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(fr) CNT-AIT - Soulèvement populaire contre un État autocratique: le présent, le passé et l avenir du Bangladesh
Date
Fri, 26 Jul 2024 20:51:40 +0100
Au moment où j écris ce texte, je ne sais pas où se trouvent la plupart
de mes camarades qui ont participé aux manifestations étudiantes en
cours au Bangladesh. Tout ce que je sais, c est qu ils étaient dans la
rue, essayant de lutter contre la police, contre les sbires fascistes du
parti autocratique. Étant donné que seuls les habitants de certaines
régions du Bangladesh ont retrouvé l accès à Internet après cinq jours
de coupure d Internet ordonnée par l État à l échelle nationale, il a
été difficile de se connecter de l étranger aux personnes restées au
pays. Alors que de nouvelles photos et informations dévoilent la
violence sans précédent de la police, où elle torture et tue des
personnes non armées, je ressens des sentiments d angoisse et de colère.
Je pense à mes compagnons au pays, mais il ne s agit pas seulement d
eux, il s agit du pays tout entier. Je sais seulement que mes compagnons
font partie de la résistance à laquelle des milliers d autres se sont
joints, où les gens protestent contre l État fasciste et autocratique,
qui a tué au moins 197 personnes, en a détenu des centaines et en a
blessé des milliers dans les hôpitaux.
Tout cela a commencé par une manifestation pacifique des étudiants et
des demandeurs d emplois gouvernementaux réclamant une réforme des
quotas[d admission dans les emplois publics]. Le système de quotas au
Bangladesh réserve 30 % des emplois[publics]aux descendants des anciens
combattants de la liberté qui ont pris part à la guerre de libération
contre le Pakistan en 1971. Ce quota de 30 % laisse à la plupart des
gens très peu de chances d obtenir un emploi gouvernemental. Le problème
du chômage et les récentes crises économiques ont rendu les emplois
gouvernementaux très compétitifs, et la plupart des gens considèrent ce
quota de 30 % comme discriminatoire et injuste. Même si le parti au
pouvoir décrit le système de quotas comme un moyen de montrer du respect
à la famille des combattants de la liberté, en réalité, le parti au
pouvoir l a utilisé pour avoir un groupe de personnes obéissantes dans
la bureaucratie. Tout d abord, la guerre de libération du Bangladesh en
1971 contre le Pakistan était une guerre populaire; des personnes de
tous horizons ont aidé les combattants de la liberté par divers moyens.
Deuxièmement, parmi les combattants de la liberté, bon nombre de ceux
qui étaient pauvres car appartenant à la classe ouvrière ne pouvaient
obtenir aucun certificat attestant qu ils étaient des combattant de la
liberté. Troisièmement, des allégations de corruption et de népotisme
ont été formulées quant à la délivrance par le parti au pouvoir des
certificats de combattant de la liberté. Ce quota de 30% permet donc au
gouvernement de consolider son pouvoir. De plus, réserver 30 % des
emplois gouvernementaux à la troisième génération[de descendantes
des]combattants de la liberté, soit moins de 5 % de la population, va à
l encontre de l esprit central de la guerre de libération: l égalité, la
liberté et la justice.
En tant qu anarchistes, nous avons soutenu la juste revendication des
étudiants. Néanmoins, nous pensions également qu une simple réforme des
quotas ne pouvait pas résoudre le problème de l économie capitaliste
maintenue par un parti autocratique au pouvoir. Cependant, les choses
ont dégénéré lorsque le gouvernement a répondu à la manifestation
pacifique par une violence sans précédent de la part de la police et de
ses sbires fascistes. La violence de l État contre les manifestants a
complètement transformé le mouvement actuel. Avant de passer à cette
partie de l étape actuelle du mouvement, il est nécessaire de décrire le
scénario politique actuel du Bangladesh.
