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(fr) Pour une histoire de l'anti-impérialisme anarchiste
From
Nicolas Phébus <nicolasphebus@yahoo.com>
Date
Sun, 16 Feb 2003 12:51:11 +0100 (CET)
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A G E N C E D E P R E S S E A - I N F O S
http://www.ainfos.ca/
http://ainfos.ca/index24.html
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[ Ce texte, écris pas un anar sud-africain pour une revue internationale
contre la guerre en Afghanistan, me semble particulièrement d'actualité à
l'heure ou la lutte contre la guerre en Irak et l'impérialisme fait la
quasi unanimité dans les rangs libertaires. Pour plus de détails et
d'autres textes sur le sujet, cliquez sur 'litterature' à
http://www.zabalaza.net/ ]
Pour une histoire de l'anti-impérialisme anarchiste
"Dans cette lutte, seuls les ouvriers et les paysans iront jusqu'au
bout". -Sandino
La tradition de lutte contre l'impérialisme est ancienne parmi les
anarchistes, elle remonte à l'aube du mouvement, dans les années
1860-1870, et se poursuit aujourd'hui encore. De Cuba à l'Égypte, à
l'Irlande, de la Macédoine à la Corée, à l'Algérie et au Maroc, le
mouvement anarchiste a payé de son sang son opposition à la domination et
au contrôle colonial et impérialiste.
Des anarchistes ont participé à des luttes de libération nationale, mais
ils ont toujours affirmé que la destruction de l'oppression nationale et
de l'impérialisme doit inclure la destruction du capitalisme et du
système étatique et mener à la création d'une communauté humaine sur des
bases communistes ou collectivistes. Solidaires de toutes les luttes
anti-impérialistes, les anarchistes s'efforcent d'en faire des luttes de
libération sociale plutôt que nationale. Des sociétés anticapitalistes et
anti-impérialistes qui se fondent sur l'internationalisme et non sur un
chauvinisme étroit, où les luttes au centre des Empires soient liées
étroitement aux luttes des régions colonisées ou opprimées, et où elles
soient contrôlées par les ouvriers et les paysans et reflètent leurs
intérêts de classe.
En d'autres termes, nous sommes solidaires des mouvements
anti-impérialistes mais nous condamnons ceux qui veulent instrumentaliser
ces mouvements pour propager des valeurs réactionnaires (tout comme ceux
qui s'opposent à la lutte des femmes pour leurs droits au nom d'une
prétendue culture) et nous nous battons contre toute tentative de
capitalistes ou de petits bourgeois locaux pour s'approprier ces
mouvements. Nous dénonçons la répression des mouvements
anti-impérialistes par les États, mais nous dénonçons tout autant le
droit des États de décider quelles protestations et quelles luttes sont
légitimes. Il n'y a pas de libération si seuls changent le langage ou la
couleur de la classe dominante.
** Contre le nationalisme
Voilà en quoi nous nous distinguons du courant politique qui domine les
mouvements de libération nationale depuis la Deuxième Guerre mondiale,
l'idéologie du nationalisme.
Selon cette idéologie, la tâche essentielle de la lutte anti-impérialiste
consiste à créer des États-nations indépendants: c'est par l'État que la
nation en tant que telle pourra exercer sa volonté générale. Kwame
N'krumah, le fer de lance de l'indépendance du Ghana, disait:
""Recherchez
premièrement le royaume politique" est devenu le principal slogan du
Convention People's Party, car sans l'indépendance politique, aucun de
nos projets de développement social et économique ne pourrait être
appliqué." [1]
Pour atteindre cet objectif, les nationalistes prétendent qu'il faut unir
toutes les classes au sein de la nation opprimée contre l'oppresseur
impérialiste. Ils affirment que l'expérience commune de l'oppression
nationale rend secondaires les différences de classes, ou encore que la
notion de classe est un concept importé qui ne s'applique pas dans leur
cas.
Les intérêts de classe dissimulés derrière l'idéologie nationaliste sont
évidents. Historiquement, ce sont la bourgeoisie et la classe moyenne des
nations opprimées qui ont inventé et propagé le nationalisme. C'est une
forme d'anti-impérialisme qui souhaite se défaire de l'impérialisme mais
conserver le capitalisme, un anti-impérialisme bourgeois qui veut donner
à la bourgeoisie locale une nouvelle place, la possibilité d'exploiter la
classe ouvrière locale et de développer un capitalisme local.
