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(fr) Retour sur le mouvement social du printemps

From Worker <a-infos-fr@ainfos.ca>
Date Thu, 16 Oct 2003 09:40:31 +0200 (CEST)


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A G E N C E D E P R E S S E A - I N F O S
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http://ainfos.ca/index24.html
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[ titre d'a-infos-fr ]

Notre collectif, « La Sociale », est constitué principalement de
militants de la CGT. Notre vision des événements en est nécessairement
influencée, nous en sommes bien conscients. Cependant il nous a semblé
important de faire entendre notre son de cloche, justement parce que, à
de rares exceptions près, ceux qui, syndicalistes et anarchistes à la
fois, se sont exprimés dans le mouvement libertaire l'ont fait à notre
sens selon des doctrines qui sont étrangères à ce mouvement.
Ainsi a-t-on pu lire, à longueur de page des journaux du mouvement
libertaire ou dans les tracts, une incroyable litanie de propos
gauchistes, pour la plupart empruntés au trotskisme. De fait, ceux qui se
croient toujours plus libertaires que les autres nous ont gavés de leur
foi dans un nouveau « fer de lance » de la lutte, de la trahison des «
dirigeants » syndicaux, de la radicalité supposée (mais jamais constatée)
de la base, etc., etc.
Pour notre part, nous avons tenu à ce que chacun sache qu'il existe un
autre point de vue libertaire, le nôtre, et que, si nous acceptons de
nous tromper sur tel ou tel point, nous avons fait une analyse concrète
de faits concrets, en tenant au loin les fantasmes.

Retour sur le mouvement
----------------------

Les grandes luttes comme celles que nous venons de vivre ont le mérite de
pousser les logiques, d'éclaircir les positions. Si nous sentions venir
les divergences bien avant les événements (1), le positionnement des
libertaires et des syndicalistes révolutionnaires ou plutôt de ceux
d'entre eux qui s'expriment dans leur presse(2) nous a laissé pour le
moins songeur. Du soutien aux « assemblées générales »
interprofessionnelles et autres coordinations, à l'incantation à la grève
générale en passant par l'apologie des petits syndicats dits alternatifs,
rien n'a manqué. La presse libertaire a aussi réussi à réserver ses
lignes les plus dures non pas contre le gouvernement, le patronat ou même
la CFDT ou la CGC mais contre une organisation qui n'a pourtant pas signé
les accords, qui a assuré
l'essentiel du travail nécessaire à la mobilisation et qui a rassemblé au
moins la moitié des manifestants dans ses rangs: la CGT.

Mais ce qui ne cesse de nous étonner, c'est que tous ces positionnements
sont les mêmes que ceux de... l'extrême-gauche. Il nous semble
aujourd'hui que de trop nombreux camarades font fausse route.
Aujourd'hui, l'anarchisme et l'anarcho-syndicalisme en particulier,
pourraient redonner des
perspectives à une classe ouvrière qui n'en a plus.

Mais pour cela, il faut avoir les idées claires. Nous espérons que
l'analyse que nous vous livrons puisse être utile aux libertaires et aux
syndicalistes.

Le rapport de force


Pendant ce conflit, certain d'entre-nous ont cru au lendemain du 13 mai
qu'il était peut-être possible de faire reculer l'offensive du
gouvernement. C'était se laisser gagner par l'euphorie du moment, oublier
toutes les analyses sur la « contre-révolution » qui nous menaçaient. La
confrontation allait avoir lieu et ça s'engageait mal pour la classe
ouvrière.
En effet, la France a la particularité d'être le pays où il existe le
plus d'organisations syndicales et où le nombre de syndiqués est le plus
faible. A peine 8% de travailleurs organisés et malheureusement fortement
divisés.

Une pratique de la grève de moins en moins « naturelle » due à des années
de combats perdus, de démantèlement des bastions ouvriers, au
remplacement des vieilles générations militantes par des jeunes sans
culture de lutte. Un prolétariat de plus en plus atomisé dans de petites
unités de travail, les PMI et les PME, elles-mêmes sous la pression des
barons du capitalisme.

