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(fr) Courant Alternative #343 (OCL) - La non-violence n'existe pas
Date
Sun, 21 Jul 2024 18:34:02 +0100
Depuis des lustres, le débat opposant non-violence et violence traverse
les mouvements sociaux. Les violences ne sont pas uniquement physiques,
mais aussi institutionnelles, symboliques, psychiques, etc. Cette
opposition est grandement entretenue par l'État. Il criminalise nos
mobilisations en les accusant d'être violentes, allant jusqu'à les
accuser de terrorisme ou d'en faire l'apologie. Il est impératif de
sortir de cette opposition et tenter d'agir en prenant en compte et en
articulant les multiples formes, actions, initiatives que prennent les
mouvements sociaux. ---- La principale fonction de l'État est de
maintenir l'ordre social: la société capitaliste. Elle est fondée sur
l'exploitation, le maintien d'une hiérarchie sociale, le patriarcat, la
division des dominés entre eux, en racisant certains, en infériorisant
certains genres, en criminalisant, en créant des concurrences
artificielles... Tout cela engendre une conflictualité violente au
quotidien. Face aux remises en cause de ces différents aspects, l'État
ne peut que répondre violemment. Dans ce contexte, le débat
non-violence/violence est stérile. Il ne sert qu'à entretenir des
divisions au sein des mouvements sociaux.
Cette violence prend différentes formes. La première, la plus visible,
est la violence physique, dont seul l'État aurait la légitimité. Cela
nécessite des forces de police, voire militaires en cas de besoin.
L'appareil judiciaire est un des outils de cette violence. Le but est
d'écraser par la force toute forme de contestation sociale et d'enfermer
toute personne qui ne se soumet pas à cet ordre social.
Politiquement, la bourgeoisie peut faire appel aux gouvernements les
plus autoritaires lorsqu'elle estime que la situation devient trop
périlleuse. Ainsi dans les années 1930, certains capitalistes
déclaraient «plutôt Hitler que le Front populaire» (par exemple, de
Wendel, propriétaire d'aciéries et membre du Comité des Forges). Pour
tenter d'analyser l'entre-deux-guerres, on insiste essentiellement sur
la montée en Europe de régimes autoritaires, les plus connus étant le
fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne.
Or, depuis février 1917 et jusqu'en 1939, un élan révolutionnaire a
traversé une partie de la planète. Cela commence avec la révolution
russe en 1917, puis la révolution allemande en 1918. Ce processus
s'étend en Italie avec la création de conseils ouvriers et paysans et en
Europe centrale. De 1936 à 1939, l'Espagne connaîtra l'élan
révolutionnaire ayant remis le plus en cause la société capitaliste. Les
États-Unis sont également touchés par cette effervescence sociale: de
nombreuses usines sont occupées par les prolétaires qui ne supportent
plus les conséquences de la crise de 1929. Cela inspirera les ouvriers
en France pendant le Front populaire qui occuperont aussi les lieux
d'exploitation. Cela inquiétera beaucoup les capitalistes. En France,
après avoir honni le Front populaire, ils feront appel à Léon Blum,
Président du conseil, pour qu'il règle le conflit afin que les ouvriers
«libèrent» les usines et retournent travailler.
Gouverner par la peur
Actuellement en France, des pans entiers de la population subissent
cette violence physique. Les habitants des quartiers populaires y sont
soumis quotidiennement. Cela se traduit par de nombreux blessés et des
morts. Des corps de police spéciaux sont affectés au maintien de l'ordre
dans ces quartiers. L'État, à travers la Justice, l'administration, les
médias dominants, tente de cacher cette violence, soit en la minimisant,
soit en disqualifiant les personnes qui en sont victimes et celles qui
manifestent leur solidarité. Des poursuites judiciaires peuvent être
engagées lorsque des individus, des groupes politiques ou artistiques
déclarent que la police tue. L'État doit impérativement banaliser ces
violences policières pour entretenir la peur dans ces quartiers afin
qu'ils se taisent face à leurs conditions de vie de plus en plus
dégradées. C'est un véritable gouvernement par la peur qui est mis en
place. Lorsque certains habitants se révoltent, la répression est des
plus violentes.
Cette forme de gouvernement par la peur est, depuis plusieurs années,
employée pour réprimer des mouvements sociaux (mouvement contre la loi
El Komri, Gilets Jaunes, les retraites, etc.). Les mobilisations peuvent
être importantes (plusieurs millions de personnes), l'État n'y répond
que par la violence, cherchant à les briser par la force. Il refuse une
quelconque remise en cause de ses choix politiques. Macron montre
clairement à quoi sert l'État. Il gouverne pour satisfaire les quelques
pourcentages de la population les plus riches et les grosses
entreprises, essentiellement les multinationales. Le reste de la
population doit subir la dégradation des services publics (école,
santé...) et payer pour qu'un budget de plus en plus inégalitaire puisse
être mis en oeuvre. De même, le partage des richesses est de plus en
plus inégalitaire.