Notre rôle d'anarchistes face aux nationalistes est donc clair: nous
pouvons lutter à leurs côtés pour des réformes et des victoires
partielles contre l'impérialisme, mais nous luttons contre leur idéologie
étatiste et capitaliste. Nous avons pour rôle de gagner le soutien des
masses à notre critique de toute domination, d'éloigner les ouvriers et
les paysans du nationalisme et de les gagner à notre programme anarchiste
et
internationaliste de classe.
** Bakounine et la Première Internationale
Le soutien aux mouvements de libération procède directement de
l'opposition des anarchistes à toute structure politique hiérarchique et
aux inégalités économiques, et de leur projet de confédération
internationale librement constituée de communes autonomes et
d'associations libres de producteurs libres. Mais l'anarchisme rejette
nécessairement les solutions étatiques à l'oppression nationale.
Si on peut désigner un fondateur de l'anarchisme, c'est bien Michel
Bakounine (1818-1876). Sa théorie politique prend son origine dans les
mouvements de libération nationale des peuples slaves, et toute sa vie il
milita pour ce qu'on appelle aujourd'hui la décolonisation. Lorsqu'il
évolua du nationalisme panslave à l'anarchisme, dans les années
1860-1870, suite au désastre de l'insurrection polonaise de 1863, il
continua à militer en faveur des luttes pour l'autodétermination des
peuples.
Bakounine ne pensait pas que l'Europe impérialiste "puisse maintenir dans
l'asservissement" les pays colonisés: "L'Orient, ces huit cents millions
d'hommes endormis et asservis qui constituent les deux tiers de
l'humanité, sera bien forcé de se réveiller et de se mettre en
mouvement." Il proclame "hautement ses sympathies pour toute insurrection
nationale contre toute oppression": chaque peuple "a le droit d'être
lui-même et personne n'a celui de lui imposer son costume, ses coutumes,
ses opinions et ses lois". Pour lui, la libération doit s'accomplir "dans
l'intérêt tant politique qu'économique des masses populaires": si la
lutte anticolonialiste se mène "avec l'intention ambitieuse de fonder un
puissant État" ou si elle se fait "en dehors du peuple et ne pouvant, par
conséquent, triompher sans s'appuyer sur une classe privilégiée", elle
sera forcément "un mouvement rétrograde, funeste,
contre-révolutionnaire". [2]
"Toute révolution exclusivement politique, soit nationale et dirigée
exclusivement contre la domination de l'étranger, soit constitutionnelle
intérieure, lors même qu'elle aurait la république pour but, n'ayant
point pour objet principal l'émancipation immédiate et réelle, politique
et économique du peuple, serait une révolution illusoire, mensongère,
impossible, funeste, rétrograde et contre-révolutionnaire." [3] Si la
libération nationale est entendue comme autre chose que le simple
remplacement des oppresseurs étrangers par des oppresseurs locaux, le
mouvement de libération doit donc fusionner avec le combat
révolutionnaire de la classe ouvrière et de la paysannerie contre le
capitalisme et l'État. Sans objectifs révolutionnaires sociaux, la
libération nationale ne sera qu'une révolution bourgeoise.
** L'Europe de l'est
La lutte de libération nationale des ouvriers et des paysans doit être
résolument antiétatique, car l'État est forcément la chasse gardée d'une
classe privilégiée et le système étatique ne ferait que recréer
l'oppression nationale: "Tout État qui veut être un État réel, souverain,
indépendant, doit être nécessairement un État conquérant obligé de tenir
en sujétion par la violence beaucoup de millions d'individus d'une nation
étrangère."