En face, le gouvernement est conscient de tout cela, bien qu'il soit
méfiant vis-à-vis d'une possible fronde populaire. Il détient tous les
leviers du pouvoir, fort de sa légitimité démocratique écrasante(3) et à
la différence de la gauche il est sans complexe au sujet des coups qu'il
peut nous donner. Il sait également depuis notre défaite de 95 (4), qu'il
suffit d'être patient quitte à lâcher quelques concessions aux secteurs
les plus mobilisés. Il a retenu aussi que de s'attaquer de front aux
corporations les mieux organisées conduit au renforcement de leurs
organisations syndicales. Ce coup-ci, il jouera plus fin.
De plus, depuis plus de 15 ans et le fameux livre blanc de Michel Rocard,
version nationale d'une logique mondiale, les médias ­ véritables
fabriques de l'opinion publique- nous expliquent à longueur d'année que
notre santé, nos retraites ont un coût trop élevé. Ces mêmes médias en
arrivent même à influencer les militants qui y voient là une source
d'information comme une autre et en oublient qu'elle est manipulatrice et
sert habilement les intérêts de la bourgeoisie.
Pour terminer, les travailleurs ont peu de chose à attendre d'une
éventuelle alternative à gauche car ils savent bien que question « coup
de couteaux dans le dos » ( privatisations, précarisation,
flexibilisation, allègement de cotisations patronales, casse du service
public... ) la gauche en connaît un rayon.
Et cela n'est pas vraiment mobilisateur pour un prolétariat qui ne sait
plus vraiment à quel saint se vouer, pour des syndicalistes qui ont
toujours attendu beaucoup de la représentation politique et qui
aujourd'hui se sentent bien seuls.
Nous allions monter sur le ring et nous n'étions pas favoris, loin de là.


L'unité

Les puissantes mobilisations de mai et de juin n'ont pas une origine
spontanée.
Elles sont le fruit d'un ras-le-bol général des politiques réactionnaires
que nous font vivre les différents gouvernements depuis trop longtemps.
Elles sont le fruit d'attaques répétées sur notre système de retraite:
rapports alarmistes, décrets Balladur, plan Juppé, accords de Barcelone .
Elles sont le fruit d'un mal-vivre généralisé...
Elles sont surtout le fruit d'un long travail de contre information et de
mobilisation des organisations syndicales.
Elles sont le fruit de l'unité concrétisée par la plateforme des
propositions des organisations CGT, CFDT, CGC, CFTC, FO, FSU, UNSA et
déjà dédaignée par le G10. C'est bien le travail assuré par les grandes
confédérations qui a permis la montée en puissance des revendications et
d'assurer la mobilisation tant le 1er février, le 3 avril (5) et le 13
mai. C'est le 13 mai où la mobilisation a été la plus forte et ceci n'est
pas tant dû à la capacité de mobilisation de la CFDT qu'à l'effet
catalyseur de l'unité syndicale sur la mobilisation des salariés.
Il sera bon de nous en souvenir pour les luttes à venir car même si la
CFDT est enfoncée jusqu'au cou dans la collaboration, elle n'en reste pas
moins un syndicat de masse majoritairement implanté dans le privé.
Quant au G10, toujours en marge de l'unité mais sentant la mobilisation
monter, il tente le coup de force en appelant à la grève générale «
reconductible » dès le 13 espérant bien entraîner une partie de la CGT.
Comme si la Grève générale n'était qu'un simple mot d'ordre que l'on peut
reconduire à souhait.
Ce fut un échec cuisant. Peu de salariés, peu de syndicats l'ont suivi.
Quand ils l'ont fait, les plus clairvoyants ont repris le travail,
histoire de ne pas jouer les avant-gardes et de garder des forces car on
ne proclame pas une grève générale... qui ne se fait pas toute seule.
Appeler à la Grève générale à ce moment-là n'était ni crédible, ni
sérieux. On ne peut pas reprocher à la CGT de ne pas l'avoir fait. Elle
a été tout simplement pragmatique. A la vue du rapport de force toujours
très défavorable malgré les millions de manifestants, il n'était pas
raisonnable de briser l'unité car à cette date la CFDT était toujours de
la partie. Quoi qu'il en soit, la CFDT brisa ses engagements le 15 et le
mouvement ne fut plus jamais aussi puissant. En agissant ainsi, François
Chérèque et ses amis coupaient l'herbe sous le pied de son opposition
interne que les mobilisations auraient requinquée.
Ils plaçaient sa centrale comme interlocuteur privilégié de tous les
gouvernements et comme partisane des « réformes nécessaires ».
Ils brisaient le front syndical issu de la stratégie cégétiste du «
syndicalisme rassemblé ».
De récentes déclarations de secrétaires cédétistes demandant à la CGT de
stopper cette orientation sont là pour le confirmer. En effet, le
syndicalisme rassemblé est un puissant levier pour les luttes puisqu'il
répond à la demande d'unité de la part des salariés mais il a le « tort »
de renforcer principalement la CGT car elle est le plus gros et le plus
combatif des syndicats. Le G10 ne s'y est pas trompé non plus puisque
toute sa stratégie s 'est basée sur « ne jamais faire l'unité »(6) et
essayer de « pousser la CGT à la faute».


