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(fr) CNT-AIT - Anarchosyndicalisme et changement climatique
Date
Mon, 16 May 2022 17:47:06 +0100
Un appel à un groupe de réflexion a été lancé dans l'AIT (Association
Internationale des Travailleurs) sur la question de l'approche
anarchosyndicaliste vis-à-vis du problème du changement climatique. Je
vous propose ici l'état de ma réflexion personnelle, mais qui s'est
nourris des échanges, des débats et des expériences de lutte que nous
avons avec les compagnons de la CNT-AIT en France. ---- Depuis plus de
30 ans, nous avons été impliqués - comme de nombreuses sections de l'AIT
- dans des luttes écologiques liés à la crise climatique présente et à
venir. Notre implication dans ces luttes s'est toujours faite selon une
approche double: aborder le problème environnemental dans son contexte
global (capitalisme, Etat) mais aussi aborder une autre pratique
organisationnelle, plus horizontale, à travers des assemblées populaires...
Nous avons participé à de nombreux mouvements (antinucléaire, contre les
usines pétrochimiques, ...) à différentes «ZAD» (Zones à défendre,
occupation d'espaces naturels contre chantiers: Vingrau, Somport,
Sivens, ...), la plus récente était une lutte contre un barrage local.
Cette lutte est assez similaire à notre compréhension de la lutte que
les compagnons de l'ASI de Serbie soutiennent contre les micro-centrales
hydroélectriques.
Pour répondre à la question sur l'action anarchosyndicaliste à la crise
climatique, il me semble d'abord nécessaire de développer une meilleure
compréhension de ce qu'est la crise climatique, d'où vient-elle, quelles
en sont les causes et les conséquences. Ainsi, l'une des activités
auxquelles nous avons participé a été d'introduire un débat entre nos
membres et amis sur la crise et sa signification. Dans ces échanges,
nous avons parlé des technologies modernes et de la science. Dans
l'opinion publique, il existe une opinion commune selon laquelle - pour
résoudre la crise - il faut s'appuyer totalement sur les scientifiques
et la technologie moderne - ce qui pourrait conduire à la dictature des
experts et des techniciens. D'autres - étiquetés comme
«anti-industriels» - pensent au contraire qu'il faut bruler toute
civilisation.
À ce stade de notre réflexion collective, nous sommes entre ces deux
pôles: pour un usage limité et sobre des technologies. Les assemblées
territoriales devraient décider quels sont leurs besoins et comment
produire, cela signifie donc quelle technologie est acceptable ou non
acceptable. Cette question technologique a aussi un impact sur le
travail et l'organisation du travail (automatisation, intelligence
artificielle, ubérisation) alors en tant qu'anarchosydicalistes nous
devrions échanger là-dessus, et nous cherchons à avoir l'avis des autres
sections de l'AIT sur ce sujet.
Ensuite, sur la façon d'agir concrètement contre la crise climatique, il
me semble qu'il y a deux niveaux: Au niveau mondial, nous ne voyons pas
d'autre issue que de faire la révolution, détruire le capitalisme et au
lieu de cela développer un réseau auto-organisé de fédérations. Mais
c'est un objectif à long terme certainement...
Certaines manifestations et marches ont été organisées en France pour
alerter sur la crise climatique et pour demander au gouvernement d'agir,
sur la base de rapports scientifiques. Ces marches étaient souvent
organisées par des groupes tels que «extinction rébellion», pour nommer
le plus médiatique. Nous sommes assez méfiants envers ce groupe, et
assez méfiants envers sa méthodologie et ses formulations. Ils ne se
plaignent pas du capitalisme (ils critiquent plutôt le néolibéralisme).
Ils demandent au gouvernement d'agir (alors que nous voulons détruire le
gouvernement). À notre avis, leur appel à une solution scientifique est
souvent un appel au «capitalisme vert».
Par exemple, l'un de nos membres travaille pour une entreprise dont une
filiale développe de la «viande végan» (de culture). Cette entreprise
soutient discrètement le mouvement végan, car cela aide l'entreprise à
créer et à étendre le marché de leur futur produit. Aussi, tout le
discours scientifique actuel sur «l'agriculture de précision pour faire
face à la crise climatique» est en fait officiellement soutenu par
toutes les grandes entreprises et multinationales agroalimentaires...
Aussi, appeler à remettre le pouvoir de décision entre les mains des
experts scientifiques et techniques, c'est prendre le pouvoir de
décision des mains de la population et le mettre entre les mains
d'experts et in fine de grandes entreprises... Cela ne veut pas dire que
nous ne devons pas écouter la science ou les scientifiques. Mais la
science n'est pas neutre, elle est toujours au service d'une politique
déterminée. Donc la politique - l'idéologie si vous préférez - vient
toujours en premier. La science devrait donner des éléments
d'appréciations aux assemblées populaires locales, qui devraient avoir
la capacité de décision, et non au gouvernement ou à l'État.
