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(fr) Union Communiste Libertaire (UCL) - Roller derby: Construire un sport féministe et queer
Date
Wed, 31 Jul 2024 18:07:20 +0100
C'est souvent l'aspect spectaculaire du roller derby que l'on retient.
Ça va vite, ça se bouscule, les couleurs sont criardes, difficile de
suivre au début. Alors, sport ou spectacle? Est-ce que ces personnes ne
s'élancent sur des patins que par amour des tenues voyantes et des jeux
de mots? Ou est-ce que tout cela n'est qu'un prétexte pour étancher leur
soif de compétition et de violence? D'ailleurs est-ce qu'on pourra
retrouver ce sport aux JO? ---- Au commencement était le roller derby!
On fait parfois remonter les origines de ce sport au début du xxe
siècle. Il s'agit là d'une longue tradition de courses d'endurance ou de
jeux en patins. C'est au milieu des années1930 aux États-Unis qu'un
homme d'affaires a l'idée de faire concourir des équipes dans des courses.
Dans le contexte de la Grande Dépression, les participant·es affluent et
sont désespéré·es d'emporter les prix.
Très vite les équipes se bloquent, créent des stratégies qui sont
incorporées au sport. Le tout est filmé et diffusé à la télévision. La
vitesse et l'agressivité servent le spectacle. Les actions sont
théâtrales et le port de protections ou le respect des règles sont
optionnels.
Mais ces jeux finissent par disparaître dans les années70. Jusque-là, on
est bien loin d'un sport engagé et émancipateur.
Des origines capitalistes à un sport féministe et militant
Le roller derby tel que nous le connaissons naît plus tard. Tout
commence au début des années 2000 à Austin au Texas. Des femmes et
personnes queers s'inspirent de cette tradition de sports en patins pour
se l'approprier. Elles créent leurs propres règles, mais avant tout,
elles fondent des collectifs. De cette façon, elles investissent un
espace qui leur est hostile, celui du sport, qui plus est un sport de
glisse et de contact.
Leur pratique reste marginale: comme pour les autres sports féminins,
les financements sont rares et faibles, d'autant plus pour une
discipline qui ne correspond pas aux codes marketing du sport «féminin».
Pourtant rien n'y fait, plus qu'une appropriation, un sport est né. Pour
cela, elles ont du écrire leurs propres règles, trouver des lieux pour
s'entraîner, développer des stratégies, une vraie organisation qui tend
vers l'autogestion et qui repose sur la communication et le soin.
Parmi ces personnes, Shauna Cross écrit un roman sur une jeune athlète
en patin: Derby Girl (2007), puis le scénario du film Bliss (Whip It!)
réalisé par Drew Barrimore en 2009. L'acteur Elliot Page y joue une
jeune femme qui s'émancipe des attentes de féminité de sa mère. C'est
l'occasion de découvrir rapidement les règles, mais surtout la
camaraderie, l'appropriation du sport par des personnes qui en sont
habituellement exclues ou reléguées au rôle de faire valoir, et aussi
une esthétique punk et camp.
Après la sortie de ce film, le roller derby fait presque partie de la
culture populaire. À partir des années 2010, le roller derby s'implante
même en France. Ce sport reste confidentiel et l'épidémie de Covid met à
mal les clubs locaux, mais la magie continue.
Abracadacab
Sport basé sur des règles complexes (voir encadré) et demandant un large
panel de compétences athlétiques, le roller derby c'est aussi beaucoup
plus. D'ailleurs il n'y a pas forcément besoin de patiner pour «faire du
derby». Pour qu'un sport d'équipe, de contact et de vitesse se passe
bien, il faut plus que deux équipes.
Il faut d'abord des arbitres, beaucoup d'arbitres! Des arbitres à rayure
sur patins et des arbitres en noir à pied. Dans une approche
anti-validiste, chaque volontaire peut trouver sa place et les
caractéristiques de chaque joueur·euse sont prises en compte par les
arbitres, par exemple pour les personnes malentendantes. Il faut aussi
des bénévoles, car chaque aspect de l'organisation d'une rencontre et de
la vie d'un club est assuré bénévolement par ses membres.
