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(fr) Récit des premières réactions contre l'expulsion de La Charade

From kandjare@no-log.org
Date Sun, 22 Jun 2003 18:29:37 +0200 (CEST)


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A G E N C E D E P R E S S E A - I N F O S
http://www.ainfos.ca/
http://ainfos.ca/index24.html
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Alors l'histoire commence par l'arrivée très discrète de plusieurs
dizaines de flics accompagnéEs d'un galant huissier à 8 h du matin. Il
faut avouer qu'ils n'ont pas eu besoin de trop forcer pour défoncer la
porte tellement l'absence de barricadage était flagrante tout naïf/ves
que nous étions... oui on avait vaguement cru aux promesses de la mairie
communiste qui garantissait de ne pas nous expulser avant fin juillet
alors que nous étions expulsables depuis mi-mai... Ouh, la menteuse,
elle est pas amoureuse... Donc on fut plutôt prisES de court... mais
malgré tout, on parvint à déclencher une chaîne téléphonique de
solidarité... Assez rapidement une trentaine de personnes commença à
s'assembler devant le portail gardé par quelques hommes-moustache en
uniforme qui ne
laissaient entrer personne. Pendant ce temps, les habitantEs à
l'intérieur s'affairaient à rassembler leurs affaires pour les sortir
tandis que des ouvriers employés à la mairie commençaient leur fameuse
entreprise de scellage et murage en détruisant par ailleurs un escalier
de secours en colimaçon qui se trouvait à l'extérieur. Dehors, les gens
nous soutenaient en faisant le plus de bruit possible pour rendre visible
le fait que des gens étaient en train de se faire expulser... Des
voisinEs eurent même la chouette idée de mettre de la musique en rapport
avec ce qui était en train de se passer. Ça résonnait assez fort dans le
quartier, ce qui déplût beaucoup aux policiers qui, excédés par tant de
subversion, décidèrent au final de couper la chansonnette... Ce qui
poussa des habitantEs à l'intérieur à imiter l'acte délictueux de leurs
voisinEs et à mettre à leur tour de la musique qui agace d'habitude
fortement ce genre de personnes sensibles qui pratiquent l'art d'expulser
des gens... A deux reprises, ces personnes avec ou sans uniforme
stoppèrent brutalement le flux musical qui semblait dire des
«cochoncetés» sur l'existence de la flicaille... La deuxième fois, ces
personnes confisquèrent même le cordon d'alimentation...

A l'extérieur, les gens qui nous soutenaient augmentaient au fur et à
mesure le dispostif de visibilisation en commençant à bloquer les
voitures dans les rues qui encadrent la Charade et en expliquant ce qui
était en train de se passer ― la maison se trouve située entre la
grande et longue avenue Ambroise Croizat et la place du 8 mai 1962. Puis,
ces personnes décidèrent d'aller rendre visite à la mairie laquelle est
située à quelques centaines de mètres de la Charade sur l'avenue Croizat.
L'idée de départ était d'exiger l'arrêt de l'expulsion ; illes ont dû
poireauter un certain temps dans la mairie sous l'oeil vide de vigiles...
Devant cette fin de non-recevoir, nos amiEs commençaient à s'impatienter
sérieusement en entamant un rapport de plus en plus proche avec le
mobilier de la mairie ; «Vous expulsez, on vous expulse» : commençait
alors un jeu je-taime-moi-non-plus avec les vigiles vu que nos amiEs
étaient déterminéEs à sortir du mobilier municipal dans la rue pour que
la mairie se sente un peu plus solidaire avec les expulséEs de la
Charade... Illes réussirent au final à sortir une table, des chaises et
une plante pour improviser un salon sur l'avenue.
La mairie voulait faire dans l'expulsion «classique»... Le mythique
bulldozer apparut "évidemment" à un moment donné... ce qui incita les
personnes devant la mairie à bloquer le terrible engin à mâchoires
démolisseuses, lequel rebroussa chemin devant tant de détermination...
pour prendre un chemin détourné afin d'atteindre le squat... il fut de
nouveau bloqué devant la Charade... ce deuxième blocage fut plutôt
symbolique étant donné que l'ouvrier qui conduisait l'engin le faisait
sans trop de conviction ; lors du premier blocage, il prévint qu'il
allait faire demi-tour pour prendre un autre chemin mais qu'il n'allait
pas insister s'il était bloqué plus loin...

