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(fr) Courant Alternative #344 (OCL) - NOUVELLE-CALÉDONIE: Le redémarrage économique et le statut du territoire dans la balance des négociations

Date Thu, 14 Nov 2024 17:24:58 +0000


Où se situent les enjeux dans l'archipel, cinq mois après les émeutes déclenchées en réaction au projet gouvernemental de «dégeler» le corps électoral calédonien afin de minoriser encore davantage les Kanak, son peuple autochtone (1)? Les inégalités sociales ont brièvement été pointées en métropole par des médias de gauche pour expliquer ces émeutes, mais le discours du patronat calédonien sur l'urgence de la reconstruction et du retour à l'ordre public a ensuite occupé le devant de la scène. La démarche engagée à présent par le Premier ministre Michel Barnier - renouer le dialogue «entre toutes les composantes de la société calédonienne» pour parvenir à un «accord global» sur l'avenir du territoire - peut-elle constituer un tournant décisif sur la route de l'indépendance?

Le gouvernement Attal avait répondu par une sévère répression à l'explosion sociale déclenchée à la mi-mai dans l'agglomération de Nouméa surtout, et il avait ciblé la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). Ce regroupement de militant-e-s indépendantistes qui mobilisaient depuis novembre 2023 contre le «dégel» du corps électoral calédonien avait été accusé d'être à l'initiative des «exactions». Une dizaine de ses responsables avaient été arrêtés, sept d'entre eux transférés en métropole - voir l'encadré 1.

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ENCADRÉ 1: La CCAT a été rendue responsable de tous les maux en Nouvelle-Calédonie - en particulier par la droite dure. Ainsi, quand les trois mines de Thio appartenant à la société SLN ont été mises en veilleuse le 14 octobre (230 emplois directs et 120 emplois indirects vont de ce fait être supprimés), le parti loyaliste Générations NC que préside le député Nicolas Metzdorf a dit dans un communiqué: «Cette situation est la conséquence directe des blocages qui paralysent les sites miniers depuis le 2 avril, aggravés par la destruction des installations et les violences des derniers mois orchestrées par la CCAT.» Générations NC va poursuivre en justice la CCAT, car elle a «organisé la destruction des infrastructures, saccagé les moyens de subsistance de la commune et endoctriné une partie de la population et notamment la jeunesse».

Le 22 octobre, la Cour de cassation de Paris a donné raison à deux membres de la CCAT - Christian Tein et Steve Unë - concernant leur placement en détention en métropole. Elle a cassé l'arrêt du 5 juillet émis par la cour d'appel de Nouméa pour les y envoyer, et un juge d'instruction va statuer sur leur sort.
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Le Président Macron avait cependant fini par «suspendre» son projet d'élargir le corps électoral calédonien. Le 1er octobre, son nouveau chef de gouvernement Barnier (LR) a annoncé dans sa déclaration de politique générale à l'Assemblée que ce projet était abandonné, et d'autres décisions qui ont indiqué un changement d'orientation (ou de tactique) politique concernant l'archipel. D'abord, le report des élections provinciales à 2025 (2). Ensuite, la nomination à l'Outre-Mer du sénateur (LR) François-Noël Buffet, connu pour sa «connaissance du dossier calédonien» et sa capacité à discuter; et la décision de Buffet d'aller en Nouvelle-Calédonie pour son premier déplacement, du 16 au 18 octobre. Il a affirmé dans un communiqué, le 7 octobre, «la volonté du gouvernement d'apporter des réponses rapides et pragmatiques à la crise que connaît ce territoire (...), d'incarner une nouvelle méthode»; et: «L'Etat va continuer d'appuyer les institutions calédoniennes, y compris financièrement, pour permettre le redémarrage» de l'économie.

De quoi réjouir le patronat calédonien. Le 9 octobre, Christophe Badda, membre consulaire de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI-NC), a déclaré sur France Culture: «Pour permettre le renouveau économique, il faut que les services essentiels à la population continuent d'être assurés: l'éducation, la santé, l'énergie. Et là, heureusement pour la Nouvelle-Calédonie, l'Etat est déjà à l'oeuvre pour permettre le maintien de ces services.»

