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(fr) UCL 49 - La Révolution comme horizon, Communistes, syndicalistes révolutionnaires et libertaires en Anjou (1914-1923)
Date
Mon, 6 Mar 2023 19:22:07 +0000
Des militant·es de l'UCL 49 ont rencontré Frédéric Dabouis, autour du
livre La Révolution comme horizon, Communistes, syndicalistes
révolutionnaires et libertaires en Anjou (1914-1923) publié aux éditions
Syllepse en 2022. C'était l'occasion de réaliser un entretien pour
L'Anjou libertaire! ---- Question AL 49: Depuis combien de temps
travailles-tu sur ce livre? Quelles en sont les origines, tes
motivations ? ---- J'ai travaillé sur les archives de Louis et Gabrielle
Bouët aux Archives nationales, mais aussi aux Archives départementales
de Maine-et-Loire dès le milieu des années 80. J'ai accumulé des
documents pendant des années en espérant un jour pouvoir faire une
synthèse, alors que pendant cette période, tout en assurant mes cours,
j'étais aussi militant syndical à la FEN puis à la FSU (tendance Ecole
émancipée) et militant politique à la LCR, puis au NPA. Je n'avais pas
beaucoup de temps libre dans l'année, je travaillais donc surtout
pendant les vacances. J'ai attendu d'être à la retraite pour faire cette
synthèse qui m'a pris deux années. En fait le livre était prêt il y a
deux ans quand Syllepse a accepté de le publier. Au début, je pensais
que ce serait beaucoup moins volumineux. J'ai été moi-même surpris par
la place prise par la dernière partie, la plus thématique et aussi la
plus riche du point de vue des idées. Ce que je voulais faire, c'est
continuer le travail de Maurice Poperen sur l'histoire du mouvement
ouvrier angevin (arrêté en 1914), et cela dans l'esprit du Maitron (le
dictionnaire biographique du mouvement ouvrier), c'est-à-dire avec la
volonté de mettre en valeur l'action des militants de base.
AL 49: Dans ton livre, tu montres que l'idée selon laquelle le
communisme aurait été une «greffe» effectuée sur le mouvement ouvrier
français à la suite de la révolution russe de 1917 est fausse. L'attrait
pour l'idéal communiste résulterait en fait d'une réaction du mouvement
ouvrier aux horreurs de la guerre de 1914. Beaucoup alors, dont des
libertaires, se sont retrouvés dans le PC. Peut-on dire, à partir de ce
qui s'est passé en Anjou, que le PC à ses débuts, réunissait les
principaux courants du mouvement ouvrier? Est-ce que les anarchistes y
étaient présents en nombre ou est-ce que beaucoup sont restés en dehors?
En fait, dans les idées défendues par le PC à partir de 1921, certaines
étaient déjà défendues avant la guerre par différents courants du
mouvement ouvrier, dont les libertaires. Le mot «communiste» lui-même
était associé avant 1914 aux courants libertaires, comme la Fédération
Anarchiste Communiste Révolutionnaire de langue française. Il y avait
aussi le courant syndicaliste révolutionnaire, ainsi qu'un courant
antimilitariste dans le Parti Socialiste SFIO. Cette fibre
révolutionnaire était très minoritaire dans le Parti Socialiste mais
majoritaire à la CGT jusqu'à la trahison de Jouhaux et de la majorité du
Parti socialiste en 1914. Tous ceux qui ont été écoeurés par la
participation du mouvement ouvrier à l'Union sacrée se sont retrouvés
petit à petit au début de la guerre pour essayer de reconstruire le
mouvement ouvrier révolutionnaire tel qu'il existait avant la guerre,
donc à partir de différents courants. A partir de 1917, une bonne partie
s'est retrouvée dans la ligne adoptée par les bolchéviks, notamment
l'idée d'une république basée sur les soviets, c'est-à-dire des conseils
de travailleurs, d'ouvriers, de paysans, de soldats. Cela s'est
concrétisé dès 1919 dans le comité de la 3ème Internationale, une
Internationale ouverte alors au mouvement libertaire. Il y a eu
d'ailleurs, en 1920, un tout premier Parti communiste, la Fédération