Les assemblées générales interprofessionnelles et autres coordinations

Voici ce que nous écrivions dans un tract le 10 juin:
« On voit beaucoup fleurir par les temps qui courent des comités et
autres coordinations ! Ca a le goût de l¹indépendance, le parfum de la
souplesse non-conformiste et, ce qui n¹est pas négligeable, ça se donne
des titres ronflants qui nous bercent de tendres illusions. Nous
demandons à ceux qui se sont engagés dans ce type de structure de
réfléchir aux questions suivantes :
- Qui est réellement mandaté dans les AG et par qui ?
- Qui contrôle la tribune et donc les débats et les votes ?
- En quoi un comité/coordination est plus efficace qu¹un syndicat ? -
Pourquoi créer une structure différente si c¹est pour finalement « faire
pression » sur les confédérations syndicales pour qu¹elles se
positionnent «correctement » ?

Pour nous, anarchosyndicalistes, les réponses sont claires : l¹expérience
acquise dans les confédérations ne peut être remplacée par des structures
éphémères. Quant au risque de manipulation politique, il est bien plus
grand dans des lieux informels où naviguent les vieux briscards du
Gauchisme. » Nous ne nous étions pas trompés. Tout ça a un air de déjà
vu. Et une fois de plus, de trop nombreux camarades tombent dans les
vieux pièges en essayant de réinventer l'eau chaude. Les débats sur
l'organisation sont vieux de plus d'un siècle et il nous semblait bien
que les anarchistes avaient tranché la question.
Nous voulons bien croire que certaines coordinations aient plutôt bien
fonctionné et évité les manipulations, mais ce ne fut généralement pas le
cas. En outre, elles ne présentent pas les avantages des structures
riches d'expérience mise en place depuis un siècle par le mouvement
ouvrier. A Montpellier, c'est autour des enseignants du premier degré que
ce sont construites les « AG » interpro.
Tout d'abord, dès février et plus encore à partir d'avril, les
enseignants ont entamé la lutte au sujet de la décentralisation.
Rapidement ils ont organisé des AG dites de secteur (géographique),
soutenues par des syndicats (SNUipp-FSU, SUD Education, SNE, SNUDI-FO,
CNT ) .
Malheureusement cette organisation favorise l'expression de gros
contingent de convaincus qui se coupent du grand nombre resté dans les
établissements. Que 4 à 500 personnes vote la grève reconductible à l'AG
de Montpellier c'est bien, mais quand cette grève n'est suivie que par
20% maximum des personnels dans un département apparemment très mobilisé
cela pose question sur sa représentativité.
En revanche les temps forts ont mobilisé jusqu'à 80% des personnels. De
plus lors de ces AG, pas de mandat, pas de contrôle, chacun dit la
sienne, et on vote « un homme = une voix », peu importe qui il est, d'où
il vient, où il travaille, et surtout qui et combien il représente... On
peut rajouter à propos des syndicats associés qu'au moins deux sont
fortement influencés par les trotskistes locaux: SNUIPP (LCR) et FO (PT).
Le 25 mai, le « service d'ordre » de ce comité bouscule des militants de
la CGT et empêche les manifestants de suivre la manifestation unitaire en
la détournant sous prétexte qu'il avait prévu un autre trajet (7).
Pourtant la FSU et FO faisaient partie de l'intersyndicale unitaire.
Alors quel jeux jouaient le SNUIPP et le SNUDI-FO?
Ce comité de grève appelle le 29 mai à des « AG » interpro. On y arrive.
On remarque qu'en plus dudit comité, le G10 y appelle ainsi que les
satellites trotskistes tels que l'Ecole Emancipée-FSU. Les gauchistes
manoeuvrent partout pour tirer dans ce sens quitte à essayer manipuler
des AG