Mais Buffet n'a pas tardé à rectifier un peu la communication gouvernementale: les provinciales calédoniennes ne seront en fait repoussées qu'après un débat au Sénat, puis à l'Assemblée nationale (3); de plus, leur report qui est censé «laisser du temps pour parler de l'avenir économique et social de l'île» servira aussi à parler du «dégel» du corps électoral (Barnier avait assuré, le 1er octobre, que ce «dégel» «ne sera[it]pas soumis au Congrès», mais ces mots ont disparu du texte lu après devant le Sénat). Et puis, le 10 octobre, on a appris que le gouvernement prévoyait dans son budget général 250 millions de moins pour l'Outre-Mer en 2025 - alors que le pouvoir d'achat est extrêmement dégradé dans les territoires ultramarins.

Bien sur, lors de sa visite dans l'archipel, Buffet a multiplié les promesses (par exemple, l'Etat prendra en charge à 100 % la reconstruction des écoles et à 70 % celle des autres bâtiments publics), et il a assuré que les renforts de police arrivés de métropole resteraient là autant qu'il le faudrait, l'ordre public étant une priorité (4). Mais le patronat et la droite dure se sont déclarés déçus par le flou de ses «engagements» sur le plan économique - et la presse calédonienne, qui reflète largement leur point de vue, a titré sur le «bilan mitigé» de sa venue. «Ce que le monde économique demande, c'est une visibilité, de l'assurance, une sécurité, au moins jusqu'à mi-2025. Pour l'instant, on n'y est pas», a constaté Stéphane Yoteau, le vice-président de la CCI-NC, le 20 octobre.

Le patronat avait en effet misé sur le plan proposé cet été au Congrès par Philippe Gomès, leader de Calédonie ensemble (la droite modérée non-indépendantiste). Après le vote de ce plan à la quasi-unanimité de ses membres, le 28 aout, une «délégation transpartisane» s'était rendue à Paris pour demander à l'Etat 4,2 milliards d'euros sur cinq ans afin de le financer. Elle avait certes été bien accueillie par divers responsables politiques, mais sans obtenir aucune garantie quant à la concrétisation de sa demande. Et Buffet est resté dans le même flou lors de sa visite, se contentant de lâcher: «On travaille d'arrache-pied à un prolongement» de deux mois (donc jusqu'à décembre) du chômage partiel pour les personnes privées d'emploi à la suite des destructions; ou encore: l'Etat aura un engagement «extrêmement fort» auprès des collectivités et des entreprises calédoniennes pour la période 2024-2025. De plus, comme l'a souligné le député loyaliste Nicolas Metzdorf, «l'Etat a annoncé 500 millions d'euros de prêts garantis. Or, ils servent à rembourser les 440 millions d'euros déjà versés. L'Etat nous prête de l'argent pour qu'on rembourse ce qu'on a déjà emprunté et annonce ça comme une nouvelle aide». Des leaders d'autres partis lui ont fait écho - en particulier Calédonie ensemble et l'Eveil océanien (dont une élue, Veylma Falaeo, préside actuellement le Congrès).

Redémarrage du processus institutionnel?

Dans le même temps, cependant, les élu-e-s de la Nouvelle-Calédonie affichent une volonté commune d'entamer les discussions sur l'avenir du territoire auxquelles le gouvernement les «convie» très fermement (en conditionnant plus ou moins son «aide» financière à leur tenue) pour parvenir à un «accord global» - «et pas simplement sur le corps électoral», comme le souligne Virginie Ruffenach, présidente du groupe Le Rassemblement-Les Républicains au Congrès, car personne ne se risque à demander que la question du corps électoral soit traitée à part.

Côté indépendantiste, les deux principales composantes du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) que sont l'Union calédonienne (UC) et le Palika se déclarent satisfaites de la «méthode» Buffet:
«Il nous a confirmé que le processus de décolonisation était toujours en cours, a dit Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe UC-FLNKS au Congrès. Donc, nous, on va poser sur la table l'indépendance, pleine et entière ou avec partenariat, mais en tout cas on voit aujourd'hui que toutes les options sont sur la table.» Et Jean-Pierre Djaïwé, le président de l'UNI-Palika, a renchéri: «Nous voulons reprendre les discussions, mais nous ne partons pas de zéro. Nous portons depuis 2013 un projet d'indépendance avec partenariat avec la France.» Or l'Etat serait selon lui prêt à aller vers un «partenariat-indépendance» ou une «indépendance-association» entre la France et l'archipel.

