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(fr) CNT-AIT - Fédéralisme et réseau: pour une organisation anarchosyndicaliste fédérale du XXIème siècle
Date
Thu, 25 Jul 2024 18:18:59 +0100
Compilation de texte pour éclairer la vision de l'organisation selon la
CNT-AIT et notre vision de l'articulation entre fédéralisme et réseau
---- 1. Fédéralisme et réseau ---- 2. Militer en réseau fédéral ---- 3.
Fédéréseau ---- 1. Fédéralisme et réseau ---- Publication initiale:
mercredi 15 janvier 2003 ---- La coordination de ses activités est un
problème fondamental pour tout groupe humain. ---- Au cours de
l'histoire, différents modèles d'organisation ont émergé, mais, quelles
qu'en soient les variantes, c'est un modèle hiérarchisé et centralisé
qui domine actuellement la planète. ---- Ce modèle est en parfaite
adéquation avec une société d'exploitation dans laquelle une poignée de
dirigeants impose à la masse des plus faibles le maintien de ses
privilèges en utilisant simultanément la violence physique (suivant les
cas: guerres, famines, bavures policières, prisons, licenciements,
camps, misère...) et la violence idéologique (médias, enseignement,
«intellectuels» aux ordres, religions, publicité...). Du sommet de
l'état à la cellule familiale en passant par les entreprises et les
administrations, ce même modèle est tellement présent qu'il est
inconsciemment intériorisé par les individus qui finissent par le
trouver «naturel». Cette pression est tellement forte que même ceux qui
aspirent à changer la société peuvent le reproduire.
a) LE FEDERALISME
Même s'ils n'échappent pas toujours à cette critique, il faut
reconnaître qu'un des efforts constants des anarchosyndicalistes et plus
généralement des libertaires est de récuser ce modèle et de proposer des
modes d'organisation qui permettent de conjuguer réflexion et action
collective, progrès social et respect de chaque individu. Depuis plus
d'un siècle, ils proposent le fédéralisme comme alternative,
c'est-à-dire un système qui repose sur la libre fédération entre elles
des entités qui composent une société.
Ce principe très général a déjà reçu des applications réellement
intéressantes et sur une grande échelle à certaines périodes historiques
-la Révolution espagnole pour n'en citer qu'une-, mais il mérite d'être
approfondi, affiné, d'autant qu'il peut se décliner de façons très
diverses. Une des questions qui se posent d'après nous aux
anarchosyndicalistes d'aujourd'hui est d'assurer une meilleure
application de ce principe dans leur propre façon de s'organiser.
En effet, les cadres organisationnels sur lesquels reposent
habituellement leurs mouvements se sont figés voici plus de cent an et
sont de ce simple fait en-dessous de ce qu'ils pourraient être par
rapport à l'évolution des concepts et des besoins. Pour nous, il ne
s'agit nullement de «rénover» l'anarcho-syndicalisme au sens que ce mot
a pris dans le vocabulaire politique (dans lequel «rénover» veut surtout
dire vider une théorie de sa substance pour ne garder qu'une partie de
son décorum), mais au contraire de régénérer les notions de base avec la
volonté de donner aux idées et aux pratiques anarcho-syndicalistes la
plus grande expansion. Loin des concessions que certains sont
périodiquement tentés de faire pour être «reconnus» par la société
dominante, pour «peser» sur elle, il s'agit pour nous au contraire de
développer les moyens d'organisation qui permettraient de porter
d'avantage la révolution dans son coeur.
b) LE RESEAU
Un des concepts que l'anarcho-syndicalisme peut utiliser pour pratiquer
le fédéralisme est celui du réseau. Nous allons essayer dans ces
quelques lignes d'apporter des éclaircissements sur ce que nous
entendons par ce mot.
i) Tout d'abord, qu'entendons-nous par organisation en réseau?