d'entreprises parfois avec succès sur la fin du mouvement. Les délégués
de ces boites ont alors la fâcheuse tendance de ne pas porter la parole
de leur AG d'entreprise mais de faire redescendre les « ordres » de
l'inter-pro. Le «comité central » n'est pas bien loin.
Les buts avoués sont d'attirer des syndicats confédérés, de pousser les
confédérations à appeler à la grève générale.
Un autre but est d'affaiblir la CGT, de dresser contre elle une partie
des travailleurs en l'accusant de tous les maux.
Le 12 juin, c'est sans hésitation que des enseignants, des militants de
SUD et de la LCR conspuent la CGT lors d'une prise de parole de Marc
Lopez, secrétaire de l'UD CGT. Il s'agit d'un travail de sape qui ne peut
que conduire à la division durable du salariat. Outre les problèmes de
contrôle déjà soulevés nous notons que hormis le SNUDI-FO aucun de ces
syndicats n'est confédéré (la CNT pèse si peu...). L'interprofessionnel,
ils ne le connaissent pas et ne le pratiquent pas. Ces AG
interprofessionnelles visent aussi à combler ces manquements. L'appel
s'adresse à tous et donc on élimine de fait les AG sur les lieux de
travail qui sont à notre avis les plus légitimes et qui sont celles
qu'organisent les syndicats confédérés. On y retrouve les même travers
que ceux que nous avons déjà cité plus haut à propos des AG des
enseignants. Ils sont même exacerbés. Nous rajouterons que nous ne
pouvons pas concevoir que la grève soit décidé par d'autres que ceux qui
la font dans l'entreprise concernée, c'est à dire in fine ceux qui en
supportent le coût, qu'il soit psychologique ou financier.
On a également du mal à imaginer des AG à 50000 personnes.Heureusement,
elles n'en ont jamais rassemblé plus de 500. Que des libertaires
soutiennent une organisation qui favorise le centralisme et la
manipulation par de petits groupes de gens bien organisé nous surprend.
Le fédéralisme proudhonien cher aux anarchistes et au mouvement ouvrier
est bien loin. Les manipulations de LO à la coordination nationale des
enseignants sont de la même teneur. Les exemples sont légions. Pour nous,
anarcho-syndicalistes, il va de soi que seule une organisation rigoureuse
et une pratique de la lutte peuvent empêcher ce type de manipulation.
Certes, le mouvement se cherchait et une partie de celui-ci a cru bon de
« s'auto-organiser ». Mais cette « auto-organisation » ne fit guère plus
que de l'improvisation. On ne gagne pas une bataille d'une telle
importance en n'y étant pas préparé.
Cela nous désole de voir des anarchistes tomber dans le panneau gauchiste
et oublier un siècle de réflexions et de pratiques tant pour éviter les
manipulations que sur la nécessité de « s'auto-organiser » en structures
permanentes: les syndicats ouvriers. La seule certitude, c'est qu'il nous
paraît nécessaire de renforcer le syndicalisme c'est-à-dire de multiplier
ses adhérents et de réduire son nombre de chapelles. Les AG doivent avoir
lieu sur les lieux de travail et les syndicats doivent porter leurs
revendications.
La coordination doit être l'oeuvre des syndicats au sein de leurs Unions
Locales ou Départementales ainsi que dans leurs Fédérations.
Et en attendant une hypothétique organisation unique, les
anarcho-syndicalistes doivent, à l'intérieur des organisations syndicales
et des unions professionnelles où ils militent, pousser au regroupement
des syndiqués et des travailleurs en lutte dans des intersyndicales qui
complèteront le système. Il n'y a là rien de nouveau: il s'agit des
pratiques mises en place par le syndicalisme depuis ses origines et que
parfois nous oublions.