L'indépendance-association a également les faveurs de l'Eveil océanien - ou encore de Calédonie ensemble, qui a bâti un projet similaire pour un «peuple calédonien»... Seule la droite dure anti-indépendantiste fait donc entendre une voix discordante. Pas question de parler aux «indépendantistes qui sont là pour détruire et ont soutenu la CCAT, prévient Gil Brial, un de ses chefs: Il y a des concessions que, clairement, nous ne sommes plus prêts à faire aujourd'hui. (...) Les Calédoniens ont déjà dit trois fois non à l'indépendance. Donc pour nous, c'est réglé».

Quoi qu'il en soit, ces nouvelles négociations sur le statut du territoire ne commenceront pas avant décembre, car auparavant les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale Gérard Larcher (Les Républicains) et Yaël Braun-Pivet (Renaissance) doivent y mener à la mi-novembre une «mission de concertation et de dialogue»; et, fin novembre, le FLNKS doit tenir un nouveau congrès dont la finalité sera de (tenter d')arrêter une conduite unique pour le camp indépendantiste.

Possible réconciliation des frères ennemis indépendantistes?

Les désaccords entre l'UC et le Palika se sont beaucoup aggravés, depuis les émeutes - au point que le Palika n'a ni participé au dernier congrès du FLNKS ni reconnu sa décision de nommer à sa tête Christian Tein, un des responsables de la CCAT, qui a été déporté à Mulhouse.

L'UC et le Palika ont aussi eu, ces derniers mois, des positionnements opposés sur les plans politique et économique. L'UC a durci son discours à l'égard de l'Etat et intégré la CCAT dans le FLNKS; elle a participé à la délégation transpartisane partie défendre à Paris le plan économique voté par le Congrès (5). Le Palika a ouvertement critiqué la CCAT; et Louis Mapou (le chef du gouvernement calédonien qui est une figure du Palika) a concocté avec le haut-commissariat de la République (soit le représentant de l'Etat français dans l'archipel) un autre plan, appelé PS2R (Plan de sauvegarde, refondation et reconstruction).

On constate néanmoins que l'«indépendance-partenariat» revient dans la bouche de leurs représentants respectifs. Un choix précautionneux pour tenter d'aller par là vers l'indépendance tout court ou un abandon tout net de cette revendication? La logique institutionnelle a largement contribué à faire perdre de sa consistance au mot «indépendance», ces dernières décennies, en étoffant une classe moyenne kanak peu disposée à rompre avec le système en place.

Des propos récents tenus par deux leaders kanak aux parcours différents l'illustrent assez bien:
* Tout en étant encarté à l'UC, Emmanuel Tjibaou a fait carrière dans le domaine de la culture, et non de la politique. Il a pris en 2011 la direction de l'Agence de développement de la culture kanak (ADCK), établissement public qui gère surtout le Centre culturel Tjibaou (CCT) à Nouméa, et dont sa mère, Marie-Claire, est la présidente du conseil d'administration.

Quand son père, Jean-Marie Tjibaou, a signé en 1988 les accords de Matignon en tant que président de l'UC et du FLNKS, il a confié avoir agi «par pragmatisme», mais le peu d'attrait de cet ancien prêtre pour la violence et sa proximité avec le Parti socialiste l'y avaient sans doute également poussé, dans le contexte des «événements» que connaissait la Nouvelle-Calédonie depuis 1984. C'est dans le même esprit rassembleur et pragmatique qu'Emmanuel Tjibaou est devenu, le 6 juillet, le premier député indépendantiste kanak (6) depuis 1986 (et le second dans l'histoire de l'archipel, après Rock Pidjot). Et c'est en livrant un message assez oecuménique qu'il a réussi à atteindre 57 % des suffrages - et donc dépassé le score attendu du camp indépendantiste, dont les voix lui étaient plus ou moins acquises. «Pour ma part, je pense qu'on est tous responsables[de la situation]», déclarait-il le 4 juillet dans une conférence de presse. Et, dans un entretien à Reporterre le 20 septembre - au lendemain de l'assassinat par le GIGN de deux habitants de Saint-Louis -, il dénonçait les «logiques néocoloniales» de l'Etat français, mais en personnalisant celui-ci comme le fait la gauche avec Macron: c'est lui qui a «failli» dans la «mission» de cet Etat qui était de poursuivre le processus enclenché par les accords de Matignon et prolongé par celui de Nouméa en 1998. E. Tjibaou lui reprochait une répression qu'il jugeait «illégitime» - voir l'encadré 2 - et un manque de solidarité à l'égard «d'un territoire de France, de citoyens français»: «Notre archipel crame, il y a 13 morts... mais Emmanuel Macron est aux abonnés absents.»

