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(fr) Organisation Communiste Libertarie (OCL) - Enquête ouvrière et luttes sociales
Date
Sat, 3 Aug 2024 18:34:25 +0100
Le monde du travail est devenu atomisé et précarisé. La restructuration
de la production atténue la combativité ouvrière. Il devient
indispensable de se penche sur les mutations des conditions de travail
pour renouveler la lutte des classes. Les grèves, même locales et
sectorielles permettent de diffuser des pratiques d'auto-organisation et
d'action directe. ---- Pour mieux comprendre les évolutions du
capitalisme, l'enquête ouvrière demeure un outil incontournable. Le
groupe La Mouette Enragée propose un questionnaire pour se pencher sur
les conditions de travail dans le capitalisme contemporain. Cette étude
ne prétend pas à l'objectivité scientifique mais préfère adopter un
point de vue de classe. La majorité des témoignages recueillis
proviennent de travailleuses et travailleurs du secteur privé. Ces
salariés sans statut spécifique restent au coeur du procès d'extorsion
de la plus-value. Seules les grèves et les luttes leur permettent de
devenir visibles. Les salariés du privé sont 20 millions aujourd'hui en
France.
Cette multitude atomisée reste considérée comme amorphe et fataliste.
Ces salariés participent peu aux grandes mobilisations
interprofessionnelles. Mais ce sont ces prolétaires qui influencent le
cours de la lutte des classes, qui impulsent un regain d'énergie et de
radicalité. Le mouvement ouvrier historique repose sur l'action directe,
avec la perspective d'une révolution sociale, avant de s'engluer dans
les réunions et les négociations. Cependant, l'isolement et la mise en
concurrence favorisent la dépolitisation. Ce sont les rencontres et le
partage d'expériences qui peuvent permettre d'ouvrir une perspective de
lutte collective. La Mouette Enragée présente son enquête et sa démarche
dans le livre Avant de faire le tour du monde, faire le tour de l'atelier...
Enquête ouvrière et lutte des classes
La jeunesse qui participe au mouvement contre la Loi travail, mais aussi
les milieux militants, n'entretiennent aucun lien avec le monde du
travail. La lutte dans les entreprises est considérée comme laborieuse
et peu gratifiante. Les militants privilégient les happenings
symboliques sans conséquences, mais qui peuvent être plus facilement
médiatisés. Cependant, le travail et l'exploitation restent au coeur du
capitalisme.
L'enquête ouvrière repose sur le questionnaire et la collecte de
témoignages. Cette pratique est adoptée par des militants politiques ou
syndicaux extérieurs à l'entreprise. L'expérience des Cahiers de Mai,
dans le sillage du bouillonnement des années 1968, illustre cette
démarche. L'enquête de l'intérieur est menée par des militants
politiques ou syndicaux qui travaillent dans l'entreprise. Le Comité de
Porto Marghera adopte cette pratique. Ensuite, «l'enquête à chaud»
émerge quand la masse atomisée s'organise en collectif. Des liens de
solidarité permettent alors de partager des expériences.
L'enquête ouvrière permet de se pencher sur l'évolution des conditions
de travail. Ce qui favorise l'observation de la permanence d'un
prolétariat. Ensuite, l'enquête permet également d'observer les
restructurations de l'appareil productif. Mais cette pratique de
l'enquête vise surtout à favoriser les rencontres, à tisser des liens et
peut permettre à l'information de circuler.
Le mouvement contre la Loi travail de 2016 marque une défaite des
syndicats. Ses militants restent minoritaires et affaiblis. Ils doivent
se contenter d'intervenir entre deux dates de manifestations nationales.
Ensuite, les cortèges de tête apparaissent comme une forme de radicalité
qui s'exprime en dehors des entreprises. Ils regroupent des précaires,
des étudiants, des chômeurs et des syndicalistes de lutte. Le mouvement
des Gilets jaunes semble également répondre à cette absence de
recomposition du mouvement ouvrier. Les identités se recomposent avant
tout dans et par la lutte.