De part ses origines militantes, le roller derby moderne a rapidement
interrogé la séparation genrée de ses équipes. Pensé dès son origine
comme un sport féminin, la plupart des équipes de derby sont aujourd'hui
en mixité choisie sans hommes cisgenres. L'équipe de France se définit
comme une équipe féminine+ et intègre plusieurs personnes trans.
Elle n'a pas manqué d'afficher son soutien aux personnes trans dans le
contexte de propositions de lois transphobes de ces derniers mois. Les
contours de cette mixité choisie restent le fruit de discussions
régulières aux seins des équipes avec pour objectif de préserver des
espaces où chacun·e peut trouver sa place.
Il s'agit de trouver une identité et de s'exprimer politiquement, ce qui
passe aussi par les numéros et les noms de maillots aussi appelés derby
names. En plus des numéros 666, ou 404, on retrouve de nombreux 1312
(ACAB) et autre 161 (AFA).
De la même façon, les derby names permettent également de s'exprimer, de
s'approprier une identité souvent riche de jeux de mots comme
Noh'Passar'Ass et autres Abracadacab. Toujours engagé et dans un souci
d'inclusivité le roller derby tolère aussi les hommes cisgenres dans des
équipes «All Gender».
Institutionnaliser mais à quel prix?
Ce sport demande un investissement collectif et personnel conséquent. En
échange, les personnes qui s'y investissent trouvent un espace
bienveillant où s'épanouir. Il s'agit d'un espace ouvert pour les
personnes qui ont été jusque-là exclues du sport.
Le care[1]et l'écoute active jouent ainsi un rôle central pour créer des
liens de solidarité puissants.
Cette tradition à la fois militante et sportive a permis à de nombreuses
personnes d'accéder au sport et parfois de le pratiquer à haut niveau,
mais aussi de s'investir activement dans la vie de leur équipe et de
leur club.
Mais cet investissement peut peser lourdement sur les individus, et dans
certains cas un désir de reconnaissance peut se traduire par une volonté
d'institutionnaliser la discipline. Ce nouveau contexte peut sembler peu
compatible avec l'engagement militant qui caractérise le roller derby:
si l'équipe de France peut s'engager pour les personnes trans, c'est
parce qu'elle ne relève pas du ministère des Sports.
Pour les personnes qui défendent une institutionnalisation, cela devrait
apporter plus de moyens, permettre à des personnes de se
professionnaliser et un meilleur accompagnement des joueur·euses.
Il faudrait faire peau neuve, on porterait son nom sur son maillot et un
numéro moins fantaisiste par exemple.
Il faudrait surement aussi se plier aux règles classiques du sport,
c'est-à-dire à une distinction au sein des équipes par le sexe tel que
reconnu par l'administration et non par le genre tel qu'autodéterminé
par les personnes, une hiérarchie surplombante qui pourrait limiter des
pratiques militantes et malheureusement mener à un accompagnement
dégradé pour les personnes investies dans ce sport.
On peut aussi rappeler l'état du sport féminin dans d'autres disciplines
plus établies, où les pratiquantes commencent à peine à se faire
rémunérer sans pour autant vraiment se professionnaliser.
On peut également faire remarquer que le mouvement #MeToo dans le sport
n'a pas épargné le roller derby.
Rien d'étonnant quand on considère les violences structurelles dans nos
sociétés. En revanche, la réaction a été assez virulente pour entraîner
une série de démissions au sommet de la Fédération française de roller
et skateboard (FFRS)[2].
Proposer une alternative
Le roller derby reste un espace à défendre ainsi qu'un espace de débat
et d'innovation. Ce sport ne cesse d'évoluer et accueille maintenant une
nouvelle génération avec la création d'une ligue junior. Cette évolution
a mené à de nouvelles pratiques pour protéger ces nouvelles personnes.
Une progressivité dans les contacts en fonction de l'âge et du niveau a
ainsi été mise en place et de même des règles pour encadrer les
interactions entre des adultes et des mineurs concernant par exemple la
séparation des vestiaires.