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ENCADRÉ 2: Depuis cinq mois la répression s'est traduite en Nouvelle-Calédonie par des milliers d'interpellations et de lourdes peines. Le 30 mai à Nouméa, deux hommes ont par exemple été condamnés à six mois de prison pour un jet de bouteille qui n'a entraîné aucune blessure ni dégât matériel. 6 000 policiers et militaires sont cantonnés sur un territoire de 271 000 habitant-e-s...

Parmi les personnes activement recherchées par le GIGN pour des «exactions», deux ont été abattues par balle le 19 septembre. Craignant pour la vie des autres et voulant que disparaissent les barrages de la gendarmerie installés, depuis fin juillet, à la hauteur de Saint-Louis sur la seule route menant au sud de l'archipel, des chefs coutumiers et des leaders indépendantistes se sont employés à convaincre des jeunes réfugiés dans cette tribu de se rendre. Cinq l'ont fait le 30 septembre. Ils ont tous été mis en examen et placés en détention provisoire le 3 octobre. Trois d'entre eux pour «tentative de meurtre en bande organisée et complicité de tentative de meurtre sur des gendarmes, et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission d'un crime». Les deux autres pour «vols avec arme en raison de la commission de plusieurs car-jackings et, pour l'une d'elles, de destructions par incendie de certains véhicules».
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Dans cet entretien, E. Tjibaou constatait à raison: «Il y a un véritable apartheid social dans les outre-mers. (...) Dès que des revendications sont formulées à l'endroit de nos peuples sur la question de la vie chère, du respect des identités, du combat pour l'indépendance, c'est toujours la même réponse. Que ce soit ici, en Martinique ou chez nos frères polynésiens, l'Etat français nous lamine. Nous sommes des objets de consommation, et nous devons subir l'exploitation de nos ressources sans rien dire. (...) Si cette injustice perdure, notre révolte sera légitime.» Mais dans un autre entretien, sur Mediapart le 1er octobre, il insistait surtout sur le fait que les indépendantistes n'avaient pas donné pour consigne de tout casser, au printemps dernier, et il estimait: «On a loupé quelque chose par rapport à la jeunesse» - comme si l'explosion sociale de la mi-mai résultait d'une simple lacune dans l'éducation de cette jeunesse. «La problématique, c'est être océanien dans la ville (...), poursuivait-il. La représentation de la réussite, même Jésus est blanc (...). On a à être reconnus comme ce que nous sommes.» Le «problème» auquel seraient confronté-e-s les Kanak serait donc la non-reconnaissance de leur culture (ne l'est-elle pas officiellement, à travers le Sénat coutumier ou... le Centre culturel Tjibaou, par exemple)? Et le problème de la jeunesse kanak serait de «ne pas connaître son histoire»? E. Tjibaou prônait une «décolonisation des mentalités» pour «faire exister le nous» et «reprendre la main au niveau institutionnel», car il y a «nécessité d'assumer l'histoire de notre pays, qui est fait de diversité» et «on n'a pas d'autre solution que de cohabiter». Or, placer la lutte contre le racisme ou les inégalités sociales qui frappent majoritairement les populations océaniennes sur le seul terrain «culturel», avec comme levier les élections pour faire reconnaître l'identité kanak, ne suffit pas pour chambouler une société calédonienne aussi caricaturalement inégalitaire.

* Louis Mapou, qui dirige le gouvernement calédonien depuis 2021, a milité dès le lycée en liaison avec le «groupe 1878» d'extrême gauche qui a donné naissance au Palika en 1975, et il a été le M. Nickel de ce parti (7). Interviewé le 4 octobre sur Radio rythme bleu (RRB), il a expliqué avoir fait le choix de s'exprimer très peu depuis les émeutes «pour ne pas participer à jeter de l'huile sur le feu», et afin que le gouvernement collégial «reste un lieu où on continue à partager, à regarder les événements, à en discuter». Il a attribué les émeutes à un «manquement de la responsabilité de l'Etat[parce qu']on a un besoin de fermeté», en ajoutant: «On ne peut pas se satisfaire de la violence comme mode opératoire pour (...) trouver des solutions à une histoire comme la nôtre, qui est une histoire douloureuse».