Entre-temps, le directeur du cabinet du maire fut envoyé pour servir
d'interface démocratique et accueillir la foule en colère qui réclamait
plutôt de voir des zéluEs parce que c'est encore plus démocratique,
héhé... Finalement, René Proby le maire en personne (qui avait toujours
dédaigné nous recevoir jusque-là, déléguant à ses adjoints et autres
sous-fifres la gestion du problème administratif que nous étions
soi-disant à leurs yeux) accompagné de subordonnés et escorté de flics,
accepta de recevoir une «délégation» ... Cinq personnes pas dupes de
cette farce démocratique allèrent expectorer toute leur colère à ces
messieurs qui continuaient à considérer le problème d'un point de vue
d'expert ("c'est une question de responsabilité juridique, d'autant que
le bâtiment est insalubre, même si n'avons aucun dossier technique à vous
montrer là-dessus, et de toute façon, nous avons sur ce bâtiment des
projets d'aménagement concrets, certes, pas avant un certain "moyen
terme" et même si aucun préavis de permis de démolir n'a été posé sur ce
bâtiment... mais de toute façon, vous êtes dans l'illégalité et on a le
droit de vous expulser même si on n'est pas obligé de le faire, mais vous
savez, la loi, c'est plus fort que nous... et vous")... Et lorsqu'on leur
a demandé pourquoi ils n'ont pas tenu leur promesse de ne pas expulser
avant fin juillet, ils ont quand même eu l'honnêteté politicienne
d'avouer qu'une «promesse, ça se tient plus ou moins»... Pendant ce
temps, les
manifestantEs à l'extérieur de la mairie se faisaient brusquement pousser
par les hommes-moustache en uniforme pour évacuer la chaussée et voilà...

Entre-temps dans la maison en cours d'expulsion, certains ouvriers qui
étaient chargés d'aider au déménagement et au murage prirent ouvertement
conscience qu'ils participaient à un truc dégueulasse, et l'exprimèrent
discrètement à notre encontre... On leur demanda alors pourquoi ils
devaient se sentir obligés de participer à l'expulsion en leur
mentionnant les coups de fourbes de la mairie... Du coup, certains
d'entre eux décidèrent d'arrêter de travailler après s'être au préalable
assurés auprès de la direction syndicale locale (CGT évidemment) sans
pour autant arguer directement des raisons politiques, mais davantage des
raisons de sécurité ou d'encadrement de travail. Mais enfin, c'était
quand même une forme de solidarité... ce qui n'empêcha pas que le lieu
se fasse évacuer et murer car tout le monde ne s'était pas montré
infidèle à la mairie.

Le soutien des gens prenait aussi en compte les aspects matériels liés
au déménagement de nos effets personnels et collectifs : les gens
proposaient bras, véhicules, espaces de stockage, voire espaces
d'hébergement... Une fois tout le monde dehors, les quelques ouvriers
s'affairaient à leur entreprise d'enfermement d'une maison vouée de
nouveau à l'abandon et à l'absurdité de logiques liées à la propriété
privée et colorées d'une touche bureaucratiquement stalinienne. Des
patrouilles de flics durent se relever et tourner pendant le reste de la
journée ; un vigile fut même requis pour protéger le lieu durant la nuit.