Depuis 16 ans, le Bangladesh est dirigé par la Première ministre Sheikha
Hasina et son parti, la Ligue Awami. Même s ils sont arrivés au pouvoir
en obtenant une majorité électorale, ils sont rapidement devenus un
parti autocratique et ont conservé le pouvoir grâce à trois élections
générales truquées ou organisées. De plus, Cheikh Hasina et son parti se
vantent d être le seul parti favorable à l esprit de la guerre de
libération. En réalité, ils se sont approprié l esprit et les acquis de
la guerre de libération des masses. Ils ont tenté de décrire la guerre
de libération uniquement dans une perspective nationaliste, alors qu il
s agissait d une guerre populaire menée par l aspiration à l égalité, à
la liberté et à la justice. Après l indépendance, les caractéristiques
de classe de l État ne se sont pas transformées, puisque[l indépendance
a été]le simple remplacement du groupe des dirigeants
étrangers[[#_ftn1][[1]]]par un groupe de dirigeants. L appareil d État
et les systèmes juridiques ont également continué à porter l héritage du
système de pouvoir colonial britannique puis pakistanais et. Depuis
2008, soit 16 années de règne[ininterrompues], la Ligue Awami a utilisé
tous ces organes du système de gouvernement de l État pour éliminer les
points de vue opposés. Ils l ont justifié en utilisant leur rhétorique
nationaliste et en qualifiant tout le monde de force anti-libération.
Même si le Bangladesh a enregistré une croissance élevée de son PIB au
cours de la dernière décennie, cela s est principalement produit grâce
aux dépend de la main-d uvre bon marché dans les secteurs du
prêt-à-porter et à l exportation de main-d uvre peu qualifiée au
Moyen-Orient. Ces deux groupes ont souffert de conditions de travail
inhumaines. Alors que l effondrement du Rana Plaza, qui a tué 1
134[ouvrières de l industrie textile]en 2013, a réussi à obtenir une
couverture médiatique internationale, d autres meurtres[patronaux]dus
aux incendies et à la répression policière sont passés inaperçus. Le
gouvernement a réprimé de nombreux syndicats (y compris l enlèvement d
un dirigeant syndical), pris le contrôle de la plupart des autres
syndicats et interdit l activité syndicale dans certaines régions. Même
l année dernière, des ouvriers du textile ont été tués et arrêtés pour
avoir exigé une augmentation de l âge minimum en dessous duquel il n est
pas légalement admis de travailler.[l âge minimum légal du travail
salarié au Bangladesh est de 14 ans]. Récemment, l économie du
Bangladesh a été confrontée à une crise, car sa stratégie de
développement à court terme consistant à emprunter de l argent a des
répercussions. Les puissances impérialistes et expansionnistes telles
que les États-Unis, la Chine et l Inde considèrent le Bangladesh comme
une région géopolitique d intérêt. L Inde, pays qui partage des
frontières avec le Bangladesh, a été le plus influent dans la politique
du Bangladesh car elle offre au gouvernement une «légitimité» vis-à-vis
de l Occident en échange de contrats qui ne satisfont que les intérêts
du gouvernement indien. Bien que le parti au pouvoir ait réussi à être
réélu une nouvelle fois, mais sans élections justes et inclusives, les
gens souffrent du chômage, de l inflation, des inégalités et de l
oppression de la part du parti au pouvoir.
La situation économique actuelle et le manque de droits humains
fondamentaux ont créé un mécontentement massif parmi la population du
Bangladesh, en particulier parmi les jeunes. Cependant, le gouvernement
dirigé par Hasina, après sa récente réélection, a considéré qu il était
pratiquement incontesté et pouvait donc poursuivre son régime de
corruption et d exploitation. Ainsi, lorsque les étudiants ont lancé des
manifestations pacifiques pour un système de quotas équitables qui
donneraient la priorité au mérite, le parti au pouvoir a eu recours à la
violence. Premièrement, ils ont employé la Ligue des Etudiants, les
fantassins fascistes du parti fasciste au pouvoir. Ils ont frappé sans
pitié les étudiants et les manifestants et les ont même attaqués dans
les hôpitaux. Cependant, cette fois, les étudiants ont rapidement créé
une résistance et ont réussi à reprendre le contrôle des dortoirs à
cette aile étudiante fasciste pour la première fois en 16 ans de règne
de la Ligue Awami. Ensuite, le gouvernement a appelé les forces de
police pour arrêter la manifestation, lesquelles ont eu recours à des
mesures brutales et ont commencé à tuer des manifestants le 16 juillet.