Cependant, la combativité ouvrière perdure avec des grèves locales
victorieuses. «Dans la période, on constate qu'elles payent là où la
détermination, la diffusion de l'information, le soutien effectif de
l'extérieur de la boîte pèsent dans le rapport de force», observe La
Mouette Enragée. Les luttes des personnels des palaces à Paris ou des
employés de la Fnac illustrent cette stratégie. Surtout, ces grèves
s'inscrivent dans le temps long pour arracher une victoire. Néanmoins,
les grévistes qui occupent une position stratégique peuvent obtenir plus
rapidement des victoires, à l'image de la rédaction web du journal Le
Monde. Les outils techniques occupent désormais une place importante
dans le rapport d'exploitation.
La grève permet de combiner action et réflexion communes. Cependant,
cette pratique reste minoritaire. Beaucoup de salariés acceptent leurs
conditions de travail par peur de perdre leur boulot. La flexibilité, la
précarité, le cloisonnement des espaces, l'individualisation des tâches,
la fragmentation des temps de pause contribuent à désarmer la classe.
L'enquête ouvrière permet alors de penser la situation concrète de
manière collective. «Reconstruire un imaginaire pour se libérer des
chaînes du quotidien, c'est de fait dialectiquement partir de la
critique radicale du quotidien en question», souligne La Mouette Enragée.
Luttes dans le secteur médical
Le secteur de la santé subit davantage l'emprise du privé. Même dans les
services publics, la logique de la rentabilité devient plus importante.
Les EHPAD illustrent cette dérive. Le 30 janvier 2018, un appel national
invite les salariés des EHPAD à se mettre en grève. La dégradation des
conditions de travail, avec l'augmentation de la charge de travail,
provoque un épuisement physique et psychologique. Les directions
imposent une pression sur le personnel pour conserver une image
irréprochable.
Le 30 janvier 2018, un piquet de grève s'organise devant un EHPAD de
Boulogne-sur-mer. Des tracts sont distribués. Un pique-nique regroupe
une quinzaine de grévistes. Les aides-soignantes participent fortement
au mouvement. Cependant, la plupart des grévistes ne se rendent pas sur
leur lieu de travail. L'épuisement et la colère prédominent. Des luttes
isolées émergent dans certains EHPAD. Mais cette journée nationale donne
une visibilité aux problèmes des salariés de ce secteur. «Ils ont
découvert et ont fait l'expérience de l'action collective et de la
solidarité. Un moment de vie formateur et qui restera marquant pour la
plupart d'entre eux», témoigne une aide-soignante.
Les salariés des cliniques privées subissent également une dégradation
des conditions de travail. Les salaires sont faibles et la pression de
la hiérarchie se fait plus pressante. Si certains tiennent tête aux
cadres, c'est la peur qui prédomine. «Les salariés sont solidaires entre
eux mais pour aller affronter le patron, c'est plus difficile»,
témoignent des travailleuses et travailleurs d'un établissement des
Hauts-de-France. Une grève d'une quinzaine de jours éclate dans cette
clinique en 2010. Cependant, les représentants syndicaux ne tentent pas
d'impliquer l'ensemble des salariés.
La dernière lutte remonte à juin 2020. «Cette grève reste pour nous un
moment convivial d'échanges et de rapprochement entre les salariés»,
indique ce témoignage collectif. La direction, qui n'a jamais connu de
vrai conflit, doit céder face aux revendications des grévistes. Cette
lutte laisse des traces et certains salariés continuent d'évoquer ce
mouvement. Les ASH décident de ralentir les cadences de travail pour
s'opposer à la pression de la direction. Les arrêts maladie et les
démissions se multiplient quand la direction ne veut plus négocier.
Les centres d'appel reprennent le modèle de l'industrie fordiste:
soumission à la machine, contrôle, cadences et parcellisation des
tâches. Le téléopérateur, équipé d'un téléphone et d'un ordinateur,
travaille sous le contrôle direct de la machine. Des logiciels mesurent
le temps de connexion, le temps de pause, le temps d'attente. «Le bagne
digital n'a rien à envier à son précurseur industriel, tout y concourt à
la déshumanisation la plus appliquée», observe La Mouette Enragée. Les
centres d'appel recrutent des jeunes précarisés et proposent rapidement
des contrats à durée indéterminée (CDI). Néanmoins, les salariés ne
parviennent pas à supporter l'abrutissement avec des tâches répétitives.
Le turnover devient la règle. Les démissions et les refus se multiplient
tandis que des grèves peuvent éclater.