L'objectif du fonctionnement en réseau pour une organisation
anarcho-syndicaliste est de favoriser un mode d'organisation qui
garantisse à chaque syndicat sa totale liberté d'expression et d'action
tout en potentialisant la solidarité avec les autres.
La liberté d'action et d'expression (l'autonomie) de chaque syndicat,
fonctionnant en assemblée générale de syndiqués, implique qu'aucune
autre structure à quelque niveau que ce soit ne puisse avoir le moindre
pouvoir de décision à la place du syndicat, même pour des tâches qui
seraient qualifiées de «techniques». Ce qui n'est pas incompatible, loin
s'en faut, avec le débat, la concertation, l'échange d'information, le
partage de moyens. La solidarité entre syndicats est une démarche
volontaire et non une contrainte imposée par une majorité, quelle
qu'elle soit. Elle résulte d'une proposition ou d'une demande d'aide
d'un ou de plusieurs syndicats et de l'accord de tout syndicat jugeant
cette proposition recevable.
Ainsi, une confédération anarcho-syndicaliste fonctionnant en réseau
serait constituée d'un ensemble de syndicats se reconnaissant dans un
certain nombre de principes généraux communs, issus de débats ouverts et
permanents. Toute autre structure regroupant des syndicats, à tout
niveau, serait alors une instance de concertation, d'information, mais
jamais une instance de décision. La cohérence de la confédération serait
le produit de deux facteurs et de rien d'autre: la cohérence des
relations entre les syndicats d'une part et leurs actions sur le terrain
d'autre part.
On le comprend aisément, ce type de fonctionnement génère une
confédération dynamique. La réalité de la confédération est la
résultante de l'action réelle et de l'inter-réaction des syndicats. Le
réseau ne garantit pas contre toute prise de pouvoir, mais il limite
fortement la prise de pouvoir car il n'existe alors aucun autre lieu de
décision que le syndicat.
ii) Le réseau s'oppose-t-il au fédéralisme?
Très souvent, les militants libertaires ont une image partielle et
déformée du réseau. Celle-ci provient d'une part de la période des
années 70/80 pendant laquelle des groupes dits «autonomes» ont mené des
expériences souvent fort critiquables (positionnement politique obscur,
dérive autoritaire...).
Même s'ils n'ont pas fait référence directement à ce concept, on parle
parfois de ces groupes en termes de réseaux. Les critiques qu'on peut
leur faire ne tiennent pas à leur pratique restreinte du réseau mais
bien à leur manque d'analyse et d'objectifs politiques clairs. Si les
objectifs d'une structure ne sont pas clairs, la structure ne le sera
pas non plus, quel que soit le mode d'organisation qu'elle se choisit.
D'autre part, le mot «réseau» est souvent utilisé pour décrire des
relations cachées, semi-clandestines, entre des personnes ou des
groupes. Il est clair que ces rapports occultes introduisent des
possibilités de manipulation dans toute une organisation. Des militants
qui échangent périodiquement des informations, des idées (quelle que
soit la forme utilisée: déplacements, «tournées des popotes»,
téléphone...) constituent un réseau. En soi, de tels échanges n'ont rien
de choquant, et d'ailleurs, ils sont peut-être inévitables. Ce qui est
très critiquable, c'est l'utilisation qui peut en être faite (travail de
sape, construction artificielle d'un rapport de force interne...). Or,
cette utilisation ne découle pas du réseau mais de son caractère caché.
En officialisant le réseau, en le mettant «sur la table», en rendant
accessible les informations qui y circulent à tout adhérent, on ne garde
que l'aspect dynamique du réseau en neutralisant les aspects pervers
évoqués ci-dessus.
Enfin, pour certains militants, le réseau évoque inévitablement ... la
pagaille. Or, un réseau, comme tout mode d'organisation, peut-être plus
ou moins fortement structuré. Par exemple, rien ne s'oppose à ce que,
dans un réseau, des protocoles fixent par consensus les modalités de
circulation de l'information.
