartiennent pas à leurs parents. Ils appartiennent à l'État». Il n'en fallait pas davantage à la fachosphère pour y voir la confirmation d'une «volonté» de l'État, lié à des lobbys LGBTI, de détruire la famille et de soumettre leurs enfants à une sexualisation précoce. Les «réactions émotionnelles annihilant la réflexion» sur ces réseaux participent grandement à faire partager une «vision du monde» conforme aux intérêts de l'extrême droite. Selon Alain Chevarin, ce sont les mêmes mécanismes qui agissent dans la sphère complotiste, sans nécessairement afficher leur adhésion. De nombreux sites d'extrême droite s'en font les relais, tirant «profit, parfois directement par la propagande intégrée, et toujours indirectement, par l'ambiance émotionnelle de peur qu'elles contribuent à créer et le rejet des "élites" qu'elles suscitent»[7].

L'avènement des influenceurs et influenceuses

Depuis 2016 et la publication de l'ouvrage fondateur sur la question, La Fachosphère de Dominique Albertini et David Doucet[8], une nouvelle figure a bouleversé les codes de la communication via le Net: il s'agit de l'influenceur. Mobilisation des affects, diffusion de fausses informations, complotisme plus ou moins affiché, langage codé, c'est le quotidien des influenceurs et influenceuses d'extrême droite. Les journalistes Pierre Plottu et Maxime Placé dissèquent les parcours depuis le Web jusqu'à l'édition et les médias traditionnels. Maîtrisant parfaitement les codes d'une culture web juvénile (trashtalk, shitposting...[9]) qui reste pour une très large part «sous les radars» des partis politiques traditionnels. Faire du politique sans faire de la politique, c'est leur créneau. Derrière l'humour potache et la mise en avant d'un certain savoir-vivre français, voire franchouillard, se mêle tout un business et des allers-retour entre prises de position politiques affichées, lesquelles ne sont pas toujours payantes en retour - celles et ceux ayant activement soutenu Éric Zemmour à la présidentielle l'ont appris à leurs dépends - et tentative de constitution d'une «communauté» élargie. Celle-ci doit par la suite être prête à passer de l'adhésion au soutien financier de ces influenceurs et influenceuses. On soulignera l'ironie de la part de celles et ceux qui font leur beurre sur la dénonciation continue des «parasites» et autres «assisté·es»!
Des nouveaux médias propices au développement des idées d'extrême droite

YouTube, X (ex-Twitter), Instagram, Tik-Tok, Deezer, Spotify[10]: autant de plateformes ayant redéfini les formats et les contenus du Net. Des influenceurs et influenceuses d'extrême droite y ont trouvé des espaces - à l'origine hyper permissifs - propres à la délivrance directe de leurs messages en interaction directe avec leur «communauté». La monétisation des vues a entraîné un business dans un premier temps assez juteux. Depuis 2020, cette manne s'est en partie asséchée du fait de mesures de fermetures de compte ou de démonétisations des vidéos prises par les principales plateformes. La surenchère n'est pas toujours payante, surtout qu'une fois installée, c'est de la «communauté» que viennent les propos les plus virulents. Les influenceurs et influenceuses n'ont qu'à actionner leur dog whistle (appel du pied)[11]pour que la meute bave et aboie les pires insanités.

Une partie des influenceurs et influenceuses ont tenté de faire fructifier en parallèle un business notamment dans le coaching. On en retrouve aujourd'hui aussi dans des médias plus traditionnels: la presse écrite (L'Incorrect), la radio (Radio courtoisie ou Sud Radio) ou encore les chaînes de télévision de la sphère Bolloré (CNews, C8, etc.). Ainsi, notent Pierre Plottu et Maxime Placé, «Thaïs d'Escufon, Alice Cordier, Baptiste Marchais... Ces influenceurs d'extrême droite ont leur rond de serviette chez Cyril Hanouna» où ils et elles sont reçus comme «porte-paroles d'un discours "légitime"». Le même discours soutient les hauts scores du RN qui, après la période de dédiabolisation marquée par la figure de Marine Le Pen, met aujourd'hui en avant le candidat Tik-Tok en la personne de Jordan Bardella.

Il est de notre devoir de prendre au sérieux les différentes manifestations de l'extrême droite et ne pas s'en soucier uniquement à l'avant-veille des scrutins électoraux. Comprendre les canaux de diffusion des idées des extrêmes droites pour les combattre est une nécessité, autant que de contrer leur présence dans la rue. Face à la présence, voire l'omniprésence, de l'extrême droite sur les plateformes commerciales et dans les médias tenus par des milliardaires, la nécessité d'allier lutte antifasciste et lutte anticapitaliste est plus que jamais d'actualité.