La grève générale

Pendant la lutte de classe que nous venons de vivre, le terme de grève
générale a été utilisé à toutes les sauces. C¹est pourquoi on est en
droit de s¹interroger sur la signification des appels litaniques du type
: «Dirigeants des organisations ouvrières (sic)! Appelez à la grève
générale » alors que l¹on doit savoir que « la grève générale », à aucun
moment et dans aucun pays, n¹a été décrétée par qui que ce soit, si ce
n¹est par les travailleurs eux-mêmes. Les appels à la grève générale dans
l¹éducation, ou à la grève générale reconductible, nous confirment cette
confusion. Soyons sérieux la grève générale est tout d¹abord
interprofessionnelle, elle nécessite l¹occupation des lieux de travail.
Ensuite elle peut devenir expropriatrice, les travailleurs prennant en
main la production et les services publics. Ce sont alors les prémices
de la Révolution. Cette confusion des mots a eu cours dans les AG, dans
la presse syndicale, dans la déclaration des bureaucrates, dans
l¹ensemble des médias. Elle est la preuve d¹une culture syndicale
limitée et affadie avec la volonté de certaines composantes syndicales
d¹utiliser cet imbroglio pour éviter l¹élargissement.
Il a été beaucoup reproché à la CGT de ne pas appeler à la grève
générale. Ces reproches viennent essentiellement d'organisations
extérieures à la CGT et qui pour beaucoup lui sont hostiles ou
concurrentes. On chercherait à l'affaiblir, on ne s'y prendrait pas
autrement.
La CGT n'a pas cessé de dire que la grève générale ne se décrétait pas,
que ce serait les travailleurs à la base qui la décideraient. Il est
surprenant que des libertaires est quelque chose à redire à cela.
Dans un tel contexte, le rôle d'une confédération est bien de favoriser
l'extension du mouvement . De nombreux militants de la CGT se sont
mobilisés dans ce sens. Les appels confédéraux à élargir, à étendre le
mouvement ont été incessants. La bataille de l'opinion publique a été
gagnée. De nombreuses fédérations ont appelé à la grève reconductible et
à une mobilisation générale à partir du 3 juin. On peut reprocher à la
CGT cette date tardive, le manque de rythme de la mobilisation avec des
journées d'actions peut-être trop éloignées.
Quoiqu'il en soit, les salariés du privé ne se sont jamais mobilisés
massivement après le 25 mai, et ceux du public ne l'ont fait que pendant
les temps forts même dans les secteurs fortement mobilisés où les préavis
reconductibles étaient déposés. Nous avons tous pu le constater (la
presse « pro-grève générale » en fait aussi le constat). La mobilisation
des salariés est fortement corrélée à l'implantation syndicale et les
déserts sont légions. Dans ces conditions on reproche à la CGT de ne pas
avoir appeler à la grève générale alors que tous les signes montraient
qu'on allait au casse-pipe. Il ne faut pas confondre audace et témérité.
C'est cela aussi la force d'une confédération: être capable de juger
d'une situation en couvrant de larges franges du prolétariat. Des
camarades ont joué les avant-gardes alors qu'ils étaient généralement
très minoritaires. Ils ont perdu parfois un ou deux mois de salaire.
C'était courageux mais ils ont conduit des salariés à l'abattoir. Des
drames humains se sont joués. Des salariés sont dégoûtés à vie de lutter.
C'était insensé.
Les organisations qui poussaient à la roue ne prenaient aucun risque car
elles étaient incapables de la faire cette grève générale. La CGT
elle-même n'a plus la capacité de porter ce moyen d'action. Pourtant,
elle aurait eu à en assumer seule les conséquences politiques en cas
d'échec. Et l'échec était certain à la vue du rapport de force. On
imagine aisément les conséquences : un mouvement ouvrier balayé, à genou
pour des années, incapable de renforcer son organisation pour être en
capacité de mener les luttes à venir et de freiner l'offensive
capitaliste.
Enfin nous ne pouvons pas nous empêcher de raconter quelques anecdotes. A
la fédération des cheminots CGT, on en rigole encore. Quand le petit
facteur de Neuilly, ex-candidat LCR à la présidentielle, syndiqué SUD se
voyant revivre Octobre est venu exhorter les cheminots d'un dépôt à la
grève générale. Ces derniers lui ont fait remarqué qu'à son bureau de
poste les salariés étaient au boulot. Il en est reparti le cul merdeux. A
Montpellier, le 14 et le 15mai, ce sont des adhérents du SNUI (G10), de
SUD-PTT (G10) et du comité de grève des instituteurs qui ont voulu voter
la grève illimitée... à l'AG des cheminots.
Et enfin une dernière plus dramatique, celle du comité interpro de
Montpellier qui a organisé l'occupation des voies de chemin de fer alors
que seulement une vingtaine de train sur une moyenne journalière de 260
passaient ce jour là, les cheminots étant en grève. Trois cent personnes
y sont allées (à comparer à des manifestations à 50000). Elles se sont
faites matraquer. Cette violence ne peut servir que la Réaction. Au
mieux, cette pseudo radicalité n'est qu'un aveu de faiblesse.