De fait, contrairement aux idées reçues, le réseau non seulement ne
s'oppose pas au fédéralisme, mais il en constitue une des formes
possibles. Il ne fait pas obstacle à la solidarité et il favorise
l'échange car il est débarrassé des lourdeurs du passage obligé par des
instances souvent difficiles à réunir pour diverses raisons. A la norme,
édictée périodiquement par un congrès ou une instance après un débat
plus ou moins formel, le réseau oppose la dynamique du débat permanent
conduisant à un consensus qui seul permet l'action concertée efficace.
c) ANARCHO-SYNDICALISME & RESEAU
A partir d'une analyse de la société de classe actuelle et de ses
fonctionnements (formes de domination, rôle du spectacle de la
contestation, lutte des classes...), l'anarcho-syndicalisme définit des
stratégies pour combattre et abattre le totalitarisme capitaliste et
étatique (position idéologique de rupture avec le système, rejet des
structures collaborant avec le pouvoir ou défendant un mode
d'organisation autoritaire et hiérarchique, action directe, solidarité
de classe, ...) et pour organiser la société future (autogestion,
communisme libertaire...).
Les moyens à utiliser doivent répondre à la réalité présente et être
conformes aux objectifs à atteindre. C'est pourquoi le fédéralisme doit
être une constante de nos organisations et le réseau peut se révéler une
façon utile de le pratiquer.
Paul
--------------
2. Militer en réseau fédéral
lundi 19 janvier 2004
En ce début du troisième millénaire, quelle est, pour
l'anarchosyndicalisme sur le plan national la forme d'organisation la
plus adaptée à sa réalité actuelle, à la situation générale dans
laquelle il évolue et qui lui permette le meilleur développement? Ce
texte, est une contribution individuelle à ce débat.
a) MAIS QU'EST-CE QU'UNE ORGANISATION?
Toute organisation repose sur un pacte entre des entités afin
d'atteindre un but et suppose un mode de gestion de ce qui est mis en
commun.
D'un point de vue anarchosyndicaliste, le pacte est librement consenti,
modifiable aussi souvent que nécessaire. Il est théorico/pratique
puisqu'il repose à la fois sur une théorie, une philosophie
(l'anarchisme) et sur une pratique (l'anarchosyndicalisme) qui ne
doivent faire qu'un. Les entités concernées sont des structures
fonctionnelles, de véritables cellules vivantes, qui conservent toujours
leur liberté: les anarchosyndicats et les unions régionales
d'anarchosyndicats.
Le but essentiel à atteindre est de réaliser une société libertaire. Cet
objectif ne peut être atteint que par une politique de rupture avec tout
«l'establishment». La résistance au quotidien se situe elle-même dans
cette perspective.
Le mode de gestion est de type fédéraliste. Il repose habituellement sur
des assemblées générales ou des réunions de militants mandatés (pour la
réunion en question ou pour des tâches précises sur des périodes plus
longues).
Ce qui est en commun à l'ensemble des syndicats est essentiellement de
l'immatériel (idées, sigle, pratique de la solidarité, titres de
journaux,...).
Il résulte de ce qui précède que plusieurs formes d'organisation
anarchosyndicalistes sont possibles. D'ailleurs, au moment du plus fort
développement de l'anarchosyndicalisme dans les années 1930, la CNT
espagnole, la CGT-SR (France) ou la FORA (Argentine) ont eu des
pratiques organisationnelles assez différentes, mais toutes reconnues
par le mouvement anarchosyndicaliste international.
b) STRATEGIE ORGANISATIONNELLE...
Globalement, nous vivons encore actuellement sur une conception de
l'organisation, héritée du XIXème siècle, qu'on pourrait qualifier de
mécaniste (un rouage entraîne les autres, le flux «monte» et «descend»
en suivant ces rouages).
L'objectif de ce texte est de commencer à préciser ce que pourrait être
une confédération anarchosyndicaliste utilisant un autre modèle
organisationnel, celui du réseau. Dans cette perspective, la stratégie
est avant tout de potentialiser, de rendre plus efficace l'action que le
syndicat (en tant qu'entité fonctionnelle) mène là où il se trouve, et
qui se concrétise par des actions de réflexion et de propagande et de
résistance et d'impulsion.