Dans ces conditions, l'État doit se donner les moyens d'être d'autant
plus répressif. Vu la dégradation des conditions de vie et de travail,
il ne peut exclure l'éventualité que les gens s'organisent pour
s'opposer à ces choix de société, conduisant à la paupérisation de pans
de plus en plus larges de la population.
Mais comme l'État détient seul la légitimité de la violence physique,
toute forme d'opposition violente physique populaire est condamnée. Les
mouvements sociaux sont délégitimés afin de les dépolitiser. Le
qualificatif de terroriste leur est souvent attribué. Ainsi, il invente
de nouvelles catégories, comme l'écoterrorisme, ou dernièrement les
mouvements dénonçant le massacre de la population palestinienne à Gaza
et en Cisjordanie par l'État israélien sont dénoncés comme étant
antisémites et faisant l'apologie du terrorisme.
D'ici à ce que toute contestation, mobilisation devienne un acte
terroriste, il n'y a pas loin! Le néolibéralisme doit s'imposer coute
que coute. Thatcher déclarait qu'il n'y a pas d'autre choix.
Visiblement, elle a des descendants! Contester cette forme de
capitalisme est synonyme de «crime de lèse-bourgeoisie». Tous les moyens
sont bons pour maintenir l'hégémonie de la classe bourgeoise, quitte à
tuer des gens, massacrer des populations, en refusant d'éradiquer des
processus génocidaires, quitte à détruire la planète en refusant de
remettre en cause le productivisme et donc la création de profits de
plus en plus importants...
Ce soutien inconditionnel à la politique d'apartheid et de colonisation
de l'État sioniste sert à criminaliser l'ensemble des musulmans, par
extension les immigrés d'origine arabe. Ils sont présentés comme des
arriérés, voulant imposer la Charia et remettre en cause la
«démocratie», «l'égalité entre les hommes et les femmes», voire pour
certains «remplacer» les blancs par les Arabes etc. Mais vit-on dans un
pays réellement démocratique? Les élections sont-elles une garantie
démocratique? Pouvons-nous prendre réellement nos affaires en main dans
le contexte institutionnel actuel? Pouvons-nous collectivement
déterminer ce qu'on produit, comment, avec quels moyens et à quelles
fins? Peut-on s'approprier ces questions (ce sont exclusivement les
capitalistes qui y répondent en fonction de leurs intérêts) pour
prioriser le travail socialement utile? Le patriarcat a disparu? Le
racisme s'est envolé?
Violences sociales, institutionnelles, symboliques, psychiques...
L'État et les dominants exercent d'autres formes de violence. Qui n'a
pas été confronté à des violences institutionnelles de la part de
services administratifs, par exemple. Ces derniers nous reçoivent bien
souvent avec suspicion. Un chômeur est bien souvent perçu comme un
fraudeur qu'il faut contrôler de plus en plus strictement. Une personne
d'origine étrangère est souvent confrontée au racisme, au mépris, et là
encore, à la suspicion. Il devient de plus en plus difficile de faire
valoir ses droits, même s'ils sont réduits régulièrement par des lois.
Il est très difficile d'y apporter des réponses en raison de l'isolement
des personnes, alors que l'interlocuteur s'appuie sur l'institution pour
laquelle il travaille. En fait, on est confronté à notre solitude face à
ces machines étatiques. Par moment, des révoltes s'expriment
individuellement ou collectivement. Là encore, ce seront des réponses
autoritaires (police, justice) auxquelles nous sommes confrontés.
Des violences psychologiques peuvent aussi être exercées. Par exemple
dans les entreprises. En général, les employeurs bénéficient du soutien
de l'État, lorsque des salariés les combattent en occupant l'entreprise.
Les flics, sur ordre du préfet, viennent les déloger en général
violemment alors qu'ils luttent, par exemple, pour leur dignité.
Les conditions de travail de plus en plus dégradées sont aussi vécues
comme des violences faites à l'égard des travailleurs. S'y opposer
concrètement peut là aussi engendrer une répression souvent violente.
Que dire des expulsions de logement. Se retrouver du jour au lendemain
sur un trottoir ne peut être que d'une très grande violence. Être
enfermé dans un camp de rétention, puis embarqué de force dans un avion
en étant ligoté pour être «reconduit» dans un pays dont on a estimé
qu'il était vital de s'éloigner est d'une très grande violence.
On pourrait continuer cette liste d'exemples de vécus quotidiens.
Cela montre qu'il est très difficile de dissocier toutes ces formes de
violence. Certaines mutilent des corps, d'autres causent des douleurs
psychiques. Certaines portent des coups physiques, d'autres ne laissent
aucune trace sur les corps. Mais toutes sont l'expression d'une volonté
de nous dominer, de nous imposer l'ordre social capitaliste, de nous
humilier, de nous rappeler notre statut de manant.