Luttes dans le secteur logistique
La logistique est devenue un secteur économique majeur. Le stockage, le
transport routier et le conditionnement sont les principales activités
de ce secteur. Dans le Nord de la France, en raison du chômage de masse
et de la situation géographique de carrefour européen, la logistique
devient un secteur important. La Redoute, Vertbaudet et Amazon sont les
principales entreprises dans la logistique. Des travailleuses payées au
SMIC vérifient les commandes tandis que des hommes les surveillent. Les
différences de classes apparaissent clairement. Les cadres et petits
chefs sont surtout préoccupés par les statistiques et la rentabilité.
L'intérim et le turn-over se banalisent.
En 2013, un plan social s'organise à La Redoute. Une grève éclate. Les
salariés ne souhaitent pas continuer à travailler mais veulent partir
avec des indemnités de licenciement plus importantes. Les Redoutables
forment un groupe de 150-200 personnes. Il comprend des syndiqués et des
non-syndiqués. La plupart ont déjà lutté en 2008 lors d'un précédent
plan social. Au cours de ce conflit, les syndicats SUD et CFDT ont
décidé de signer des accords sans consulter les grévistes. Les
Redoutables parviennent à s'imposer dans l'intersyndicale et à bousculer
le cours des négociations.
Le 21 mars est prévue la dernière réunion de négociation. La direction
alimente la division entre les salariés. Les cadres viennent soutenir le
plan social mais ils doivent repartir sous les huées des grévistes.
L'accord n'est pas signé. Néanmoins, la CFDT décide de céder à la
pression des bureaucrates nationaux du syndicat et des politiciens. Même
si sa base refuse cet accord. Pourtant, le délégué central de la CFDT
signe en catimini. La CGT et SUD décident de mettre fin au mouvement.
Les Redoutables se retrouvent isolés.
La grève de Vertbaudet de 2023 démarre avec un piquet de mobilisation de
la CGT devant les hangars logistiques. Les discussions tournent autour
de la réforme des retraites mais aussi sur les bas salaires. La jeune
section CGT lance une grève avec 80 ouvrières qui arrêtent le travail et
organisent un piquet. Le mouvement va durer 83 jours. En réalité, la
colère monte depuis 2021 avec la reprise de l'entreprise. Le management
impose des injonctions infantilisantes. Les grévistes se heurtent à la
dureté du patronat avec des insultes sexistes et l'embauche
d'intérimaires pour briser le mouvement.
Cependant, une assemblée générale reconduit la grève chaque semaine. Les
ouvrières découvrent des pratiques d'auto-organisation et d'action
directe. «Pour toutes les personnes mobilisées, c'est leur première
grève et la spontanéité irrigue la lutte et forge la détermination
d'aller jusqu'au bout!», souligne La Mouette Enragée. Sophie Binet,
nouvelle secrétaire de la CGT après la défaite de la bataille des
retraites, se saisit de la lutte des Vertbaudet pour allier syndicalisme
et féminisme. Les CRS délogent le piquet de grève. Mais la lutte atteint
une ampleur nationale avec une forte médiatisation. Une manifestation
est organisée à Paris devant le siège du fonds d'investissement
propriétaire de Vertbaudet. La solidarité et le rapport de force
permettent la victoire des grévistes.
Luttes locales et révolution sociale
Le groupe La Mouette Enragée présente la démarche sociale et politique
la plus pertinente dans la période. L'enquête ouvrière permet à la fois
d'analyser les mutations du capitalisme mais aussi d'intervenir dans les
luttes locales. Cette démarche permet d'insister sur la question
centrale de l'exploitation et des conditions de travail. Les milieux
militants ont largement abandonné ces problèmes qui structurent la vie
quotidienne des exploités. Le gauchisme postmoderne semble plus
gratifiant, mais aussi plus superficiel. L'enquête ouvrière permet
d'observer les mutations des rapports de classes et de l'appareil de
production. Les témoignages font écho à des expériences vécues qui
peuvent être généralisées. La pression du management, les objectifs de
rentabilité et de productivité s'observent dans de nombreux secteurs.