A la question concernant les divisions du camp indépendantiste, Mapou a répondu avoir surtout peur, «avec ce qui s'est passé, (...) que l'on n'entre dans une forme de délitement du FLNKS. (...) Il y aura toujours des interlocuteurs, mais de quelle légitimité ils vont disposer?» Et d'ajouter: «Si l'Union calédonienne a bien été à l'initiative de ce mouvement[mi-mai], aujourd'hui elle est la première à dire qu'il y a beaucoup d'exactions qui ont été faites, et[qu']en tout cas le niveau qui a été atteint ne relève pas de sa responsabilité. C'est une bonne nouvelle qu'il faudra intégrer, parce que le mouvement indépendantiste doit très fermement s'interroger sur sa représentativité aujourd'hui, parce que beaucoup de cette génération que nous avons vue sur les barrages sont de la génération d'après 1988, et cette génération-là n'est pas encartée. On n'est plus dans la situation politique des années précédentes, où un mot d'ordre suffisait pour engager ou se désengager.»

A la question: le PS2R élaboré par son gouvernement et le plan quinquennal du Congrès ne sont-ils pas des démarches concurrentielles? il a répondu: «Ce n'est pas la même chose, on ne joue pas sur le même registre», justifiant la non-participation de son gouvernement à la «délégation transpartisane» venue à Paris par la recherche d'«une démarche collective» - 3 000 contributions de Calédonien-ne-s ont été envoyées au gouvernement en réponse à son PS2R. Ce plan «vise à transformer et réformer durablement le modèle économique, social et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, tout en bénéficiant du soutien de l'Etat» (8).

La nécessité de lier décolonisation et anticapitalisme

Sur quoi donc débouchera l'explosion sociale de la mi-mai qu'ont étouffée forces de l'ordre et tribunaux? Les destructions commises par une jeunesse majoritairement kanak ont mis en relief des inégalités sociales qui découlent à la fois du colonialisme et du capitalisme: 50 % des Kanak habitent aujourd'hui dans les quartiers populaires et les squats de l'agglomération nouméenne; 61 zones d'«habitat précaire sur un foncier occupé illégalement» sont officiellement recensées dans cette agglomération; les quelque 10 000 personnes qui y vivent faute de pouvoir louer un appartement sont toutes océaniennes, etc. Mais ces destructions ont présentement pour effets pervers d'accroître la dépendance de la Nouvelle-Calédonie par rapport à l'Etat français, et la reconstruction du territoire va constituer un gigantesque et juteux chantier...

Le camp indépendantiste sort des émeutes à la fois plus fort et plus faible, selon le point de vue d'où on le considère. Il a perdu la présidence du Congrès mais gagné un député (les résultats des deux premiers référendums avaient par ailleurs déjà montré la progression du vote pour l'«indépendance»). Cependant les divisions entre les Kanak se sont accentuées - et elles ne se réduisent pas à des désaccords entre des partis, entre la base de ces partis et leur sommet, ou entre générations car elles ont également une dimension de classe.

De plus le Sénat coutumier, dont l'accord de Nouméa est à l'origine, est contesté par nombre de grands chefs regroupés depuis 2022 dans Inaat ne Kanaky. Ce «conseil national des chefs» a proclamé, le 24 septembre à Maré, leur souveraineté sur les parties de l'archipel qu'ils gèrent (9), et il s'efforce toujours de recueillir l'adhésion des autres chefferies kanak. Il poursuivra début novembre ses réflexions sur «le modèle de gouvernance coutumière» en se réunissant dans l'aire Xârâcùù (sud de la Grande Terre), et il cherche des appuis au niveau international - voir l'encadré 3.

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ENCADRÉ 3: La 4e Commission de l'Assemblée générale de l'ONU, à New York, a auditionné 18 représentant-e-s de partis politiques ou d'organismes calédoniens, entre le 7 et le 14 octobre 2024.

La délégation du Sénat coutumier a dénoncé à cette occasion le comportement de l'Etat français avant et après le 13 mai, considérant que Macron avait créé les conditions d'une crise insurrectionnelle avant de la réprimer par la violence. «Il n'y a eu ni ingérence extérieure, ni tentative de coup d'Etat, ni radicalisation du monde mélanésien, a affirmé Jérôme Bouquet-Elkaïm, l'avocat des coutumiers. Et si discrimination il y a eu, elle n'a pas touché les colons européens qui continuent de toucher des leviers de l'économie et du pouvoir.» Il a donc incité la 4e Commission à ouvrir «une enquête internationale sur les violations des droits de l'homme en Nouvelle-Calédonie» et à recommander à l'Etat d'organiser «un nouveau référendum sur l'accès à la pleine souveraineté».