V. Klemperer (UCL)

++++
DES INFLUENCEURS MAÎTRISANT LES CODES

Les influenceurs d'extrême droite maîtrisent parfaitement les codes de la culture web que l'on retrouve sur les forums fréquentés par les jeunes dont le tristement célèbre jeuxvideos.com. Sur celui-ci, certains salons de chat sont de véritables défouloirs racistes, sexistes et homophobes sous couvert d'humour trash. Le trashtalking justement, désigne des propos volontairement agressifs, sur un registre à mi-chemin entre l'insulte et la provocation dont l'auteur se défendra en disant que ce n'est que de l'humour. C'est une version web du politiquement incorrect et comme ce dernier il sert à porter un discours réactionnaire et sexiste. Le shitposting qui est un message agressif et ordurier visant faire délibérément dévier un débat, des échanges. Souvent, ces messages en entraînent d'autres, polluant les échanges et empêchant les débats. Les influenceurs d'extrême droite ont également construit tout un univers de références qui leurs sont propres, parfois en lien avec la culture pop. On retrouve les mêmes procédés chez les masculinistes avec par exemple la red pill, en référence à la série de films Matrix, qui est la pilule qui permet d'accéder à la «vraie» vérité, accessible seulement aux «éveillés», ceux qui ne gobent pas les «discours officiels», et ici en l'occurrence qui se sont réveillés et deviennent des «vrais hommes», c'est à dire affirmant leur «supériorité» sur les femmes qui doivent rester «à leur place» à celle de soumises. Un discours partagé par les influenceurs d'extrême droite.


Notes:
[1]Alain Chevarin, Avant les Fake News. L'emprise des extrêmes droites sur le Net, L'Harmattan, mai 2024; Pierre Plottu et Maxime Macé, Pop fascisme. Comment l'extrême droite a gagné la bataille culturelle en ligne, Divergences, septembre 2024.

[2]Alain Chevarin, Lyon et ses extrêmes droites, Éditions de la Lanterne, 2021.

[3]Dominique Venner (1935-2013), a milité à Jeune Nation (mouvement nationaliste d'inspiration néofasciste créé en 1949 et dissout en 1958), a été membre de l'OAS et membre fondateur du GRECE. Il se suicide le 21 mai 2013, par balle, devant la cathédrale Notre-Dame de Paris pour protester contre «le "grand remplacement" de la population de la France et de l'Europe».

[4]Dominique Venner, «Sur un nouveau phénomène révolutionnaire», Défense de l'Occident, 26 novembre 1962, cité par Alain Chevarin, Avant les Fake News, op. cit., p. 28.

[5]Voir Frédéric Lemaire et Yohann Douet, «Gramsci, critique des médias?», Acrimed, 21 décembre 2020, consultable sur www.acrimed.org.

[6]Robin D'Angelo et Mathieu Molard, «Les documents qui déshabillent le système Soral», StreetPress, 31 aout 2015; Le Système Soral: enquête sur un facho business, Calmann-Lévy, 2015.

[7]Alain Chevarin, Avant les Fake News, op. cit., p. 101.

[8]Dominique Albertini et David Doucet, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la bataille du Net, Flammarion, 2016.

[9]Les influenceurs d'extrême droite maîtrisent les codes de la culture web que l'on retrouve notamment sur les forums de jeux vidéos: le trashtalking, qui est un parler volontairement provocant, sur un registre à mi-chemin entre l'insulte et la provocation; le shitposting qui est un message souvent agressif et ordurier visant à faire délibérément dévier un débat. Ils ont également construit un univers de références qui leurs sont propres, parfois en lien avec la culture pop. Par exemple la red pill, en référence à la série de films Matrix, qui est la pilule qui permet d'accéder à la «vraie» vérité, accessible seulement aux «éveillés», que l'on retrouve chez les masculinistes.

[10]Concernant les plateformes de streaming musical et de podcasts, voir Maxime Macé et Pierre Plottu, «Hymnes nazis, chants racistes, podcasts complotistes: sur Deezer et Spotify, l'extrême droite dans les oreilles», Libération, 10 mai 2024.

[11]«Repérages: le dog whistle, ça ameute», Alternative libertaire, no 328, juin 2022.

https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Fachosphere-L-extreme-droite-tisse-sa-toile
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