La confédération en réseau (fédéréseau) postule donc nécessairement que
chacune de ses unités ne commence à exister qu'à partir du moment où
elle est fonctionnelle, c'est à dire qu'un travail militant de terrain
se fait.
Il existe plusieurs possibilités pour qu'une organisation nationale
rende plus efficace le travail militant des syndicats.
Classiquement, par exemple, elle produit et met à disposition de ces
derniers des affiches, des tracts rédigés et imprimés nationalement.
Selon notre conception, puisqu'une fédéréseau regroupe des syndicats qui
cherchent à avoir une réelle autonomie de réflexion, de décision, de
gestion, de réalisation et d'action, le rôle de la structure nationale
est tout autre. C'est d'aider les syndicats à devenir aussi autonomes
que possible dans tous les domaines, de la conception du matériel de
propagande à la réalisation pratique. Evidemment, tout cela n'irait pas
sans poser des problèmes nouveaux, à la fois. Mais il existe des solutions.
c) ... & QUESTIONS PRATIQUES
Une des questions que l'on peut se poser est de savoir comment se fera
la mutualisation puisqu'il n'y aura plus de centralisation. Dans une
fédéréseau, si un syndicat a une idée (de lutte, d'affiches, de texte
...), Il la communique à tous les autres syndicats membres (par
bulletin, circulaire, internet...). Si certains d'entre eux trouvent
l'idée tout à fait à leur gout, soit ils s'adressent directement au
syndicat qui a lancé l'idée pour la mettre en pratique ensemble, soit
ils prennent l'idée à leur compte et l'affaire est réglée. Dans le cas
où des syndicats la trouvent correcte mais améliorable, ils transmettent
leur nouvelle proposition. Au «pire», si une idée ne supplante pas
l'autre ou si la synthèse ne se fait, il y a plusieurs versions de la
réalisation (de l'affiche, du tract..) ce qui, en soi, n'est pas gênant.
Si des syndicats trouvent l'idée médiocre mais compatible avec
l'anarchosyndicalisme, ils peuvent exprimer leur opinion s'ils
l'estiment utile, mais ils ne bloquent pas l'initiative.
Enfin, si des syndicats la trouvent incompatible avec
l'anarchosyndicalisme, ils le manifestent et l'argumentent. Le syndicat
qui est à l'origine du projet et ceux qui étaient éventuellement
intéressés peuvent se rétracter (s'ils estiment qu'ils ont été
maladroits, qu'ils se sont trompés ...) ou persister, ce qui, suivant la
gravité qu'accorderont au sujet les uns et les autres, peut donner lieu
à un conflit.
Les arguments économiques qu'on peut opposer à cette démarche (il est
moins cher, à l'unité, de tirer une affiche à un grand nombre
d'exemplaires, par exemple) ont été vrais. Ils le sont beaucoup moins
maintenant (du fait des nouvelles technique d'impression et de
communication). La CNT-AIT dispose d'ailleurs d'une importante
expérience dans ce domaine depuis des années (par exemple avec son
réseau de presse). Par rapport aux inconvénients qu'entraînent une
organisation centralisée (en particulier les possibilités de prise de
pouvoir), le faible «surcout» économique éventuel du fonctionnement en
réseau n'est pas un argument recevable.
Beaucoup d'autres questions qui se posent (par exemple, la gestion des
contacts extérieurs, les besoins en matière de solidarité...) peuvent
recevoir des réponses du même type.
d) LA GESTION DU RESEAU
Les questions qu'une fédéréseau aura à résoudre pour se gérer elle-même
sont au moins de 3 types:
1) Qui entre dans la fédéréseau?