Cette lutte doit aussi revêtir un caractère internationaliste, remplaçant
l'obsession de la différence culturelle par l'idéal universel de la
liberté humaine; elle participe de la lutte des classes internationale
pour "l'émancipation totale et définitive du prolétariat de
l'exploitation économique et du joug de l'État" et des classes qu'il
représente. "La révolution sociale... par nature est internationale" et
les peuples "qui aspirent à leur liberté doivent, au nom de celle-ci,
lier leurs aspirations et l'organisation de leurs forces nationales aux
aspirations et à
l'organisation des forces nationales de tous les autres pays." La voie
"exclusivement étatique" est "fatale pour les masses populaires", alors
que l'Association internationale des travailleurs "libère chacun de nous
de la patrie et de l'État ... Le temps viendra où... sur les ruines des
États politiques sera fondée en toute liberté l'alliance libre et
fraternelle, organisée de bas en haut, des associations libres de
production, des communes et des fédérations régionales englobant sans
distinction, parce que librement, les individus de toute langue et de
toute nationalité". [4]
Ces idées ont été mises en pratique en Europe de l'est depuis les années
1870: on rappellera le rôle actif joué par les anarchistes dans les
soulèvements de Bosnie-Herzégovine de 1873, contre l'impérialisme
austro-hongrois, ou dans le Mouvement national-révolutionnaire de
Macédoine contre l'empire ottoman. Dans cette région-là, des dizaines de
personnes payèrent leur militantisme de leur vie, en particulier lors de
la grande révolte de 1903.
Quinze ans plus tard, la tradition anti-impérialiste anarchiste reprenait
en Ukraine, où le mouvement makhnoviste organisa une révolte paysanne
gigantesque qui chassa l'occupant allemand, tint en respect les armées
rouges et blanches qui voulaient envahir le pays, tout en redistribuant
les terres, en établissant dans certaines régions l'autogestion ouvrière
et paysanne et en créant une armée révolutionnaire insurrectionnelle
contrôlée par les paysans et les ouvriers. [5]
** Égypte et Algérie
Dans les années 1870, des anarchistes italiens commencèrent à organiser
des groupes en Égypte et y publièrent des journaux; un groupe anarchiste
égyptien était représenté au congrès de 1877 de l'AIT antiautoritaire.
Errico Malatesta représentait une Fédération égyptienne (avec des groupes
à Constantinople et à Alexandrie) au Congrès socialiste révolutionnaire
international de 1881 à Londres. Malatesta, qui vécut en exil en Égypte,
y prit part à la révolte d'Arabi Pacha de 1882, suscitée par la mainmise
sur les finances égyptienne par une commission franco-anglaise
représentant les créanciers internationaux du pays. Il voulait y
poursuivre un projet révolutionnaire lié à la révolte des indigènes et
lutta avec les Égyptiens contre les colonialistes britanniques. [6]
En Algérie, le mouvement anarchiste commença à prendre pied au début du
XXe siècle, avec la constitution d'un section de la Confédération
générale du travail. Mais c'est surtout dans les années 1930 que la
CGT-SR (syndicaliste révolutionnaire) s'opposa activement, tant en France
qu'en Algérie, au colonialisme français. Lors du centenaire de
l'occupation français en Algérie, en 1930, une déclaration commune de
l'Union anarchiste, de la CGT-SR et de l'Association des fédéralistes
anarchistes dénonçait "le colonialisme assassin, la mascarade sanglante":
"La civilisation? Progrès? Nous disons, nous: assassinat!" [7]
Saïl Mohamed (1894-1953), un Algérien militant dans le mouvement
anarchiste depuis sa jeunesse, fut un membre actif de la section
algérienne de la CGT-SR ainsi que de l'Union anarchiste et du Groupe
anarchiste des indigènes algériens, dont il fut un des fondateurs. En
1929, il était secrétaire du Comité de défense des Algériens contre les
provocations du Centenaire. Il rédigeait l'édition nord-africaine du
périodique de l'Alliance libre des anarchistes du Midi, Terre Libre, et
écrivit régulièrement sur la question algérienne dans la presse
anarchiste. [8]
** Maroc, Espagne
Avant la Première Guerre mondiale, l'opposition à l'impérialisme était au
coeur des campagnes antimilitaristes anarchistes en Europe, qui
soulignaient que les guerres coloniales ne servaient pas les intérêts des
travailleurs, mais bien les objectifs du capitalisme.
