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(fr) Alternative Libertaire #351 (UCL) - Jeux Olympiques, Coupe du monde: Le sport au service des États et du Capital
Date
Fri, 26 Jul 2024 20:51:44 +0100
Le sport est politique. En disant cela on enfonce évidemment une porte
ouverte. Les grands évènements sportifs en sont une parfaite
illustration, derrière un apolitisme souvent érigé en étendard qui va
jusqu à sanctionner les sportifs et sportives exprimant leur solidarité
envers des causes politiques, et notamment l antiracisme, ils servent de
vitrine politique aux régimes politiques les pires et de vitrine
commerciale aux grands groupes capitalistes. ---- Tout est politique, et
le sport n est pas une exception. Cependant, s il y a un domaine de la
société qui s acharne à revendiquer un supposé apolitisme, c est bien le
sport, particulièrement à haut niveau. Ce discours est martelé par les
dirigeants d institutions sportives comme la FIFA ou le Comité
international olympique (CIO) depuis leur création. Selon eux, le sport
serait au dessus de la politique, parce qu il rassemble, divertit et ne
cherche que le dépassement de soi. Passons sur le fait qu aucune de ces
caractéristiques n est véritablement neutre, bien au contraire. Ce qu
ils sous entendent c est que le sport serait indépendant du champ
politique, c est à dire des gouvernements, des partis, de la «politique
politicienne». Au fond, ce que revendique le sport c est d être libre
de toute ingérence politique[1].
Pour laisser à ses dirigeants de grandes marges de man uvres, mais aussi
surtout car cet «apolitisme» est lucratif. Après tout, comme le
justifiait le joueur de basketball Michael Jordan pour expliquer son
manque d activisme politique: « Les républicains aussi achètent des
baskets». C est aussi pour cette même raison que lorsque des sportif
·ves de haut niveau tentent timidement de protester contre le racisme en
posant un genou à terre (Colin Kaepernick dans le football américain,
les joueurs et joueuses de football en Angleterre...) on leur demande de
se taire et de jouer au ballon. Parce que tout conflit, toute division
pourrait rebuter certains et donc faire baisser les profits...
Mais cet apolitisme revendiqué est d autant plus faux, précisément car
le sport a été instrumentalisé par les pouvoirs publics depuis son
institutionnalisation au xixe siècle. Les Jeux olympiques (JO) et la
Coupe du monde de football en sont les exemples les plus criants. Mégas
événements globaux, ils sont aujourd hui suivis par des milliards de
personnes et jouissent d une popularité sans égal, faisant presque
croire au mythe de l union des peuples tant déclamée. À ce titre, et ce
depuis le début du xxe siècle, ils ont pu servir de moyen de propagande
pour les pires régimes de la planète (Italie fasciste, Allemagne nazie,
Junte militaire Argentine, URSS...). Ils sont encore largement
instrumentalisés de nos jours par tout type de gouvernement, jusqu aux
moins recommandables (Chine, Russie de Poutine, Qatar, France de
Macron...). En plus d une couverture médiatique gigantesque et d une
association globalement positive avec le sport, il s agit aussi de faire
état de son soft power et de projeter face au monde sa « grandeur»[2].
Sport spectacle contre investissements sociaux
La capacité à faire de ces événements sportifs un «succès» est le moyen
pour beaucoup de pays de se faire une place, ou de la consolider, dans
la cour des grands comme l a revendiqué la Chine en 2008[3]. En effet,
les immenses défis logistiques et les dépenses colossales engagées (on
atteint les dizaines de milliards d euros désormais), dues aux cahiers
des charges toujours plus exigeants de la FIFA et du CIO ne sont pas à
la portée de tout le monde. Et tant pis si ces sommes ne sont pas
investies dans le service public. En 2014, au Brésil,pays féru de
football s il en est, de nombreux habitants et habitantes ont protesté
contre le manque de financement des hôpitaux et des écoles, et le gâchis
d argent public dans la Coupe du monde. Le gouvernent préféra réprimer
dans la violence plutôt que de renoncer au projet[4].
Les gouvernements en veulent donc pour leur argent et utilisent autant
qu ils peuvent ces événements pour se donner une bonne image, passer
sous silence leur oppression et leur corruption, ou tout simplement
faire taire les dissident ·es pour ne pas ternir l image donnée au
monde, et ainsi asseoir leur puissance. Mais c est aussi une manière de
faire plaisir aux capitalistes de tous bords.
Un sport façonné pour les intérêts des capitalistes
Contrairement à l idéal annoncé, la raison principale de ces événements,
ce n est pas la beauté du sport ou l union entre les peuples, mais de
faire de l argent. Les marques se bousculent pour devenir «fournisseurs
officiels» de ces événements, obtenant des contrats d exclusivité qui
vont jusqu à interdire à toute marque concurrente de se revendiquer
affiliée à l événement ou de faire de la pub aux alentours des
stades[5]. Tout est contrôlé, marketé, et presque chaque centimètre
carré de ces événements est vendu aux intérêts capitalistes. Évidemment,
ces décisions vont régulièrement à l encontre du bien commun. Ainsi
alors que l alcool dans les stades était interdit au Brésil à cause des
violences qu il entraînait, il a été ré-autorisé pour la Coupe du monde
2014 suite à la pression de la FIFA sur le gouvernement pour soutenir
leur sponsor Budweiser[6].