On peut penser que le minimum sera l'activité réelle préalable. Un
individu, un groupe d'individus qui se reconnaissent dans ce qu'est la
CNT-AIT commencera par militer avant de constituer un syndicat. En
pratique, il se greffera sur un des syndicats constitutifs du réseau,
pour pouvoir bénéficier de l'infrastructure, vérifier l'adéquation des
idées des uns avec celles des autres ... Ce n'est que quand les choses
sont un peu solides qu'un nouveau syndicat peut se constituer. Ce
travail peut prendre, en fonction des réalités locales, des formes très
diverses. Il doit cependant exister d'une façon ou d'une autre et c'est
une des bases sur lesquelles se fait l'appréciation par le réseau. Si le
constat est positif, avalisé par lui (dans une réunion nationale du
réseau par exemple), l'adhésion sera avalisée.
2) Qui reste dans la fédéréseau?
Pour qu'une confédération soit un organisme vivant, il faut que,
lorsqu'une unité n'a pas le potentiel minimum pour continuer à
fonctionner, elle disparaisse en tant que structure. Dans une logique de
réseau, il n'y a aucun intérêt à garder des coquilles vides (il y a même
des inconvénients). Le (les) militant(s) qui n'a plus d'activité réelle
sur place se greffe sur un autre syndicat et vient le renforcer au lieu
de rester isolé et de faire semblant. Dès que les forces le permettront
à nouveau, le redéploiement aura lieu. Pour rester dans le réseau en
tant que syndicat, l'activité de terrain (et les cotisations) doivent
être validées périodiquement par l'ensemble du réseau. La participation
à la vie du réseau, c'est-à-dire l'échange permanent avec toutes les
autres unités fonctionnelles, doit être effective.
Bien sur, le conflit peut surgir et le «gentleman agreement» sur lequel
repose ce qui vient d'être écrit ci-dessus risque d'être mis à mal.
Comment de tels conflits peuvent-ils être traités dans une fédéréseau?
3) La gestion des conflits
Imaginons que le syndicat A ne soit pas d'accord (pour les raisons les
plus diverses) avec le syndicat B. La première chose qu'il peut faire
est bien sur de discuter pour tenter de s'entendre. Si la situation est
bloquée, il peut couper toutes ses relations avec B. Si les autres
syndicats pensent et font comme A, alors B est rapidement mis hors du
réseau, sans autre forme de procès. S'ils trouvent que c'est A qui a
tort de se comporter ainsi et que c'est lui qui empoisonne les autres,
ils coupent les ponts avec lui, et c'est A qui se trouve de fait
rapidement hors circuit. Enfin, si les syndicats trouvent que le conflit
entre A et B n'a pas de réelle importance, ils peuvent essayer de faire
entendre raison à l'un ou/et à l'autre. Si A et B restent figés, et bien
tant pis, il n'y aura pas d'échanges directs entre ces deux-là, mais
cela n'empêchera pas le réseau de continuer à fonctionner même si cela
devient un peu «boiteux». Le réseau ne résoudra probablement pas tous
les problèmes. Mais il pourrait dynamiser l'action des anarchosyndicalistes.
Pour finir, soulignons, qu'au sens où on l'entend ici, il est tout à
fait transparent pour ses membres, puisqu'il identifie clairement les
unités fonctionnelles (des syndicats actifs), les procédures (la façon
dont les syndicats communiquent entre eux), les contenus (ce qu'ils
communiquent) et le degré de liberté et d'autonomie de chacun. La
réflexion est loin d'être finie et le débat reste ouvert.
Francesito
--------------
3. Fédéréseau
L'humain est la source de toute idéologie et les choix politiques
émanent de celle-ci. La négation de la genèse humaniste de la politique
est une idéologie qui masque sa politique. La politique est, au bon sens
des termes, subjective, arbitraire et conventionnelle. Le système
politique incarne l'idéologie d'une époque et ses rapports sociaux:
conflits, compromis et intérêts. L'idée anarchiste se veut égalité,
justice, liberté et projet sociétal: le communisme libertaire. Il faut
en penser le système politique adéquat.