Une opposition stérile
Nous ne pouvons admettre la division imposée par l'État. D'un côté, les
violences physiques dont seul il a la légitimité; de l'autre les
violences symboliques, institutionnelles, psychologiques, etc. pouvant
être exercées par beaucoup du moment que dans certaines situations ou
grâce à un statut social (comme un patron par exemple, un fonctionnaire
zélé ayant une haute idée de sa fonction, etc.), une personne est en
position dominante.
Face à des situations violentes, il est difficile de faire la part entre
des réponses violentes ou non-violentes. Face à la violence, toutes les
réponses sont violentes. Quelles que soient les réponses que nous
apporterons à des nervis ou directement à des oppresseurs, elles seront
toujours vécues violemment. Que l'on fasse grève pacifiquement (des
cheminots en grève: c'est une prise d'otages!) ou que l'on séquestre un
patron pour obtenir une augmentation de salaire; que l'on empêche
l'expulsion d'un sans-papiers par un sit-in ou en forçant un barrage
policier, ce sera toujours reçu comme de la violence de notre part.
Refuser l'opposition violence/non-violence c'est refuser des catégories
dans lesquelles veut nous enfermer l'État; c'est refuser la séparation
entre de soi-disant citoyens responsables (c'est-à-dire acceptant au
final d'encaisser les violences d'État ou soutenues par celui-ci) et des
supposés terroristes, pour reprendre le vocabulaire en vogue dans les
couloirs de l'État. Cela permet de sortir de ce débat stérile, dont
seuls les tenants du pouvoir politique ont le monopole au final. Le fait
de se mobiliser agresse forcément ceux contre lesquels on se mobilise,
quelles que soient les formes de mobilisation. La lutte contre
l'exploitation, la domination est toujours violente! La construction de
rapports de forces (cette expression, bien courante, ne contient-elle
pas une forme de violence?) nécessite des modes d'action divers et
complémentaires permettant d'imposer nos revendications, mais aussi
d'entrevoir des imaginaires à la fois dans le quotidien et construire
des avenirs en rupture avec le capitalisme: des utopies créatrices.
J Christophe
Nous tenons à rappeler qu'au-delà de ce que dit l'auteur, l'État
capitaliste quelle que soit sa forme, n'est pas le seul vecteur
d'oppression. Dans la société capitaliste et avec la politique
néolibérale de Macron, banalisant l'état d'exception (49.3, état
d'urgence...), la violence de classe se vit au quotidien. C'est la
violence structurelle, théorisée par Johan Galtung, qui produit
oppression et inégalités dans l'accès aux biens communs (soin,
éducation, ressources...). Cela peut passer par la privation d'emploi ou
par la fixation dans des emplois mal rémunérés qui privent le
travailleur d'une partie de la production au bénéfice des classes
aisées. C'est aussi la domination et la souffrance des plus précaires
que le monde du travail productiviste engendre, comme développé par
Michel Foucault[1]. Rappelons que l'une des caractéristiques de cette
violence structurelle est de rendre la vie des prolétaires «incertaine»
au croisement de la reproduction sociale, du patriarcat, du
déclassement, du racisme et du racisme de classe. Dans le contexte
actuel de radicalisation des politiques anti-sociales et de répression,
si nous publions ce point de vue sur la violence d'État c'est parce
qu'il traduit selon nous des questionnements entendus dans les
manifestations et des sentiments partagés aussi bien d'isolement que
d'espoir de trouver la force d'agir. Finalement, ce texte aborde avec
ses mots, le fait que l'État a réussi à imposer «la croyance collective»
«du monopole de la violence physique légitime» de Max Weber[2], mais
aussi la violence symbolique chère à Pierre Bourdieu. Ce texte
questionne aussi la notion de non-violence[3]et s'oriente vers la notion
de contre-violence qui libère à opposer à la violence dominatrice qui
opprime de Herbert Marcuse[4]. S'interroger sur ces notions nous semble
une étape nécessaire pour remettre en place plus de solidarité, laquelle
ne peut être que révolutionnaire selon nous.
Notes
[1]«le corps ne devient force utile que s'il est à la fois corps
productif et corps assujetti» dans Surveiller et punir.
[2]dans Le Savant et le Politique (2)
[3]lire à ce sujet «Comment la non-violence protège l'État: Essai sur
l'inefficacité des mouvements sociaux» de Peter Gelderloos
[4]«la violence a ainsi deux formes très différentes: la violence
institutionnalisée de l'ordre dominant et la violence de la résistance,
nécessairement vouée à rester illégale en face du droit positif.[...].
Ces deux formes remplissent donc des fonctions opposées. Il y a une
violence de l'oppression et une violence de la libération; il y a une
violence de la défense de la vie et une violence de l'agression.» dans
La fin de l'Utopie.
https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4224
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