communiste des soviets, de tendance assez libertaire, mais qui a été
éphémère. Puis après le Congrès de Tours (décembre 1920), c'est le début
du Parti communiste tel qu'on le connaît dans lequel il y a plusieurs
courants. Il y a même des courants clairement réformistes, je pense
notamment à Frossard qui a été le premier secrétaire général du parti,
qui sont restés au PC par opportunisme. Alors est-ce que tous les
libertaires sont entrés au Parti communiste? Non, il y a des libertaires
qui sont entrés au PC dès 1921, par exemple dans la Loire Benoît Frachon
qui était anarchiste à l'origine et qui a été secrétaire de la CGTU puis
de la CGT, des années 30 à 1967. Mais en Anjou, l'anarchiste historique
c'est Emile Hamelin qui lui se méfie du PC. Il est toujours resté en
dehors de ce mouvement. En fait, les deux libertaires qui se sont le
plus investis dans la fondation du Parti Communiste sont François
Bonnaud et Maurice Faivre, deux cheminots révoqués à la suite des grèves
de 1920. Ils sont jeunes, libertaires depuis peu, leur conscience
politique s'est en fait formée pendant la guerre. Par exemple, on
l'apprend dans les carnets de François Bonnaud, au début de la guerre ce
dernier est plutôt «va-t-en guerre» et avec l'expérience de la guerre il
devient antimilitariste, libertaire et partisan de la 3ème
Internationale, puisque c'est la Révolution russe d'octobre 17 qui a été
l'un des éléments qui ont mis fin à la guerre.
AL 49: L'antimilitarisme semblait beaucoup plus présent à l'époque
qu'aujourd'hui?
Avant 1914, l'antimilitarisme était un des piliers de la CGT seule
confédération ouvrière jusqu'en 1919. En effet, la CGT était dirigée
alors par des syndicalistes révolutionnaires et des
anarcho-syndicalistes. L'antimilitarisme était l'un de ses principes
dans la mesure où à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, dès
qu'il y avait une grève un peu dure, on envoyait tout de suite l'armée.
Il n'y avait pas les CRS, des troupes «adaptées» au maintien de l'ordre
comme on connaît aujourd'hui. L'armée tirait dans le tas comme ça a été
le cas à Fourmies le 1er mai 1891 pour réprimer une manifestation
ouvrière (9 morts dont deux enfants). La CGT a même participé à une
association, l'AIA (Association Internationale Antimilitariste) qui a
collé des affiches partout en France pour dénoncer le militarisme et les
opérations coloniales. Le Parti socialiste aussi était plutôt
antimilitariste mais je dirais d'une manière un peu plus molle. Jaurès
avait écrit un livre sur «l'armée nouvelle», pour une armée populaire,
un peu comme en Suisse, une armée de citoyens, mais seule l'aile la plus
à gauche du Parti socialiste était aussi antimilitariste que la CGT.
AL 49: Et sur l'anticolonialisme?
Il faut dire que le Parti socialiste, et donc aussi le PC à sa
naissance, avait des sections dans les colonies, en particulier en
Algérie. Ce qui est le plus connu, c'est l'affaire de la section de Sidi
Bel Abbès qui a voté une motion franchement colonialiste. En gros, les
socialistes d'Afrique du nord étaient en grande majorité européens et
donc forcément beaucoup moins sensibles à l'oppression coloniale que ne
pouvaient l'être les «indigènes» algériens, tunisiens ou marocains,
comme on disait à l'époque. Ça a été le gros problème du PC pendant des
années, même s'il y a eu des gens courageux à la direction du PC
algérien pendant la guerre d'Algérie. Au début des années 20, il a fallu
une prise en charge de cette question par les Jeunesses communistes pour
que la question coloniale soit vraiment mise en avant, à la demande de
l'Internationale communiste. Ça faisait partie des prises de positions
des premiers congrès de l'Internationale communiste mais c'était
appliqué mollement par la direction de la section française et par
Frossard, qui a d'ailleurs démissionné en janvier 1923.