Il était clair que ça n'allait pas s'arrêter là et que la suite de la
visibilisation de notre expulsion allait s'organiser... Le squat des 400
Couverts à Grenoble nous servit (et nous sert) principalement d'espace de
"retranchement" et de réconfort (merci aux gens des 400 pour leur
chouette soutien)... Le besoin de réaction se faisant fortement sentir,
tout le monde se revit en fin d'après-midi pour savoir comment
l'assouvir. Rapidement, une proposition d'affiche et de tract se mit en
oeuvre... Des équipes de collages se formèrent pour aller pointer
gracieusement du doigt les contradictions d'une mairie qui oeuvre
soi-disant pour le droit au logement, mais qui ne trouve que le mode
répressif pour gérer les
velléités qui la dépassent.

Le lendemain matin (jeudi 19 juin), on profita de la grosse manifestation
sur les retraites pour informer les militantEs et autres manifestantEs :
à une vingtaine d'individuEs très remontéEs, nous réussîmes à visualiser
le problème en remontant jusqu'au début du cortège pour installer une
zone de «sensibilisation» en travers de la manif. Plusieurs caddies
étaient là pour symboliser notre exil un peu forcé. Dans ces charriots,
on trimbala quelques affaires qui pouvaient évoquer notre vie quotidienne
(casseroles, chaises, lampe, condiments, échelle...) ainsi que des
éléments de la zone de gratuité. Une grande banderole ainsi que plusieurs
pancartes étaient brandies pour rappeler qu'en expulsant ce lieu, on
expulsait des gens qui n'avaient pas d'autre lieu où se loger, ainsi que
des activités et des expériences politiques (zone de gratuité, espace
féministe, espace enfant, bibliothèque, activités gratuites et
autogérées...). Un tee-shirt était même là pour tenter de manière ludique
de faire un lien entre la manif et l'expulsion : sur le recto, on pouvait
lire «Pif expulse les squatteurs» avec la tête du chien souriant, tandis
que sur le recto «Mickey exploite les travailleurs» avec la tête de la
souris souriante (explication : à une certaine période pas trop éloignée,
on pouvait connaître l'obédience politique des parents en fonction du
magazine auquel illes abonnaient leurs enfants : les abonnéEs à
Pif-gadget dénotaient de parents plutôt communistes ; les lecteurices de
Mickey-magazine faisaient dans la famille bourgeoise). Un tract fut aussi
distribué [voir
http://www.ainfos.ca/fr/ainfos03871.html ]. Notre action permit
d'interpeller plein de gens qui étaient déjà plus ou moins au courant ou
non de l'expulsion, manifestant pour une grosse partie d'entre elleux
soutien, dégoût, incompréhension et étonnement. Il y eut parfois quelques
réactions d'énervement (soi-disant on gênait la manif ou qu'on ne
s'attaquait pas à la bonne cible). Cependant pour la plupart de ces gens
agacéEs, il s'agissait d'hommes-moustache du service d'ordre et/ou de
militantEs communistes de (Saint-)Martin-d'Hères qui récitaient les
leçons qu'on leur avait enseignées, c'est-à-dire en ressortant les
habituels arguments administratifs et d'experts («c'est normal il y avait
des raisons, des projets d'aménagement»), ainsi que des arguments
répressifs («c'est normal, un squat c'est illégal» alors que ces
gens-là s'arrogent le «droit» de critiquer un projet de loi qu'ils
considèrent à juste mesure contraignant...). On pouvait aussi relever des
considérations très léninistes («vous n'êtes que des sales gauchistes»,
vous savez, la maladie infantile du communisme ), ainsi que des arguments
qu'on peut qualifier d'utilitarisme de frustration («vous êtes des
parasites, vous profitez du système, vous n'avez qu'à aller travailler et
vous taper des chantiers» sauf que monsieur-madame, si vous êtes là,
c'est quand même pour
travailler moins de ce qu'on veut vous imposer en reconnaissant que le
système du travail dans une société capitaliste est basé sur
l'exploitation, et si monsieur Raffarin veut changer le système des
retraites, c'est pour que vous travailliez encore plus dans les
chantiers)... Ces instants d'énervement étaient souvent accompagnés
d'insultes virilistes, homophobes et d'en-dessous-de-la-ceinture de la
part de nos amis militants PC ou proche («De toute façon, je vais te
dire ce que t'es, tu n'es qu'un couillon», «Je vais te casser la
gueule... puis je vais te couper les couilles», «Vous n'êtes que des
pédés... je vais tous vous enfiler»)... Le communisme institutionnel : ça
promet en violence sexuelle...