Deux concepts font débat.
a) Le fédéralisme pyramidal
C'est une association de structures qui abandonnent une partie de leur
souveraineté tout en exerçant plus ou moins le contrôle sur l'ensemble
fédéré (États, collectivités, partis, syndicats, associations,
agglomérats économiques, etc.).
Selon la terminologie, c'est l'organisation du sommet par la base selon
ce plan: Les conséquences sont que les étages équivalents n'ont pas de
contacts directs entre eux, la circulation d'information est longue,
verticale, concentrée et centralisée sur les échelons supérieurs et sur
des groupes restreints.
Dans ce mode d'organisation, chaque structure n'a que peu de contacts
avec les autres structures de même niveau, et seulement un contact avec
le niveau d'organisation qui lui est immédiatement inférieur ou
immédiatement supérieur. (organisation verticale)
Cela réduit donc la visibilité de la structure sur son environnement.
Cette réduction fait que la réalité externe dans sa globalité est mal ou
même pas du tout saisie; les réalités ne sont vus que de manière
parcellaire, sous un seul angle de vision. L'information subit une
perception particulière, perd de l'objectivité, voire tourne à
l'égotisme. Les altérations informationnelles obligent à vérifier le
sens, le vrai et le faux...
[[http://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/07/Pierre-Besnard-Schema-organisation.png]]
[[http://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/07/36-CNT-AIT-Schema-organisation.png]]
Modèle d'organisation de «fédéralisme vertical» (centralisme en fait)
prévue par Pierre Besnard dans son livre «Le monde nouveau» publié en
1934 et repris par la CNT espagnole en 1936
Le «fédéralisme» tel qu'il était conçu par Pierre Besnard dans les
années 30 pour la CGT-SR, repris ensuite par la CNT espagnole dans les
mêmes années, s'apparentait plus à du «fédéralisme pyramidal» -- voir du
centralisme -- qu'autre chose. (cf. illustration)
Cela alourdit la communication. Les réunions pour se coordonner, cadrer,
expliquer, sont pléthoriques et impactent l'activité vers le
bureaucratisme. Au prétexte de l'urgence, des nécessités, de la
cohésion,... les comités, les secrétariats, les bureaux, décident et
s'arrogent le pouvoir de haut en bas. Ce fonctionnement est renforcé par
les adhésions visant les privilèges, les alliances (collaboration,
cogestion, collusion) pour augmenter les moyens (finance, logistique,
permanents, salariés). Cela accrédite la rhétorique verticaliste.
On expliquera que hiérarchie et centralisation sont pertinentes pour la
discipline, l'unité, la célérité, la résistance, l'efficacité, au point
d'être le top du social. Une telle affirmation est multi-contredite par
la réalité. On nie les pugilats, les mesquineries, les courtisans, les
mensonges, les magouilles des clans, des petits et grands chefs que le
pouvoir exacerbe. On oublie qu'une union d'action sociale n'échappe pas
aux conflits (adversaire, ennemi, concurrent), la stratégie se double
d'une tactique (défense, attaque). Le tout est conditionné par le
verticalisme et le volume d'hégémonie poursuivi par l'attaquant. C'est
sous la contrainte d'une force antagonique plus puissante que se révèle
la fragilité d'un système pyramidal ou sa soumission par un autre.
On manie pour ce but les méthodes suivantes: -- éradiquer grâce à un
arsenal juridique, militaire, financier: on illégalise, réprime les
personnes; on anéantit les centres vitaux (encadrement et logistique).
Si nécessaire, on étend cela aux sous-grades pour désarticuler par effet
de panique. -- domestiquer en modifiant l'idéologie, l'action
subversive, l'attitude antagonique: on maintient ou intensifie le
verticalisme, octroie des moyens proportionnés aux couches organiques.
On achève la pacification par la collaboration, la connivence, le
partenariat et l'intégration.