Malgré les sommes colossales engrangées par les marques suite à ce
sponsoring, très peu reviennent aux pays ou villes organisatrices. On
vante souvent les événements sportifs comme étant des opportunités
économiques importantes, mais c est rarement le cas. Les revenus des JO
en général ne couvrent pas les couts immenses engrangés, payés in fine
par les populations locales. Les JO de Londres ont couté 18 millions de
dollars et n en ont rapporté «que» 5,2... dont la moitié est allée au
CIO[7].
Il n est donc pas surprenant que pour préserver leurs intérêts
économiques, les institutions sportives et leurs soutiens capitalistes
préfèrent une population docile et qui consomme sans perturber les
choses, et n ont donc aucun problème à confier ces événements aux pires
régimes. Après tout, Jérôme Valcke, ancien secrétaire général de la FIFA
avait déclaré un jour qu « un moindre niveau de démocratie est parfois
préférable pour organiser une Coupe du monde»[7]
Ces mots n ont jamais été plus vrais que pour les JO de Berlin 1936 en
Allemagne nazie, et la Coupe du monde 1978 dans une Argentine dominée
par la junte militaire. Ces deux exemples méritent qu on les développe.
Dans les deux cas, l organisation des événements avait été confiée avant
l installation de ces régimes autoritaires qui en ont profité pour les
utiliser comme des outils de propagandes. Les institutions sportives s
en sont très bien accommodées, leur seule inquiétude étant que tout se
passe bien. Pour ces états, un double objectif: montrer au monde que le
régime n est pas aussi monstrueux que sa réputation, tout en renforçant
son contrôle au niveau national.
Une aubaine pour les régimes dictatoriaux
Ainsi, à Berlin, les nazis ont beaucoup investi pour garantir un succès
administratif et logistique des JO, tout en atténuant officiellement
leur rhétorique raciste, nationaliste et antisémite. Ainsi de nombreux
spectateurs étrangers sont repartis d Allemagne en pensant que le régime
nazi n était pas si horrible[9]. Après tout, «officiellement» aucune
personne juive n était interdite de participer, mais c est passer sous
silence l expulsion ou les disqualifications douteuses de l essentiel
des sportifs et sportives juifs et juives de plusieurs fédérations,
notamment d Allemagne mais aussi des États-Unis[10]. Finalement, très
peu d athlètes juifs et juives participeront, même si certains, comme
Ibolya Czak, Juive hongroise qui égala le record d une athlète juive
allemande disqualifiée et remporta l or, purent briller. Pour convaincre
les autres nations qu ils n étaient pas un régime raciste, le ministère
de la propagande nazie en est même jusqu à interdire à la presse
allemande de critiquer les athlètes noir·es[11].
Il faut noter d ailleurs qu alors que les JO devaient consacrer pour les
nazis la suprématie de la race aryenne, ce fut un athlète noir
américain, Jesse Owens, qui marqua les Jeux de ses performances, mettant
en théorie à mal la propagande nazie. Il a beaucoup été écrit sur la
portée symbolique des nombreuses médailles d Owens, et cela a été
remarqué par de nombreux contemporains des Jeux, mais le but des nazis n
était pas forcément de convaincre les autres pays de leur idéologie,
sinon que d impressionner et d adoucir leur image. Il est d ailleurs
particulièrement significatif qu Owens ait été globalement mieux traité
par la presse nazie que par la presse américaine.
L opposition au fascisme et à l idéologie nazie a entraîné d importants
débats, particulièrement en France et aux États-Unis[12]. Léon Blum
renonça au boycott, mais aida à la mise en place des Olympiades
populaires de Barcelone de 1936. La proposition de boycott fut largement
discutée par diverses fédérations, et ce ne fut qu après un vote très
serré que le comité olympique américain participa, sous l impulsion de
son président d alors, et futur président du CIO, Avery Brundage,
antisémite notoire[13]. Plusieurs athlètes juifs renoncèrent cependant à
participer. Ces débats et tentatives de boycott, mirent un projecteur
sur l Allemagne et influencèrent probablement la volonté des nazis de
limiter publiquement et cyniquement leur antisémitisme pour faire patte
blanche. Le bilan de l instrumentalisation des JO par les nazis est
mitigé, mais il est certain que les nazis ont tout fait pour utiliser
cet événement à leur avantage.