Le grand chef Hippolyte Sinewami a pour sa part lu la déclaration de souveraineté faite le 24 septembre à Maré par Inaat ne Kanaky; et il a demandé à la Commission, ainsi qu'à tous les pays membres de l'Assemblée des Nations unies, d'en prendre acte et de reconnaître l'autonomie de gouvernance et l'indépendance kanak.

En décembre, une Assemblée générale des Nations unies doit se prononcer sur un projet de résolution portant sur l'archipel.
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La solidarité envers les Kanak emprisonnés en métropole reste peu visible. Côté outre-mer, Oscar Temaru (ex-Président de la Polynésie et leader du parti indépendantiste Tavini Huira'atira) a écrit le 2 octobre à Macron pour demander la libération et le rapatriement en Nouvelle-Calédonie des membres de la CCAT - «prisonniers politiques soumis à un régime et à un traitement d'exception incompatible avec les faits qui leur sont reprochés». Mais dans l'archipel les manifestations sont interdites, et en métropole la protestation contre «la déportation des prisonniers politiques» demeure extrêmement minoritaire. Seules quelques dizaines de personnes (ayant souvent des liens familiaux ou amicaux avec des Kanak) ont jusqu'ici participé aux rassemblements de soutien organisés à proximité de lieux de détention (10). Certes, une partie de la «gauche» au sens large s'accorde à dire: «Il est fini le temps des colonies», mais ses responsables ne mobilisent pas dans la rue sur le sujet, préférant intervenir mezza voce.
Si les manoeuvres partidaires en cours aboutissent, il est probable qu'elles déboucheront sur une «Nouvelle-Calédonie/Kanaky» - un glissement de plus, après la «Kanaky/Nouvelle-Calédonie» qui a remplacé la «Kanaky indépendante et socialiste» des années 70, et pas forcément un mieux pour la grande majorité des Kanak.

Vanina, le 24 octobre 2024

Notes
(1) Voir notamment les CA de l'été et d'octobre (nos 342 et 343).
(2) La commission des lois du Sénat a depuis fixé le 30 novembre comme date butoir.
(3) Le Sénat a donné son accord le 23 octobre, celui de l'Assemblée est attendu le 6 novembre.
(4) Le couvre-feu vient d'être prolongé pour la énième fois (jusqu'au 4 novembre inclus), de même que l'interdiction de porter une arme ou de transporter du carburant, et la limitation de la vente d'alcool.
(5) Cette délégation se composait des présidents de groupes politiques (l'UC, Calédonie ensemble et l'Eveil océanien) et du Sénat coutumier, ainsi que de trois des quatre parlementaires calédoniens.
(6) Il siège à l'Assemblée nationale dans le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Son frère Joël a quant à lui été enfermé le 25 juin au Camp-Est, la prison de Nouméa, en raison de son appartenance à la CCAT (il a été mis en liberté sous contrôle judiciaire le 18 octobre mais le parquet a fait appel)...
(7) Notamment comme administrateur d'Eramet, président du conseil de direction de Koniambo Nickel et directeur de la Sofinor.
(8) Le PS2R a été présenté les 17 et 18 octobre au Centre culturel Tjibaou, lors d'une grande conférence à laquelle participait Buffet.
(9) Il existe au total huit aires coutumières (divisées en 57 districts coutumiers), et toutes étaient représentées ce jour-là à Maré.
(10) La «caisse de solidarité internationaliste, anticolonialiste et anticapitaliste» ouverte sur HelloAsso par le comité Justice et liberté pour Kanaky fonctionne toujours. Contact: jlk CHEZ riseup.net

Légendes:
1 Dans le quartier de Magenta, à Nouméa, en aout.
2 Carrefour n'a pas meilleure presse en Nouvelle-Calédonie qu'en Martinique.
3 Buffet visitant l'emplacement d'une usine détruite dans la zone industrielle de Ducos, à Nouméa.
4 Manifestation de soutien aux prisonniers kanak à Mulhouse avant un rassemblement devant la maison d'arrêt de Lutterbach, le 29 juin.

https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article4287
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