Pour le moment, nous n'avons pas décidé de rejoindre ces marches
climatiques, car nous sommes occupés par d'autres sujets tels que le
mouvement des gilets jaunes. Mais ce qui est intéressant, c'est que le
mouvement des Gilets Jaunes a lui-même fait la jonction avec la question
de la crise climatique: Le mouvement des gilets jaunes a été déclenché
par la question de la taxe sur les carburants. Les gens qui ont du mal à
survivre jusqu'à la fin du mois avec leur bas salaire voulaient que le
prix du carburant baisse.
Le gouvernement, les politiciens conservateurs MAIS AUSSI LES
ÉCOLOGISTES (Parti Vert EELV) s'en sont pris aux mouvements des Gilets
Jaunes, disant qu'ils étaient égoïstes, qu'ils ne pensaient pas à
l'environnement, que les gilets jaunes voulaient seulement avoir le
droit de polluer plus en utilisant leurs voitures... La réaction des
gilets jaunes fut très intéressante: cette question a été débattue dans
de nombreuses assemblées locales (les rond-points occupés). Une réponse
convergente a alors émergée de ces débats, sans que ce soit forcément
coordonné. Cette réponse a été débattue et finalement adoptée par la
plupart des ronds-points et est devenue l'expression commune du
mouvement: si les Gilets jaunes conduisent leur voiture pour aller au
travail, à l'école, au supermarché, ce n'est pas par libre choix, mais
parce que l'organisation de la société les y a contraints. Ils
préféreraient vivre dans des quartiers bourgeois riches, aller à leur
travail à vélo ou rester chez eux pour travailler avec leur ordinateur,
acheter et manger des produits bio... Mais ils n'ont pas le choix à
cause de la division du travail et du système de classe. Alors les
Gilets jaunes ont dit que les deux problèmes (comment survivre jusqu'à
la fin du mois, comment survivre jusqu'à la fin du monde) sont liés.
Problème social et problèmes écologiques sont liés. Nous devons donc
changer notre société dans son ensemble.
Il est intéressant de voir que la révolte de 2019 Équateur a été
similaire, dans son déclenchement et ses conclusions. D'après les
compagnons anarchistes équatoriens avec qui nous avons échangé. C'est
également la question du prix du carburant qui a mis le feu aux poudres.
Les écologistes (urbains) ont également reproché aux émeutiers de
demander le droit de détruire davantage Mère Nature... Et les assemblées
locales - aussi bien urbaines qu'indiennes - ont répondu qu'au contraire
elles veulent juste avoir la possibilité de vivre dignement, dans un
environnement préservé, et que c'est l'organisation de l'économie qui
détruit à la fois leur vie et leur environnement naturel.
Pendant le mouvement des Gilets jaunes (comme en Equateur) un réseau de
solidarité a émergé, pour fournir de la nourriture, partager des biens
et des services. Très souvent, les gens ont pris en considération la
question climatique (partager les transports pour diminuer la pollution
par exemple). Bien sur, cela a été à petite échelle et dans un temps
limité, mais cela montre que les gens ont la pleine capacité de
comprendre le problème et d'agir, ils n'ont pas besoin d'un expert pour
leur dire quoi faire ou non.
Nous pensons que cet exemple nous montre que la méthodologie
anarchosyndicaliste des assemblées populaires, est tout à fait valable
pour la prise de conscience comme pour l'action.
Un autre problème que nous voyons avec des groupes comme Extinction
Rebellion, mais aussi avec certains faux insurgés (comme le groupe
«Tiqqun / Appel - the coming insurrection») qui sont très présents dans
ces marches climatiques ou ZAD, est la confusion qu'ils font sur le
terme » action directe». Ils confondent l'action directe réelle (qui est
l'action sans représentant, par les premiers concernés) avec «l'action
spectaculaire» (qu'elle soit violente ou qu'elle soit médiatique). En
fait, tous les deux veulent diriger le mouvement dont ils s'érigeraient
en représentants médiatiques. Ce ne sont que les deux faces d'une même
pièce. Et nous avons du les affronter dans le passé dans certaines luttes.
CONCLUSION:
Je pense que les anarchosyndicalistes, et singulièrement l'AIT à travers
ses sections, pourrait jouer un rôle en étant un réseau d'échange
d'informations, d'analyses et d'opinions théoriques, mais aussi sur les
luttes locales auxquelles nous participons. Les sections devraient être
encouragées si possible à traduire davantage leurs documents et à les
partager directement avec les autres sections (ceci est valable, pas
seulement sur cette question en fait...). Ces échanges peuvent créer une
émulation et une coordination entre les sections sur la question
climatique comme sur les autres.
Une compagne de la CNT-AIT (France)
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