Divertir les masses, torturer les opposant ·es
Dans le cas de la Coupe du monde 1978, la junte argentine s inscrivait
dans la continuité de tous les régimes autoritaires qui ont pu organiser
ce type d événements. Sujette à de nombreuses critiques politiques, mais
aussi d investisseurs capitalistes, elle mit en place une véritable
stratégie marketing, faisant appel à une grande agence de communication,
Burson-Marsteller, pour un contrat de plus d un million de dollars[14]ce
qui était alors inédit pour un régime autoritaire. Armé de ce plan
précis, l idée était, comme 42 ans auparavant, de faire passer le régime
pour ce qu il n est pas, de nier son caractère autoritaire pour rassurer
les autres pays, tout en renforçant son contrôle social. De fait, alors
que face aux touristes le régime s avérera très complaisant, le plus
grand camp de torture, L Escuela de Mecanica de la Armada, se trouvait à
quelques centaines de mètres du stade ou se déroulait la finale. De
nombreux opposants politiques entendaient même les cris du public depuis
leurs cellules[15]. Certains tortionnaires poussèrent le vice jusqu à
déambuler en voiture avec des prisonniers pour leur montrer que tout le
monde se fichait de leur situation.
La propagande du régime fut en partie un succès. Le résultat sportif fut
indéniable, mais entaché de forts soupçons de corruption, l Argentine
devenant championne du monde pour la première fois. Cette victoire, mais
aussi la liesse qui suivit fut récupérée et instrumentalisée par le
régime. Ce dernier a aussi pu se targuer d une organisation presque sans
faille, saluée par les institutions sportives[16]. Il faut aussi noter
que cette victoire a surement permis au régime de prolonger sa mainmise
sur le pays en lui donnant un peu de répit.
Cependant, la Coupe du monde 1978 a aussi été au centre de nombreux
mouvements de boycott et de dénonciation.
Dénoncer le sport spectacle au nom de l amour du sport
Alors que la question de l Argentine était auparavant très discrète, ce
méga événement sportif a permis de mettre à l agenda le sujet et à
entraîné un vif débat dans le monde occidental. Cela a, comme en 1936,
poussé le régime à montrer son meilleur visage devant les caméras. La
Coupe du monde a été un outil de propagande ambigu pour le régime, à la
fois efficace mais prêtant le flanc à la critique. Il en est cependant
ressorti renforcé, l indignation mondiale étant d ailleurs vite retombée
dans les milieux militants européens, se concentrant sur les JO de
Moscou de 1980[17].
Si aujourd hui on parle de ces grands événements sportifs dans des
dictatures avec un regard critique, il ne faut pas se leurrer sur l
incroyable potentiel propagandiste qu ils ont constitué à leurs époques.
De nos jours, les logiques sont les mêmes. Les gouvernements se servent
de ces événements pour renforcer leur soft power, redorer leur image,
mieux asseoir leur domination nationale et internationale, mais aussi
pour renforcer les intérêts capitalistes les plus outranciers. Alors que
les JO vont avoir lieu en France en 2024 il est urgent de se rappeler du
passé, de voir ces événements pour ce qu ils sont et de les dénoncer,
jusqu à lutter directement contre, même et surtout si on est fan de sports.
Sano (UCL Marseille)
Notes:
[1]Jacques Defrance, «La politique de l apolitisme. Sur l autonomisation
du champ sportif.», Politix, vol. 13, n°50, deuxième trimestre 2000, p.
13-27
[2]Jean-Marie Brohm, Le sport-spectacle de compétition: un
asservissement consenti, Quel sport? Éditions , 2020
[3]«JO: Pékin célèbre la renaissance de la Chine, le monde», Le Monde,
7aout 2008.
[4]«Brazilian anti-World Cup protests hit Sao Paulo and Rio», BBC, 16mai
2014.
[5]«Fifa foils Pepsi ambush», The Guardian, 11juin 2002.
[6]«Brazil World Cup beer law signed by President Rousseff», BBC, 6juin
2012.
[7]«The Economics of Hosting the Olympic Games», Étude du Council on
Foreign Relations, Cfr.org
[8]«La Fifa: Un moindre niveau de démocratie parfois préférable pour
organiser un Mondial», Le Nouvel Obs, 25avril 2013.
[9]Allen Guttmann, «Berlin 1936: The Most Controversial Olympic»,
National Identity and Global Sports Events, Alan Tomlinson et
Christopher Young (dir.), State University of New York Press, 2006.
[10]Ibid.
[11]Ibid.
[12]Richard D. Mandell, The Nazi Olympics, University of Illinois Press,
1987.
[13]«Racist IOC President Avery Brundage Loses His Place of Honor», The
Nation, 25juin 2020.
[14]Jean-Gabriel Contamin et Olivier Le Noé, «L événement sportif comme
opportunité: contingence et réversibilité des usages politiques du
Mondial de 1978 en Argentine», Les usages politiques du football, L
Harmattan, 2011.
[15]Eduardo Archetti, «Military Nationalism, Football Essentialism, and
Moral Ambivalence», National Identity and Global Sports Events, Alan
Tomlinson et Christopher Young (dir.), State University of New York
Press, 2006.
[16]Jorge Lanata, Argentinos. Tomo 2 Siglo xx: desde Yrigoyen hasta la
caída de De la Rúa, Ediciones B, 2003.
[17]Jean-Gabriel Contamin et Olivier Le Noé, «La coupe est pleine
Videla! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation», Le
Mouvement Social, 2010, tome 1, no 230, p. 27-46.
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Jeux-Olympiques-Coupe-du-monde-Le-sport-au-service-des-Etats-et-du-Capital
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