-- neutraliser en inhibant la réaction par le dysfonctionnement des
équipes et de la logistique: on coupe ou manipule l'information, stimule
les conflits internes pour paralyser la machine.
-- instrumentaliser les points déterminants par des groupes occultes: on
change ou pas les statuts; on entretient ou crée des inimitiés et
rumeurs. On tourneboule, on ajoute flatterie et démagogie. On détient
l'influence, le pouvoir et les moyens de la somme infiltrée pour servir
la formation entriste.
Qui étudie les ouvrages de conseil tactique et de stratégie ou les
manuels (pour ou contre) révolutionnaires, insurrectionnels, de
guérilla, de coup d'État, les livres d'histoire sur les luttes sociales,
est dessillé par leur vocabulaire: décapitation (des états majors, des
postes de commandement, des comités centraux, des postes de direction,
des lieux vitaux...), usage de services (secrets, de renseignements, de
contre-information, d'intox), bataille (idéologique, économique,
psychologique), guerre (partielle, totale, préventive), destruction,
soumission et isolement... Un stratège, conseiller de la CIA, démontrait
le bénéfice que l'attaquant tire de la verticalisation de la machine de
guerre adverse et, à titre d'exemple, l'aisance de la déroute du
dispositif des partis communistes du fait de leur centralisation. A
contrario, on notera qu'afin de protéger leur circuit informationnel,
les militaires américains ont calqué pour Internet le réseau de type
libertaire.
Conscients des avatars de ce fédéralisme, certains vont choisir un
schéma en équerre: Pour plus d'horizontalité, ils défendent la rotation
des tâches. Ils réduisent le rôle législatif de quelques niveaux ou le
limitent à l'exécutif, le tout sous le contrôle du congrès des éléments
de base qui nomment les mandatés aux diverses instances. Cela améliore
la vie organique, le flux d'information, la démocratie et casse le
réductionnisme de structure auto-centrée. Mais les ordres ascendants
maintiennent leurs expédients et leur suprématie. Les sous-ensembles
oeuvrés par des bénévoles ou simplement des affiliés qui travaillent
s'épuisent face à la perpendiculaire qui s'impose au final. L'histoire
enseigne que l'inégalité de traitement, des moyens ou de situations
installe un monde de domination. La bureaucratie, la technostructure
asservissent pour leurs besoins.
Pour instiller un véritable fédéralisme démocratique, une autre piste
est requise: «le réseau libertaire».
b) Le fédéralisme en réseau
Selon cette esquisse de diagramme, toutes les parties sont reliées,
émettent et reçoivent l'information quel que soit l'interlocuteur. Elles
sont de même nature et fonction, ne sont pas subordonnées mais sont
l'extension des aires nécessaire à l'action générale, comme chaque
maillon tient la chaîne, selon le principe que la totalité n'exprime, ne
représente, n'existe que par ses constituants d'égale force. C'est un
champ d'investigation empirique étendu qui permet la maturité et la
compréhension systémique. Cet organigramme peut être opératoire pour
tous types de groupements humains (territoriaux, syndicats, collectifs
de luttes, associations) et s'appliquer à l'économie, la politique,
l'éducation... Pour garantir les droits irréfragables de chaque entité,
sans être paralysé par l'infantilisme, l'égocentrisme, le court terme et
l'étroitesse d'esprit, qui entravent sa souveraineté, son autonomie et
ne saisissent pas que le fédéralisme est la plus haute expression de ces
deux valeurs il faut énoncer la règle: chaque constituant a des moyens
et des décisions propres, il n'engage et ne statue que par et pour ceux
qu'il fédère.
Par exemple, les habitants d'une ville l'administrent en tout point; si
la nécessité conduit à n'utiliser que des moyens par quartier celui-ci
les gère, cela s'étend à toutes les entités sur leur périmètre
d'intervention. Pour empêcher la domination de minorités, les conseils,
les mandatés, les délégués et les commissions sont révocables. Les
votations (motions, référendums, congrès, etc.) sont l'attribut des
assemblées générales d'individus des zones concernées (fédérales,
inter-fédérales, etc.). Chaque centre et instance sont régis par la
démocratie directe.