L'enquête ouvrière devient également un outil d'intervention dans les
luttes sociales. La Mouette Enragée refuse la posture d'extériorité pour
insister sur la solidarité de classe entre les diverses fractions du
salariat. Cette démarche se démarque de l'approche misérabiliste de la
gauche illustrée notamment par François Ruffin. Cette démarche tranche
également avec un syndicalisme atone et peu implanté dans le secteur
privé. Ce type de militantisme, censé s'appuyer sur l'intervention dans
les lieux de travail, regroupe surtout des fonctionnaires qui
s'enferment dans un folklore gauchiste.
La Mouette Enragée évoque également diverses grèves. Ses observations
peuvent également permettre de dresser quelques analyses. Les syndicats
de lutte parviennent à intervenir quand ils décident d'élargir le
mouvement au-delà des leurs bases militantes. Des assemblées ouvertes
permettent alors aux grévistes de décider de leurs moyens d'action et de
leur stratégie propre. Néanmoins, le rôle des syndicats peut aussi se
révéler néfaste. La CGT a tendance à vouloir contrôler et encadrer le
mouvement, sans tenir informer l'ensemble des grévistes. C'est quand les
syndicats sont débordés, avec une grève qui s'auto-organise et peut
s'appuyer sur un soutien extérieur, que des victoires sont arrachées. En
revanche, les luttes échouent lorsque les syndicats décident de négocier
dans le dos des grévistes.
Les grèves deviennent un moment de politisation intense. Elles
permettent de diffuser des pratiques de lutte au-delà des petits cercles
militants. Des ouvrières et ouvriers découvrent l'auto-organisation et
l'action directe. Les grèves permettent de percevoir notre force
collective de prolétaires pour bloquer la production capitaliste. Les
luttes permettent également de sortir de la routine du travail pour
découvrir la joie, la solidarité et le plaisir de la révolte.
Les luttes locales comme la grève de PSA-Aulnay expriment une
combativité et une détermination qui permet aux ouvriers de tenir tête
au patronat. Les grèves, même locales et sectorielles, peuvent devenir
des points d'ancrage pour s'opposer à l'ordre capitaliste. Les grévistes
développent des pratiques qui doivent se généraliser. «Conscients qu'il
n'y a pas d'autre alternative que le combat, ils exposent et expliquent
les moyens qu'ils se donnent pour lutter au jour le jour: arrêt de la
production, caisses de grève, occupation de sites, tournée des usines,
etc», décrit La Mouette Enragée.
Des grèves interprofessionnelles jusqu'aux Gilets jaunes, ces mouvements
échouent en raison de la faible propagation de pratiques de lutte dans
les entreprises. Au contraire, la multiplication de grèves peut
permettre le blocage de la production économique. Les militants
préfèrent s'aligner sur la CGT et ses blocages symboliques. Les
gauchistes tentent de fédérer les noyaux activistes, surtout dans le
secteur public. En revanche, peu de groupes tentent d'élargir la lutte
et de débrayer dans des entreprises non mobilisées.
C'est pourtant dans les «déserts syndicaux» que se joue la lutte des
classes. C'est lorsque des salariés non politisés rejoignent la grève
que le mouvement peut prendre une ampleur décisive. La généralisation
des grèves permet alors de remettre en question l'ordre capitaliste. Qui
produit? Pour qui? Comment? Pourquoi? deviennent des questions posées
collectivement pour réfléchir au dépassement du monde marchand.
Source: La Mouette Enragée, Avant de faire le tour du monde, faire le
tour de l'atelier... Enquête ouvrière - Témoignages - Réflexions
2017-2023, Acratie, 2023
++++
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore Zone Subversive,
nous les invitons sans plus tarder à consulter le site
Zone subversive se présente comme une publication qui se tient à
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universitaire que du journalisme englué dans l'actualité la plus futile
et le copinage le plus servile.
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choix de diffuser des réflexions en rupture avec l'étouffoir du
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révolutionnaire au marxisme anti-bureaucratique.
Le choix est fait d'articles longs, en rupture avec l'immédiatisme
d'internet et toujours avec l'aspiration à bouleverser tous les aspects
de la vie pour remettre au centre de l'existence la liberté, le désir,
le plaisir, la passion.
Pour autant, Zone Subversive n'entend pas limiter son activité à
quelques analyses et la diffusion d'une sensibilité critique contre la
rationalité froide du capital. Face au mal être ressenti par tous dans
cette civilisation, se rencontrer semble tout aussi indispensable pour
s'exprimer et discuter des moyens de lutte afin d'abattre le monde marchand.
https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4234
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