La CGT française dénonçait par exemple dans sa presse le rôle des colons
capitalistes français en Afrique du Nord. Le premier numéro de la
Bataille Syndicaliste, publié le 27 avril 1911, citait le "Syndicat
marocain", ces "hommes de l'ombre" qui dictaient leur loi aux ministres
et aux diplomates et attendaient qu'une guerre gonfle la demande d'armes,
de terres et de chemins de fer et permette d'introduire une taxe sur les
indigènes. [9]
En Espagne, la "Semaine tragique" débuta le lundi 26 juillet 1909 lorsque
le syndicat Solidaridad Obrera, dirigé par un comité composé
d'anarchistes et de socialistes, appela à la grève générale contre le
rappel de réservistes, ouvriers pour la plupart, pour la guerre coloniale
au Maroc. Le mardi, les ouvriers contrôlaient Barcelone, la "fière rose
de l'anarchisme", les convois militaires étaient stoppés, les trams
renversés, les communications coupées, les rues coupées par des
barricades. Le jeudi, les combats éclataient contre les forces
gouvernementales et plus de 150 ouvriers furent tués lors de combats de
rue.
Les réservistes étaient rendus amers par les campagnes coloniales
désastreuses qui s'étaient déroulées peu avant aux Philippines et à Porto
Rico. Mais la Semaine tragique doit être comprise comme une insurrection
anti-impérialiste qui se situe dans la longue tradition de
l'anti-impérialisme anarchiste en Espagne. Le "refus des réservistes
catalans de servir dans une guerre contre les montagnards du Rif
marocain", "un des événements les plus importants" des temps modernes,
reflète le sentiment général que la guerre était menée dans le seul
intérêt des propriétaires des mines du Rif et que la conscription était
"un acte délibéré de guerre de classe et d'exploitation par la puissance
centrale".
En 1911, la naissance de la Confederación Nacional del Trabajo (CNT, qui
succédait à Solidaridad Obrera) fut marquée par une grève générale le 16
septembre, en soutien avec les grévistes de Bilbao, et l'opposition à la
guerre au Maroc. En 1922, après une bataille désastreuse en août contre
les troupes d'Abd el-Krim, lors de laquelle au moins 10 000 soldats
espagnols tombèrent, "le peuple espagnol laissa exploser sont
indignation, exigeant non seulement la fin la guerre, mais aussi le
jugement sévère des
responsables du massacre et des politiciens favorables aux opérations en
Afrique". Leur colère prit la forme d'émeutes et de grèves dans les
régions industrielles. [10]
** Cuba
Au cours de la guerre coloniale à Cuba (1895-1904), les anarchistes
cubains et leurs syndicats entrèrent dans les forces armées séparatistes
et firent de la propagande auprès des troupes espagnoles. Pour leur part,
les anarchistes espagnols faisaient campagne contre la guerre à Cuba
auprès des paysans, des ouvriers et des soldats en Espagne. Tous les
anarchistes espagnols désapprouvaient la guerre et appelèrent les
ouvriers à désobéir aux autorités militaires et à refuser d'aller se
battre à Cuba; les mutineries parmi les recrues furent nombreuses. Les
anarchistes cherchèrent aussi, dans leur opposition au nationalisme
bourgeois, à donner un caractère de révolution sociale à la révolte
coloniale. Lors de son congrès de 1892, l'Alliance ouvrière cubaine
recommanda aux ouvriers cubains de rejoindre les rangs du socialisme
révolutionnaire, et de prendre le chemin de
l'indépendance: "il serait absurde que ceux qui aspirent à la liberté
individuelle s'opposent à la liberté collective du peuple, même si la
liberté à laquelle ce peuple aspire est la liberté relative qui consiste
à s'émanciper de la tutelle d'un autre peuple". [11]
Lorsque l'anarchiste Michele Angiolillo assassina le président espagnol
Canovas en 1897, il déclara avoir agi tant pour venger la répression
contre les anarchistes en Espagne que pour répliquer aux atrocités
commises par l'Espagne dans les guerres coloniales.
Le mouvement ouvrier cubain, où les anarchistes tenaient les devants, ne
se borna pas à s'opposer à la domination coloniale mais il joua un rôle
important pour surmonter les divisions entre Cubains noirs, blancs, et
ouvriers immigrés. Les anarchistes cubains "réussirent à incorporer au
mouvement ouvrier un grand nombre de gens de couleur, et à mêler Cubains
et Espagnols… faisant ainsi avancer la conscience de classe et
contribuant à éradiquer les clivages de races ou d'ethnies parmi les
ouvriers".