Notre politique de «harcèlement» n'allait pas s'arrêter en si bon
chemin... En début d'après-midi, la Fédération PCF de l'Isère invitait à
son siège les «acteurs du mouvement social» à un débat public sur comment
«ce mouvement peut faire bouger la donne et contribuer à l'élaboration
d'une alternative» et comment «il peut être le creuset où se confrontent
les idées et où chacun s'approprie les termes du débat politique». Il
semblerait que certains communistes tentent d'expérimenter une
alternative aux logiques capitalistes et étatiques par des techniques
d'expulsion, surtout par rapport à des projets qui tentent de proposer ce
que certainEs appellent des alternatives au système par des pratiques
d'autogestion, de gratuité et de solidarité libérées de toute subvention
et autre contrôle bureaucratique. Cette réunion n'était composée que
d'une vingtaine de personnes pour la plupart encartées au parti
stalinien... Ceci dit, une personne sympathisante du PC intervint pour
évoquer le scandale de l'expulsion de la veille et pointer !e doigt sur
certaines contradictions (et ceci sans que nous ne nous fussions
concertéEs avec elle)... Ce qui provoqua un houleux débat manié d'une
main de maître par le ponte de la fédération qui coupait la parole
lorsqu'il le désirait pour parler fort le plus longtemps possible et
endormir les interlocuteurices... Devant cette forme de débat très
centralisée, nous jugeâmes rapidement le peu d'intérêt de la discussion,
d'autant plus qu'on essayait de nous faire sentir que notre problème
parasitait ce pourquoi illes étaient censéEs débattre et qu'un squat
d'habitation et d'activités n'avait rien à voir avec le «mouvement
populaire qui peut faire bouger la donne».

Quelques éléments coriaces d'entre nous, allèrent même rendre visite en
fin d'après-midi à la réunion des cégétistes de (Saint-)Martin-d'Hères.
Cette réu se déroulait dans une salle située juste en face de la feue
Charade... Là encore on tomba sur quelques individuEs très têtuEs qui
nous rabâchaient les arguments de la mairie : "responsabilité du maire en
jeu" alors qu'il y avait moyen que la mairie se décharge juridiquent de
cette responsabilité ; "insalubrité du lieu" alors que le bâtiment en
parfait état a été rénové deux fois en moins d'un siècle et qu'aucun des
rapports techniques que la mairie faisait mine de miroiter ne nous fut
présenté une quelconque fois, pas même au procès ; "projet de logements
sociaux" alors que le projet n'est envisagé offciellement qu'à
"moyen-terme", qu'aucun préavis de permis de démolir n'a été déposé, et
que de toute façon il n'y aura que 20% de logements sociaux vu que les
lots concernés sont ou seront vendus à un promoteur immobilier...

Sinon, la Charade a repris la figure triste de maison abandonée qu'elle
avait avant ses aventures avec nous autres énergumènes squatteureuses :
les portes et fenêtres du rez-de-chaussée sont murées jusqu'à la moelle
et les volets aux trois autres étages, fermés... la paranoïa sécuritaire
de la mairie alla même jusqu'à murer de manière totalement absurde une
porte qui très franchement n'était pas stratégique quant à une éventuelle
réoccupation du bâtiment. Deux jours après l'expulsion, d'uniformisants
rouleaux de peintures vinrent rayer les façades joyeusement décorées de
la Charade montrant par là la volonté municipale de tenter d'effacer
toute trace de notre passage sur les lieux...

Mais les expulseurs ne nous feront pas taire, car si tu veux être
heureux/se dans la vie, pends ton Proby-iétaire

Grenoble, 20/06/03
kandjare, un ex-habitant de la Charade




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