Pour conclure

Des combats nous allons en livrer d'autres et en perdre beaucoup face à
la Réaction. Tous les acquis issus des conquêtes ouvrières du passé vont
être malmenés. Nous sommes impuissants à y répondre à court terme du fait
de nos divisions et de nos faibles effectifs.
Il est confortable dans ces conditions d'accuser « les autres » d'être
responsables des échecs collectifs que nous subissons. Il est confortable
de se réfugier dans de petites organisations où on est bien au chaud
entre convaincus et de passer son temps à tirer sur des camarades qui se
battent pourtant pied à pied. Bien sur, les grandes confédérations et la
CGT en premier, n'ont pas toutes les vertus. Il y a des choses qui
déconnent, nous le concédons volontiers. Il y a des fédérations qui
jouent un jeu trouble, notamment certaines du privé qui craignent de
perdre des cartes si on défend les fonctionnaires. Peut-être n'ont-elles
pas bien lu le plan Fillon? Il y a aussi les camarades qui ont une place
bien au chaud et qui ne veulent surtout pas la perdre quitte à faire
quelques « petites » concessions qui ressemblent à de grand recul pour
les travailleurs. La Cgt est également confronté à la délégation de
pouvoir, ce qui arrange bien ceux qui délègue et témoigne en même temps
d'un vide militant relatif. Il est vrai que de nombreux camarades
n'arrivent pas à se débarrasser de leur vieux fantasme sur la nécessité
de l'alternative politique de gauche, du découpage entre le politique et
le syndical. Il n'est pas facile de changer une façon de penser et d'agir
vieille de plus d'un demi-siècle et nous ne pensons pas que cette
question se résoudra d'un coup. Pourtant la CGT à de nombreuses
propositions sociétaires, politiques mais elle n'a pas encore réappris à
se passer des partis pour les porter en avant. La visite de Bernard
Thibault au congrès du PS était sans doute destinée à rassurer les
tenants de ce partage des taches.
La CGT est aussi traverser de courant qui aimerait bien la voir
s'institutionnaliser. L'abandon des références au socialisme au congrès
de 95 va dans ce sens. Et comme la nature à horreur du vide, on nous
propose aujourd'hui de les remplacer par l'utopie « d'un nouveau statut
du salarié» qu'on serait en mesure de mieux faire appliquer que les
différents textes actuels. C'est de la Science-fiction.
Pour nous néanmoins, la CGT reste de loin l'organisation la plus vivante,
la plus porteuse de promesses. D'ailleurs, il n'y a qu'à en faire le
constat sur les dernières années, partout où ça se bagarre la CGT n'est
jamais loin! Toutes les organisations peuvent-elles en dire autant?
Certains, qui sont pourtant incapables de faire de tels constats (et pour
cause), nous présente les SUD et le G10 comme le nouvel El Dorado. Mais
on est bien en mal de nous dire pourquoi. Seuls les trotskistes le
savent. Leurs efforts pour en assurer le contrôle payent. A Montpellier
G10 et LCR défilent généralement côte à côte. Ici, les gauchistes ont
quasi tous quitté les autres syndicats (hors éducation nationale) et
n'ont pas hésité à diviser un peu plus les salariés en réalisant des
scissions (8).
L'organisation en syndicats départementaux issue de ses origines
cédétistes facilite grandement la prise en main de ses structures. Fin
août, c'est encore le G10 qui est venu au secours de l'extrême gauche