L'Alliance ouvrière parvint à "éroder les barrières raciales comme aucun
syndicat ne l'avait fait auparavant", à mobiliser "toutes les masses
populaires dans le soutien aux grèves et aux manifestations". Non
seulement les Noirs furent nombreux à entrer dans l'organisation, mais
celle-ci lutta aussi contre les discriminations raciales au travail. La
première grève, en 1889, réclamait par exemple que "les personnes de
couleur puissent travailler ici". Cette revendication réapparut les
années suivantes, de même que celle réclamant que Noirs et Blancs aient
le droit "d'être assis dans les mêmes cafés", exprimée lors de la
manifestation du Premier Mai 1890 à la Havane.
Le journal anarchiste El Productor, fondé en 1887, dénonçait "la
discrimination exercée contre les Afro-Cubains par les employeurs, les
commerçants et toute l'administration". Par leurs campagnes et les
grèves, les ouvriers anarchistes cubains parvinrent à éliminer "la
plupart des méthodes disciplinaires héritées de l'esclavage", comme "la
discrimination raciale contre les non Blancs et le châtiment corporel des
apprentis et des dependientes". [12]
** Mexique, Nicaragua
Au Mexique, les soulèvements paysans indiens comme la révolte de Chavez
Lopez en 1869 et celle de Francisco Zalacosta dans la décennie suivante
furent d'inspiration anarchiste. Par la suite, les anarchistes
s'exprimèrent dans diverses organisations, le Parti libéral mexicain des
frères Magón, la Casa del Obrero Mundial syndicaliste révolutionnaire, la
section mexicaine des Industrial Workers of the World (IWW). L'anarchisme
et le syndicalisme révolutionnaire mexicains ne cessèrent de résister à
la domination politique et économique des États-Unis et de s'opposer à
toute discrimination raciale à l'égard des ouvriers mexicains
d'entreprises étrangères, comme aux États-Unis. [13]
Depuis 1910, les IWW se concentrèrent sur des luttes matérielles qu'ils
combinaient avec la perspective du contrôle ouvrier; les travailleurs
furent nombreux à les suivre, abandonnant l'idée d'une révolution
nationale réclamant la reprise par la nation du contrôle étranger sur les
ressources naturelles, la production et les infrastructures.
Au Nicaragua, Augustino Cesar Sandino (1895-1934), leader de la guérilla
nicaraguayenne contre l'occupation états-unienne de 1927 à 33, reste un
mythe national. Le drapeau noir et rouge de l'armée de Sandino "avait une
origine anarcho-syndicaliste, car il avait été introduit au Mexique par
des immigrants espagnols".
La politique éclectique de Sandino était teintée d'anarcho-communisme,
"assimilé au Mexique au cours de la révolution mexicaine" où il fit ses
classes en syndicalisme révolutionnaire. [14]
Malgré ses faiblesses, le mouvement sandiniste fut de plus en plus marqué
à gauche, au fur et à mesure que Sandino réalisait que "seuls les
ouvriers et les paysans iront jusqu'au bout" du combat. Des coopératives
paysannes furent organisées dans les territoires libérés. Les forces
américaines durent se retirer en 1933, et les soldats révolutionnaires
furent peu à peu démobilisés. Sandino fut assassiné en 1934 et les
collectivités détruites sur ordre du général Somoza, le nouveau chef de
gouvernement pro-américain.
** Libye, Erythrée
Dans les années 1880 et 1890, "anarchistes et ex-anarchistes... furent
parmi les opposants les plus déclarés contre les aventures militaires de
l'Italie en Erythrée et en Abyssinie". Le mouvement anarchiste italien
poursuivit cette lutte avec de grandes campagnes antimilitaristes au
début du XXe siècle, qui culminèrent lors de l'invasion italienne en
Libye le 19 septembre 1911.