AL 49: A un moment en 1922, le militant libertaire François Bonnaud émet
des idées sur la rotation des mandats dans le syndicat afin de lutter
contre la bureaucratisation mais aussi pour déjouer la répression. On a
l'impression que celles-ci n'ont pas vraiment retenu l'attention de ses
camarades? Est-ce exact?
L'intérêt de la prise de position de Bonnaud c'est qu'il a très vite
pris conscience, comme tout le courant libertaire, des dangers de la
bureaucratie, notamment syndicale, mais pas seulement. Chez les
bolchéviks, il y avait aussi des militants qui en avaient pris
conscience, et chez certains partisans de la 3ème Internationale, comme
Rosa Luxembourg. Chez Lénine cela apparaît surtout dans certains de ses
derniers écrits, au moment de ce que Moshe Lewin appelle son dernier
combat, contre Staline et contre la bureaucratie qui appuyait Staline.
Mais dans le PCF, en fait cette problématique apparaît très peu.
AL 49: François Bonnaud avait évoqué cette questions dans L'Anjou
Communiste après avoir lu un article dans Le Libertaire qui défendait
l'idée de rotation des mandats, pour lutter contre la bureaucratie mais
aussi pour lutter contre la répression, si on fait tourner les mandats
ça permet à certains militants d'être moins exposés...
Pour moi c'est un angle mort dans les discussions au sein du mouvement
communiste, jusqu'à la fin des années 20, à part quelques textes isolés.
Par exemple, sur les dangers bureaucratiques, il y a un texte très fort
de Trotsky dans «Nos tâches politiques» (1904). C'est une critique de
Lénine qui veut à l'époque, par souci d'efficacité dans la lutte contre
la dictature tsariste, un parti très centralisé avec une direction
forte. Trotsky dit en gros que si on va dans ce sens là, les militants
finiront par être dépossédés au profit du comité central qui sera
dépossédé au profit du bureau politique qui lui-même sera dépossédé au
profit du dictateur. C'est un texte prémonitoire. Les trotskystes
commencent donc à faire des critiques de la bureaucratie à partir de
1923 et surtout après leur expulsion de l'Internationale communiste à la
fin des années 20. Ça va devenir une référence pour le mouvement
trotskyste. Quant à l'idée de la rotation des mandats c'est
effectivement quelque chose d'indispensable pour éviter la bureaucratie
mais aussi pour atténuer les effets de la répression. En effet, les
années 1920 sont une période de répression intense de tous les
mouvements révolutionnaires, la bourgeoisie a peur que la révolution se
développe dans certains pays. Bonnaud a raison de dire qu'en faisant
partager et assumer les responsabilités à davantage de militants et en
assurant une rotation des mandats on fragilise moins le mouvement dans
son ensemble. C'est une question importante.
AL 49: Dans ton livre tu parles des débuts de la prise en compte du
féminisme par le mouvement ouvrier, notamment sous l'influence de Clara
Zetkin. Le 8 mars prochain, c'est la journée internationale de lutte
pour les droits des femmes. Que t'inspire la comparaison des deux époques?
Comme je le dis dans mon livre, il y a deux branches dans le mouvement
féministe à l'époque comme aujourd'hui: au début des années 20, le
féminisme bourgeois se borne à revendiquer le droit de vote et plus
globalement l'égalité des droits, alors que l'autre, le féminisme
révolutionnaire, sur la lancée du mouvement international des femmes
socialistes fondé par Clara Zetkin avant 1914, va plus loin et
revendique aussi l'égalité salariale, c'est-à-dire l'égalité économique
et sociale. C'est une différence importante. Aujourd'hui, le droit de
vote est un acquis, et au niveau de l'égalité juridique, il y a pas mal
de choses qui ont été obtenues par les différentes vagues féministes. Et
même s'il y a encore à faire, il y a eu d'énormes progrès en matière de
droit à l'avortement et à la contraception. Cela dit, je pense qu'il y a
des thématiques qui n'existaient pas ou peu à l'époque, concernant
notamment les violences à l'égard des femmes et les féminicides, et qui
aujourd'hui sont centrales pour le mouvement des femmes.