Cela n a pas réussi à arrêter la résistance, et celle-ci n a fait que
croître en nombre. Les coordinateurs du mouvement ont appelé à l arrêt
complet de toutes les activités publiques dans les jours suivants.
[[http://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/07/bangladesh-2024-07-18-manifestants-clashes-police-1024x576.jpg]]
Le 18 juillet, la police et les hommes de main du parti au pouvoir ont
fait preuve d une violence inattendue en attaquant des étudiants qui
manifestaient à l intérieur et devant les universités et les lycées.
Cependant, les étudiants ont fait preuve d un immense courage et ont
tenté de riposter. Ils se sont organisés, se sont coordonnés et ont
utilisé leurs ressources limitées pour riposter à la violence d État.
Dans différentes zones, les fantassins du régime et les forces de police
ont été contraints de quitter les lieux alors que les manifestants
ripostaient. Le gouvernement a également multiplié la violence en
réponse et s est lancé dans une série de meurtres. Dans l après-midi du
18 juillet, des nouvelles confirmées du meurtre de nombreux étudiants d
université et de lycée ont circulé sur les réseaux sociaux. Des gens ont
commencé à se joindre massivement au mouvement et de violents
affrontements ont eu lieu entre le parti au pouvoir et les manifestants
et la foule en colère. Plus tard dans la journée, le gouvernement a
complètement bloqué l accès à Internet dans tout le pays pour réprimer
la protestation. Cela n a pas abouti et les manifestants ont continué à
résister le lendemain, le 19 juillet. Des membres de différents partis
politiques ont également rejoint le mouvement, mais la participation des
masses populaires et des étudiants a continué. Les forces armées ont
abattu au moins 70 manifestants ce jour-là. La plupart des personnes
tuées étaient des étudiants, mais aussi des photographes, des tireurs de
pousse-pousse; des travailleurs des transports ont également été tués. 2
policiers ont également été tués par les manifestants lors des
affrontements. Dès vendredi soir, le gouvernement a décrété un
couvre-feu et a employé l armée. Cependant, des affrontements et des
morts ont également été signalés samedi.
[[http://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/07/bangladesh-2024-07-18-manifestants-blesse-police-1024x576.jpg]]
Comme seule une partie du Bangladesh a retrouvé l accès à Internet après
5 jours de coupure d Internet imposée par le gouvernement, il est
difficile d obtenir des informations fiables. Les médias opérant dans le
pays sont fortement contrôlés par le gouvernement. Le gouvernement ne
fournit pas non plus d informations sur le nombre de décès et n autorise
pas non plus les responsables médicaux à le faire. Il y a eu des
allégations selon lesquelles la police aurait saisi les registres de
décès des hôpitaux. Selon un grand journal du Bangladesh, au moins 184
personnes ont été tuées lors des manifestations en cours. Cependant, le
nombre réel est estimé bien plus élevé. Les gens et les journalistes
affirment qu ils n ont pas été témoins d une violence d une telle
ampleur depuis des années. Des photos et des vidéos apparaissent où l on
peut voir des tas de cadavres gisant sur le sol d un hôpital, la police
tirant continuellement à bout portant sur des personnes non armées.
Comme le rapporte[la chaine allemande]DW News, des véhicules de l ONU
destinés à des missions de maintien de la paix ont également été
utilisés par les forces armées pour attaquer des manifestants au Bangladesh.
Au-delà de la résistance sur le terrain, la jeunesse rejette et détruit
tous les récits du parti fascisant et de l État autoritaire. La
population du Bangladesh a fait preuve d une immense solidarité avec le
mouvement étudiant, car elle le considère comme une résistance légitime
contre la dirigeante autocratique Sheikh Hasina. La population locale a
fourni gratuitement de la nourriture et des abris et a aidé les blessés
à atteindre les hôpitaux. Les gens ont exprimé une désobéissance massive
e et non-coopération avec l État pendant le mouvement. La classe
ouvrière a fait preuve d une incroyable solidarité avec les étudiants
lors de la manifestation. Ils les ont activement soutenus et, dans
certains domaines, ont participé avec les étudiants. Durant le
mouvement, les étudiants ont utilisé diverses tactiques d action directe
et d entraide qui les ont aidés à résister avec succès.