Augusto Masetti, un soldat anarchiste qui tira sur un colonel s'adressant
à ses troupes en partance pour la Libye, en criant: "A bas la guerre,
vive l'anarchie!", devint le symbole de ces campagnes. Le journal
L'Agitatore publia un numéro spécial en sa faveur, qui proclamait: "La
révolte anarchiste éclate dans la violence de la guerre." Cela provoqua
des arrestations en masse. Dans leur majorité, les députés socialistes
votèrent en faveur de l'annexion, tandis que les anarchistes organisaient
des manifestations contre la guerre et une grève générale partielle, et
essayaient de bloquer les trains emmenant les soldats des Marches et de
Ligurie vers les ports.
La campagne eut un énorme écho auprès des paysans et des ouvriers et en
1914 la coalition antimilitariste, dirigée par les anarchistes mais
ouverte à tous les révolutionnaires, comptait 20 000 membres et
travaillait en étroite collaboration avec la Jeunesse socialiste.
Lorsque le Premier ministre Antonio Salandra envoya ses troupes réprimer
les manifestations largement anarchistes contre le militarisme, contre
les bataillons punitifs et pour la libération de Masetti, le 7 juin 1914,
cette mesure marqua le déclenchement de la Semaine Rouge de 1914, un
soulèvement de masse qui suivait la grève générale lancée par l'Unione
sindacale italiane (USI) anarcho-syndicaliste. Ancona fut tenue pendant
dix jours par les rebelles, des barricades furent érigées dans toutes les
grandes villes, de petites villes des Marches déclarèrent leur autonomie,
et partout où passait la révolte "les drapeaux rouges étaient levés, les
églises attaquées, les voies de chemin de fer arrachées, les villas mises
à sac, les impôts abolis et les prix abaissés". Le mouvement s'éteignit
quand les syndicats socialistes appelèrent à la fin de la grève, mais il
fallut dix mille hommes de troupe pour reprendre le contrôle d'Ancona.
Après l'entrée en guerre de l'Italie, en mai 1915, l'USI et les groupes
anarchistes continuèrent de s'opposer à la guerre et à l'impérialisme; en
1920, ils lancèrent une vaste campagne contre l'invasion de l'Albanie par
l'Italie et l'intervention impérialiste contre la Révolution russe. [15]
** L'Irlande et James Connolly
En Irlande, pour prendre un autre exemple, les syndicalistes
révolutionnaires James Connolly et Jim Larkin s'efforcèrent dans les
années 1910 de réunifier les travailleurs par delà les divisions
religieuses sectaires et de transformer le grand syndicat qu'ils
dirigeaient, Irish Transport and General Workers' Union, en une
organisation syndicaliste révolutionnaire, One Big Union. [16] Selon eux,
le socialisme serait amené par la grève générale révolutionnaire: "Ceux
qui mettent en place des organisations syndicales pour répondre aux
besoins actuels préparent en même temps la société de l'avenir... le
principe du contrôle démocratique fonctionnera grâce aux ouvriers
organisés dans des fédérations
d'industrie... et l'État politique et territorial du capitalisme n'aura
plus ni place ni fonction". [17]
Connolly, en anti-impérialiste cohérent, s'opposait à la ligne
nationaliste selon laquelle "les travailleurs doivent attendre" et
l'Irlande indépendante être capitaliste. Quelle différence, écrivait-il,
si les chômeurs étaient réunis au son de l'hymne national irlandais, que
les huissiers portent un uniforme vert frappé de la harpe celtique au
lieu de la couronne
d'Angleterre, et que les mandats d'arrêt soient aux armes de la
République d'Irlande? En fait, "la question irlandaise est une question
sociale, et toute la longue lutte des Irlandais contre leurs oppresseurs
se résout en dernière analyse en une lutte pour la maîtrise des moyens de
production et de vie en Irlande". [18]
Connolly ne se fiait pas aux capacités de la bourgeoisie nationale de
lutter vraiment contre l'impérialisme, car il la considérait comme un
bloc sentimental, lâche et anti-ouvrier, et il s'opposait à toute
alliance avec la classe moyenne naguère radicale qui "s'est agenouillée
devant Baal et que des milliers de liens économiques lient au capitalisme
anglais, tandis que seuls des liens sentimentaux ou historiques en font
des patriotes
irlandais", de sorte que "seule la classe ouvrière irlandaise est
l'héritière incorruptible des luttes pour la liberté en Irlande".