AL 49: Y a-t-il une spécificité du mouvement ouvrier angevin?
La spécificité, c'est l'influence dans le premier PC et la CGTU des
années 20 des syndicalistes révolutionnaires alliés aux libertaires. Les
syndicalistes révolutionnaires, ce sont Louis Bouet et son équipe
d'institutrices et d'instituteurs; les libertaires ce sont les
syndicalistes cheminots révoqués, François Bonnaud et Maurice Faivre,
pour ne parler que des militants les plus actifs. Mais la spécificité du
mouvement ouvrier angevin, c'est aussi qu'il est très faible dans un
environnement particulièrement réactionnaire. Ce sont des gens qui sont
aussi très minoritaires dans leur milieu. Par exemple, chez les
instituteurs, les syndicalistes révolutionnaires affiliés à la CGTU
représentaient à peine 10 % du personnel. Le reste était affilié à
l'amicale des instituteurs qui s'est transformée dans les années 20 en
Syndicat national des instituteurs (SNI) adhérent à la CGT et qui était
très corpo. On est donc en présence d'un mouvement ouvrier faible, mais
en même temps assez radicalisé. Dans d'autres départements plus ouvriers
c'est le centre du parti socialiste qui a basculé à gauche à cause de la
guerre, mais sans être forcément aussi radical et porteur d'idées
nouvelles comme le féminisme ou l'antimilitarisme.
AL 49: Quel regard portes-tu sur la réalité du mouvement ouvrier
aujourd'hui en parallèle à la période que tu décris? Penses-tu que l'on
puisse faire des liens avec la période actuelle ou tirer des leçons de
cette époque qui nous seraient utiles aujourd'hui?
Vu les dégâts du capitalisme et des différents impérialismes
aujourd'hui, il y a toujours, c'est le titre de mon livre, l'actualité
d'une révolution, c'est-à-dire d'un changement complet de régime
économique, social et politique, et cela même si les perspectives
politiques immédiates ne sont pas forcément très bonnes. Pour moi, c'est
une nécessité, dans la lignée de la formule de Rosa Luxemburg,
«Socialisme ou barbarie». C'est un choix à faire. Rien n'est gagné
d'avance. Mais il y a une question plus immédiate, par rapport à la
lutte en cours sur la question des retraites: c'est l'actualité de la
grève générale. Cette question a été posée dès la fin de la guerre, sur
fond d'inflation, de forte hausse du cout de la vie. Il y a eu en effet
des grèves importantes au printemps 1919 et surtout au printemps 1920,
notamment chez les cheminots. Et malheureusement, à l'époque, la
stratégie de la CGT de Léon Jouhaux a été de faire des grèves tournantes
par corporation. Et cela a été considéré par les syndicalistes
révolutionnaires et les futurs communistes comme une véritable trahison
du mouvement puisqu'au lieu de peser tous ensemble sur le patronat et
l'État, les mouvements ainsi fragmentés ont pu être réprimés plus
facilement, les uns après les autres. Et aujourd'hui, si nous voulons
gagner dans la lutte actuelle sur les retraites, la grève générale est
une question incontournable.
AL 49: Le capitalisme est un système mortifère et destructeur. Ton
ouvrage montre la nécessité et la difficulté qu'il y a à construire une
organisation révolutionnaire pour en sortir. Peux-tu nous éclairer?
Ce qui est intéressant dans l'étude de cette période, c'est de voir
qu'un parti socialiste ou communiste révolutionnaire pluraliste est
possible. Cela a existé entre 1921 et 1923 avec la cohabitation, dans la
mouvance de l'Anjou communiste, de plusieurs courants y compris des
courants syndicalistes. Et cela montre en même temps, et cela apparaît
dans la dernière partie de mon livre, ce qu'il ne faut pas faire.