Avec l'ajout d'autres vecteurs idéologiques (égalité, solidarité,
démocratie, justice, liberté, lutte des classes, anticapitalisme,
antiparlementarisme, etc.), nous dépassons la simple mécanique
inter-structurelle pour une obtenir une cohésion transtructurelle dans
laquelle micro/macro, particulier/général, spécifique/universel,
fraction/totalité sont en symbiose. Le réseau est assez souple pour
articuler le local et le global. Il ne fait pas obstacle à ce que ces
items s'adaptent ou innovent sans renoncer au générique. C'est à
l'intelligence de répondre aux cas d'espèces en pérennisant
l'architecture organique. Il n'y a pas de cadre parfait et définitif
mais la volonté judicieuse de l'intelligence collective pour
marginaliser les imbéciles.
La destruction, la manipulation ou l'annihilation d'un tel bâti sont
très difficiles. Il n'y a pas de grades instrumentalisables. Chaque
groupe a des moyens isodynames (égaux) assurant son indépendance et
interdépendance. De fait, l'existence de l'un est garantie par l'autre.
Les liens en faisceaux font qu'un lien rompu est compensé ou rétabli par
le maillage. La praxis globale produit une haute conscience de la
situation et des défenses organiques.
Pour anéantir un agencement réticulé, il faut frapper une grande
quantité de points, mais aussi les relations molaires et moléculaires,
tout autant que les affirmations idéologiques... Pour cela, il faut des
moyens, une force difficile à obtenir.
Le tricotage d'un réseau fédéré est démocratique et octroie une grande
unité pour agir, que cela découle de façon empirique ou de raison! Cette
élaboration est valable en défense, plus délicate en attaque car plus
lente. Mais ceux qui négligent la défense pour l'attaque le paient très
cher. Exemple: les Russes firent de Stalingrad une défense stoppant les
Allemands, ce qui leur permit l'organisation du front arrière et la
contre attaque jusqu'à Berlin. Le réseau est bien adapté à l'axe
tactique et stratégique. Cependant, la notion de réseau n'est pas
forcément révolutionnaire en soi. Elle est compatible récupérable,
juxtaposable.. et peut coexister avec des réalités pyramidales.
Dans une vision subversive, le réseau est in-annexable. Il offre la
durée (pré, pendant et post-révolutionnaire), un socle concret et
fondamental pour un processus de transformation sociale. «Il est
antagonique avec une formation spécifiquement idéologique et/ou
révolutionnaire qui se veut hiérarchisée». A contrario, ce type de
régulation a une connivence patente avec l'anarchosyndicalisme, sa
méthodologie; elle explicite son utopie, son projet de société.
D'ailleurs, c'est un des fondements de l'AIT: ses syndicats ont leurs
moyens propres qu'ils autogérent et n'ont pas de restriction de lien
envers les structures fédérées.
Par ignorance, bêtise, mauvaise foi, manipulation sémantique, on dénigre
le fédéralisme en réseau. Certains, se présentent comme anarchistes,
mais prouvent par leur critique du réseau qu'ils ne le sont point. Ils
s'affilient en général à des organisations réformistes, bureaucratiques,
centralisées, y prennent des fonctions aussi importantes que la
hiérarchie veut bien le leur concéder. Sous couvert de tolérance, de
pragmatisme, de non-dogmatisme, ils sont les chantres de l'exploitation,
de l'antithèse acrate. L'anarchisme est négation de l'exploitation et de
l'oppression. Il critique et combat la délégation de pouvoir, promeut
une société démocratique et égalitaire. La pertinence du discours est sa
corrélation pratique: seul le réseau-fédéral est communiste libertaire.
Jean Picard, mars 2010.
http://cnt-ait.info/2024/07/25/federalisme-et-reseau
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