suite à une altercation avec Niconof, président d'ATTAC. Ce soi-disant
syndicalisme de « lutte et de transformation sociale » parfois efficace
dans les conflits corporatistes a subi un échec cuisant ce printemps en
étant incapable de peser sur la situation. Alors que la CGT est de moins
en moins une courroie de transmission, le G10 fait le chemin inverse. Il
pourrait bien en subir les conséquences aux prochaines élections
professionnelles. Déjà cet été, le SNJ-G10 (majoritaire chez les
journalistes) a perdu 3,5% au profit du SNJ-CGT(9).
Quant à la CNT, nous comprenons la nostalgie qu'elle inspire aux
anarchistes. Mais la Révolution espagnole, c'était en 1936. Certes, elle
fut un très grand syndicat ouvrier outre-Pyrenées mais aujourd'hui en
France ne reste-elle pas qu'un syndicat anarchiste malgré ses récents
succès? Et nous ne voulons pas d'un syndicat anarchiste car nous ne
voulons pas d'un syndicat communiste, ni d'un syndicat trotskiste, ni
d'un syndicat socialiste... Nous voulons un grand syndicat réunissant
les travailleurs, celui de la classe ouvrière et du prolétariat(10).
Malgré le sentiment d'échec, le syndicalisme a démontré à nouveau ce
printemps qu'il était la seule force capable de s'opposer au capitalisme
. Il apporte des capacités d'actions au plus proche des salariés dans
leurs entreprises mais aussi au niveau national et international sur les
grands sujets de société.
Outre les nécessités de renforcer son organisation, le syndicalisme devra
aussi prendre à bras le corps sont déficit de communication. Tel que nous
l'avons déjà dits, les médias sont très influents et notre presse, nos
tracts semblent bien dérisoires. Le syndicalisme doit penser à se doter
d'un grand outil de communication tel une radio ou une télévision. C'est
ambitieux mais sûrement incontournable.
Le rôle des anarchistes est de s'investir massivement dans le mouvement
syndical tel qu'il l'a fait à l'aube du 20e siècle. Nous confronter aux
autres, avancer avec eux, apporter nos analyses, nos pratiques de la
démocratie (assemblée, mandatements, rotations des tâches,
procès-verbaux...)... sans les arrières pensées boutiquières qu'ont les
postulants à la conquête du pouvoir politique.
Conscient que les choix d'adhésions puissent être variés, partout les
salariés, les syndicalistes, les anarchistes doivent s'opposer à
l'institutionnalisation mortifère du syndicalisme et à son morcellement.
Bien au contraire ils doivent travailler à son développement, à son unité
d'action et éviter tout émiettement synonyme de divisions et de temps
perdu. Reconstruire pierre après pierre l'unité organique du « parti du
travail » est un enjeu majeur. L'indépendance face au patronat, à l'état
et aux partis politiques est primordiale pour rassembler les salariés et
mener une politique authentiquement prolétarienne. Le syndicalisme doit
se
positionner sur les choix de société, oeuvrer à défendre, consolider et
conquérir des acquis de société en attendant « la suppression de
l'exploitation capitaliste, notamment par la socialisation des moyens de
productions et d'échange ». Enfin le syndicalisme doit développer ses
liens internationaux pour lutter efficacement contre la mondialisation
capitaliste et étendre l'esprit de la lutte et l'espoir d'un autre futur.