C'est-à-dire, sous prétexte d'efficacité, empêcher le libre débat par
des mesures autoritaires, bureaucratiques comme cela a été le cas à
partir de 1924 dans l'Internationale communiste, ce qui a abouti à
exclure des militants révolutionnaires qui demandaient simplement à
pouvoir débattre librement, comme c'était pourtant la règle avant 1914
dans les partis socialistes quels qu'ils soient, très réformistes,
social-démocrates ou révolutionnaires. C'est en fait le droit de
tendance dans le parti révolutionnaire qui a été nié. Au fil des ans, ce
refus du libre débat a facilité, dans les partis communistes, la
déviation stalinienne. Celle-ci a malheureusement bénéficié, dans le
sillage de la révolution russe, de l'image trompeuse de prospérité de
l'URSS pendant la crise économique des années 30, puis du prestige de
l'URSS victorieuse après 45. Certes, cela a aidé le développement des
partis communistes jusqu'aux années 50-60 mais sur un terrain pourri,
c'est-à-dire celui de la dictature bureaucratique, de l'oppression de la
classe ouvrière soviétique, et aussi d'un régime totalitaire sanguinaire
dès les années 30, ce que Trotsky a décrit très tôt comme un processus
contre-révolutionnaire. A terme, cela ne pouvait mener qu'à
l'effondrement total du régime soviétique et dans la foulée, de la
plupart des partis communistes qui s'identifiaient à l'URSS. Ce modèle
de construction d'un parti monolithique est l'exemple de ce qu'il ne
faut pas faire.
AL 49: En fait, la diminution du pluralisme des courants est parallèle à
l'évolution négative de la révolution russe?
Il n'y a pas de lien mécanique entre les deux phénomènes. Des
oppositions internes et externes aux PC auraient pu reprendre du poil de
la bête dès les années 30, car on connaissait déjà l'existence de ce
qu'on a appelé ensuite le goulag, et qui a été mis en place à la fin des
années 20. Dès cette époque, le système concentrationnaire soviétique
s'est en effet généralisé comme un mode de gestion des opposants
politiques, anarchistes, socialistes, trotskystes, etc., avant de
s'étendre à toute la population, notamment les fameux «koulaks» lors de
la collectivisation forcée des terres, et tout cela était connu dès le
début des années 30, grâce à de nombreux témoignages. Il suffisait de se
renseigner. En même temps, à partir de 1933, la politique étrangère de
la France, par exemple, c'était plutôt de rechercher une alliance avec
l'URSS pour contrer l'arrivée au pouvoir des nazis et le réarmement
allemand. Dans cette perspective de rapprochement, qui sera concrétisée
en 1935 par le pacte Laval-Staline, les autorités françaises n'avaient
pas intérêt à discréditer le régime stalinien. Ainsi, Edouard Herriot,
le chef d'un des principaux partis politiques français de
l'entre-deux-guerres, le parti radical, parti pivot qui a figuré dans
pratiquement tous les gouvernements de l'époque, fait un voyage en URSS
en 1933, au moment de la grande famine en Ukraine, et déclare
publiquement qu'il n'a rien vu et que cette tragédie n'existe pas...
AL 49: Mais ne penses-tu pas que la dégénérescence de la révolution
russe était bien avancée avant les années 30 et que le pluralisme
existant dans l'Effort social puis dans l'Anjou communiste s'est éteint
progressivement aussi plus tôt?