Les clubs qui souhaitent créer une équipe junior doivent également se
mobiliser pour entraîner ces nouvelles recrues, ce qui représente un
investissement supplémentaire de temps et d'énergie. Il faut également
communiquer avec les parent·es qui bien que de bonne volonté ne sont pas
toujours militant·es ni toujours au courant de la dimension politique du
roller derby.
De nouvelles personnes arrivent et investissent cet espace, ouvrant ce
sport à de nouveaux défis pour se maintenir et garder sa force
militante, où les rencontres sont l'occasion d'échanges riches.
Si une manifestation a lieu après un évènement, la solidarité s'organise
pour rejoindre le cortège après le dernier match.
L'athlétisme et la stratégie rencontrent dans le derby des valeurs
fortes d'entraide, de bienveillance et de care. Il s'agit de se dépasser
dans un esprit radicalement fair-play. Mais alors, y aura-t-il du roller
derby aux JO 2024?
Ce n'est pas au programme, et pour assister à un match il faudra plutôt
se déplacer dans un gymnase municipal près de chez vous. Trop compliqué,
trop engagé, trop queer, les raisons sont nombreuses et c'est surement
là l'intérêt de ce sport: proposer une alternative.
Le roller derby, c'est développer ses capacités physiques et son
humanité avec radicalité. Avec plus de 4500 licencié·es en 2024 et plus
de 50 ligues en France, ce sport va continuer d'évoluer et qui sait,
peut-être que vous aussi vous serez là au match avant la manif!
Angela Merguez
++++
Le Roller Derby, mode d'emploi
Le roller derby comporte de nombreuses règles visant entre autres à
rendre la pratique aussi sure que possible pour les participant·es. On
pourrait vraiment prendre des heures pour les détailler, mais on va
tenter de se limiter à quelques lignes.
Le derby c'est donc un sport de contact sur patins et en équipe qui se
joue sur une piste ovale, le track!
Chaque match est divisé en jams de 2 minutes maximum. Pour chaque jam,
quatre bloqueur·euses par équipe sont aligné·es sur le track. Derrière
elleux, il y a les deux jameur·euses, toujours une par équipe. C'est
ielles qui marquent les points!
Au premier coup de sifflet, les jameur·euses s'élancent. Dès qu'un·e des
jameur·euses a passé les bloqueur·euses, il lui faut faire un tour pour
commencer à marquer des points.
Chaque bloqueur·euse adverse qu'ielle dépasse lui rapporte alors un
point. Un jam a beau être court, l'effort demandé est intense.
Heureusement 30 secondes sont prévues pour changer les lignes: les
joueur·euses qui étaient sur le track sont relayées par leurs
coéquipier·ères!
Pour que tout se passe bien, il y a deux personnes à pieds: la·e
line-up, qui organise les lignes, et la·e bench, qui guide la stratégie
de son équipe. Après deux mi-temps de 30 minutes, c'est l'équipe qui
marque le plus de points qui gagne!
Avec une mi-temps de 15 minutes, cela fait une heure quinze de
concentration et d'effort physique parfois brutal. Il faut donc beaucoup
d'arbitres sur le terrain pour suivre un grand nombre d'actions très
rapides et assurer la sécurité sur le track: jusqu'à 17 arbitres soit 7
en patins et 10 sans patins.
Le travail se fait également en amont par la formation des joueur·euses.
Pour participer à un match, le club doit s'assurer que ces personnes ont
les savoirs faire et connaissances théoriques de bases nécessaires pour
ne pas mettre en danger les autres et ne pas se mettre en danger
soi-même, ce qu'on appelle les MS, Minimum Skills.
Notes:
[1]«Soucis des autres, soin, attention, sollicitude, aucune de ces
traductions possibles prises isolément ne rend justice à
l'enchevêtrement des pratiques qui, à différents niveaux, permettent de
"maintenir, perpétuer, réparer notre «monde», de sorte que nous
puissions y vivre aussi bien que possible"», Dictionnaire des
féministes, sous la direction de Christine Bard, PUF.
[2]«Violences sexuelles: démission du président de la Fédération de
roller et skateboard», Le Monde, 6 mars 2020.
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Roller-derby-Construire-un-sport-feministe-et-queer
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