Le 21 juillet, la Cour suprême s est prononcée en faveur d une réforme
des quotas. Même si la répartition proposée réduit le quota de
descendants de combattants de la liberté exigé par les manifestants,
elle réduit également le quota de groupes de citoyens défavorisés, ce
qui est injuste. En outre, après les massacres de la semaine dernière,
la situation a largement dépassé la réforme des quotas et un grand
nombre de personnes exigent désormais la démission du Premier ministre
Cheikh Hasina. Cependant, grâce au contrôle des médias, de la
communication et à une force excessive, le gouvernement a conservé une
certaine position. La police a arrêté des centaines d étudiants. L un
des coordinateurs a également été enlevé et torturé par les forces
armées. Le gouvernement essaie de montrer que les choses redeviennent
normales et qu il faudra probablement bientôt rétablir la connexion
Internet dans tout le pays et mettre fin au couvre-feu, car les
entreprises subissent de lourdes pertes dues à la fermeture. Lorsque
Internet reviendra, les coordinateurs et les manifestants devront faire
face à une dure bataille contre une dictature non masquée qui a le sang
de centaines de personnes dans les mains.
Je ne pense pas que le Bangladesh puisse revenir à la normale après
cette tuerie et cette violence du parti au pouvoir. Le peuple du
Bangladesh doit décider si le totalitarisme d un parti fasciste sera le
sort du pays ou si le peuple retrouvera le pouvoir. Le mouvement, qui a
commencé comme une protestation pour des opportunités équitables en
matière d emploi, s est transformé en un soulèvement de masse contre le
régime fasciste d Hasina et la violence d État, soulèvement pendant
lequel le peuple du Bangladesh a exprimé son besoin de vivre avec
liberté, droits et dignité. Cependant, pour atteindre ce destin, nous
avons besoin d une transformation démocratique de l État, nous devons
démanteler les forces armées d élite qui commettent des exécutions
extrajudiciaires, et nous devons restructurer chaque institution afin
que personne ne puisse jamais obtenir le pouvoir de commettre de telles
atrocités. Nous devons abandonner les politiques néolibérales et évoluer
vers une économie pour le peuple et les travailleurs, et non pour la
classe capitaliste. Cependant, pour que tout cela se réalise, nous avons
besoin d un mouvement ouvrier et d un mouvement pour les droits civiques
forts.
Jusqu à présent, la population et la société ont fait preuve d une
incroyable résistance face à la violence d État. La résistance marque un
nouveau départ pour la lutte vers un Bangladesh plus égalitaire, juste
et libre. L avenir est incertain, mais si ce mouvement montre quelque
chose, c est bien qu il montre que les personnes organisées qui luttent
pour une juste cause peuvent faire preuve d une résistance impensable.
Nous rejetons un avenir totalitaire et nous n attendons rien de moins qu
une révolution populaire.
24 juillet 2024
L auteur de ce texte est membre du groupe anarchiste Auraj. À propos d
Auraj: Auraj (Auraj signifie anarchie en bengali) est un réseau
anarchiste d étudiants bangladais et d autres personnes de différentes
professions. Auraj a publié diverses traductions de penseurs anarchistes
tels que Bakounine, Kropotkine, Rudolf Rockers et d autres en bengali.
Auraj publie également fréquemment des articles sur la situation
politique et économique du Bangladesh. Auraj a fait preuve de solidarité
avec les récents mouvements ouvriers (mouvements des ouvriers du
textile, des usines de toile de jute), des mouvements étudiants et des
mouvements pour les droits civiques au Bangladesh. Bien que les membres
d Auraj aient individuellement participé directement à bon nombre de ces
mouvements, y compris à la résistance actuelle, l activité d Auraj en
tant que groupe se limite principalement à la publication de textes et
de brochures.
http://cnt-ait.info/2024/07/26/bangla-24-07-24-fr/
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