La dégénérescence de la Russie soviétique commence avant même la
fondation de l'URSS en décembre 1922, dès la fin de la guerre civile et
de l'intervention étrangère (été 1920). En effet, dès le début 1921, des
grèves éclatent sur les salaires, le niveau de vie, des révoltes
provoquées par la famine aussi. A Saint-Pétersbourg, les grèves sont
réprimées par le régime soviétique. C'est pour moi le début de sa
dégénérescence du régime. Et puis, il y a l'insurrection de Cronstadt en
mars 1921, brutalement réprimée par l'Armée rouge. Tout cela a été
forcément insupportable pour ceux des libertaires qui avaient adhéré au
PC. Alors c'est vrai que la menace de la contre-révolution n'avait pas
complètement disparu, qu'il y avait encore la pression des troupes
anglaises qui n'étaient pas très loin, avec juste la Baltique à
traverser. Et certes, la guerre civile était à peine terminée depuis
quelques mois, mais c'est la plus mauvaise des solutions qui a été
appliquée face aux mouvements sociaux. Je pense que c'est à ce moment là
que Faivre et Bonnaud ont quitté le PC, sans doute à la fin de l'année
1921 ou au début de l'année 1922. Mais je pense aussi qu'en quittant
discrètement le PC, sans déclaration publique, l'un comme l'autre ont
pris garde de ne pas affaiblir Bouët, qui lui-même était dans l'aile
gauche du Parti communiste, et avec qui ils avaient des rapports
amicaux. Ils n'ont pas voulu l'affaiblir par rapport aux autres
courants, plus «droitiers», du PC. De fait, ils étaient entrés au PC
après le congrès de Tours puisqu'ils étaient dans la nouvelle majorité
issue de ce congrès en décembre 1920, mais ils n'y sont pas restés
longtemps après. Cela dit, même après la démission des libertaires du
PC, le pluralisme qui existait dans L'Effort social avant Tours s'est
perpétué dans toutes les rubriques (politique, syndicale, etc.) de
L'Anjou communiste, jusqu'à la disparition du journal fin septembre
1923. Ainsi, en 1922, les libertaires (François Bonnaud, Georgette
Perrein, Emile Hamelin) reconstruisent un groupe anarchiste dont les
réunions sont annoncées dans L'Anjou communiste. La «normalisation»
bureaucratique, ce que les historiens du mouvement communiste appellent
la «bolchévisation», n'apparaît qu'en 1924, avec l'exclusion brutale de
grandes figures nationales de l'aile gauche du PC, Boris Souvarine et
Alfred Rosmer.
AL 49: Décrire et analyser l'histoire du mouvement ouvrier en Anjou
c'est-à-dire localement semble une excellente passerelle pour susciter
l'intérêt du plus grand nombre pour le mouvement ouvrier en général?
A mon avis, cela rend les discussions, les débats plus concrets et
permet de faire des ponts avec la situation actuelle, toutes proportions
gardées.
AL 49: Penses-tu qu'un journal local regroupant différents courants
révolutionnaires et qui serait le porte-voix des luttes locales comme
pouvaient l'être d'abord l'Effort social puis l'Anjou communiste serait
possible et/ou souhaitable aujourd'hui?
Je pense que cela serait souhaitable surtout dans une période où
l'extrême-droite est ascendante. Après est-ce que c'est possible? Je
pense que ça l'est entre des courants révolutionnaires ouverts,
eux-mêmes déjà pluralistes.
Al 49: Veux-tu rajouter quelque chose?
Ce qui me tenait à coeur, c'était de faire revivre ces vies militantes
d'il y a un siècle toujours un peu oubliées, rappeler des idées et des
débats eux aussi un peu oubliés, en les resituant bien sur dans le
contexte national et international de l'époque, et avec l'espoir de
relancer le débat d'idées entre militant-e-s.
Si vous voulez vous procurer le livre, rendez-vous à la librairie Les
Nuits Bleues 21 rue Maillé à Angers. Le livre est également disponible
dans d'autres librairies de la ville, mais soutenir une librairie
militante et associative c'est toujours mieux!
Sinon il est possible de le commander sur le site de Syllepse:
https://www.syllepse.net/la-revolution-comme-horizon-_r_65_i_913.html
https://unioncommunistelibertaire49.fermeasites.net/spip.php?article162
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