Septembre 2003,
Collectif anarcho-syndicaliste de Montpellier, « La Sociale »
la.sociale@wanadoo.fr


Notes

(1) Cf. les numéros de la lettre-MSL publiés depuis le début de cette
année.

(2) Il existe des exceptions notables.

(3) La responsabilité de ce désastre dans les mobilisés de ce printemps
incombe à beaucoup: communistes, extrême-gauche, fédérations CGT qui ont
appelé à voter Chirac,... et même des anarchistes.

(4) Novembre-décembre 95 est devenu un véritable mythe au point d'oublier
que le Plan Juppé est passé. Seuls les régimes spéciaux qui ne sont pas
des régimes de fonctionnaires (cheminots, EDF-GDF,...) ont tiré leur
épingle du jeu, notamment parce que ces travailleurs faisaient l'objet
d'une attaque frontale (statut, emploi, avenir...) visant à dessouder les
« bastions du syndicalisme ». La droite de l'époque était plus faible et
plus divisée et elle a fait « l'erreur » historique de vouloir aller vite
et de s'attaquer aux salariés encore bien organisés. On peut néanmoins
souligner que si les cheminots ont défait la direction de la SNCF et
gagné 7 ans de paix relative, les Gaziers et Electriciens ont vu
l'ouverture à la concurrence en Europe se poursuivre. Non, décidément
l'hiver 95, ce n'était pas le grand soir.

(5) La confédération CFDT n'a pas appelé le 3 avril

(6) Les tracts de SUD rail sont édifiants: tout en se joignant à l'appel
du 3 juin, ils n'ont de cesse de critiquer les autres organisations.

(7) A Montpellier, les services d'ordre sont exceptionnels, les
manifestations se déroulant généralement sans heurt. On rajoutera que ce
jour-là, la plupart des militants cégétistes étaient à Paris.

(8) Par exemple, à la Mutualité Sociale Agricole de l'Hérault, ils ont
provoqué une scission dans la CGT pour créer SUD. Il y a aujourd'hui 5
syndicats pour environ 300 salariés.Les administrateurs se frottent les
mains.

(9) SNJ 42,4% (-3,26), CGT 19,8% (+4), CFDT 15,8% (-1,3)...

(10) Erico Malatesta (théoricien anarchiste) disait déjà cela... il y a
un siècle.



ce texte est extrait de la rubrique "Débats et point de vue" de la Lettre
des militant-e-s syndicalistes libertaires du mois d'octobre 2003

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