Connolly fut exécuté en 1916, après avoir tenté un soulèvement qui échoua
mais qui fut le véritable déclencheur de la guerre d'indépendance de
l'Irlande de 1919-1922, une des premières sécessions de l'Empire
britannique à avoir réussi.
** Une révolution anarchiste en Corée
Un dernier exemple. En Asie orientale, le mouvement anarchiste apparaît
au début du XXe siècle et exerce une certaine influence en Chine, au
Japon et en Corée. Lorsque le Japon annexe la Corée en 1910, des
oppositions se font jour dans les deux pays et jusqu'en Chine.
L'exécution de Kotoku Shusui et de ses compagnons au Japon, en juillet
1910, fut notamment justifiée par la campagne qu'ils menaient contre
l'expansionnisme japonais. [19]
Pour les anarchistes coréens, la lutte contre le colonialisme a été une
activité centrale: ils jouèrent un rôle clef dans le soulèvement de 1919
contre l'occupation japonaise, et formèrent en 1924 la Fédération
anarchiste coréenne dont le Manifeste déclarait que "la politique de
brigand du Japon met en danger l'existence de notre nation, et c'est
notre droit le plus strict de renverser le Japon impérialiste par des
moyens révolutionnaires".
Selon le Manifeste, la question ne se résoudrait pas par la création d'un
État national souverain, mais seulement par une révolution sociale des
paysans et des pauvres, tant contre le gouvernement colonial que contre
la bourgeoisie locale.
La Fédération anarchiste coréenne donna aussi une dimension
internationale à la lutte, en créant en 1928 une Fédération anarchiste
d'Orient s'étendant à la Chine, au Japon, à Taiwan, au Vietnam et à
d'autres pays. Elle appelait "le prolétariat du monde entier, en
particulier celui des colonies d'Asie", à s'unir contre "l'impérialisme
capitaliste international". En Corée même, les anarchistes s'organisèrent
dans la clandestinité pour mener une lutte de guérilla, des activités de
propagande et d'organisation syndicale.
En 1929, les anarchistes coréens formèrent une zone libérée armée en
Mandchourie, où deux millions de paysans et de guérilleros vivaient en
coopératives paysannes librement associées. La Korean People's
Association in Manchuria résista pendant plusieurs années aux attaques
des forces armées japonaises et des staliniens coréens soutenus par
l'Union soviétique, avant d'être réduite à la clandestinité. Mais la
résistance se poursuivit malgré l'intensification de la répression, et
plusieurs opérations armées furent organisées après l'invasion de la
Chine par le Japon en 1937.
** L'abolition de l'impérialisme
Les anarchistes ne peuvent par rester "neutres" dans les luttes
anti-impérialistes. Qu'il s'agisse des luttes contre l'endettement du
tiers monde, contre l'occupation israélienne en Palestine, de
l'opposition aux interventions militaires américaines au Moyen Orient,
nous ne sommes pas neutres, nous ne pouvons pas être neutres si nous
sommes contre
l'impérialisme.
Mais nous ne sommes pas nationalistes. Nous reconnaissons que
l'impérialisme tire son origine du capitalisme, et que remplacer des
élites étrangères par des élites locales ne servira en rien les intérêts
de la classe ouvrière et paysanne.
La création de nouveaux États-nations revient à créer de nouveaux États
capitalistes au service des élites locales, aux dépens de la classe
ouvrière et paysanne. La plupart des mouvements nationalistes qui ont
"réussi" se sont tournés contre les ouvriers; une fois qu'ils ont accédé
au pouvoir, ils ont réprimé violemment la gauche et les syndicats. En
d'autres termes, l'oppression se poursuit sous d'autres formes à
l'intérieur du pays.
Et cela ne détruit pas l'impérialisme. Les États indépendants font partie
du système international des États et du système capitaliste
international, où ce sont les États impérialistes qui ont le pouvoir
d'imposer les règles du jeu. En d'autres termes, l'oppression extérieure
se poursuit sous d'autres formes.
Cela signifie que tous les États -et les capitalistes qui les contrôlent-
sont bien incapables de remettre en question sérieusement le contrôle
impérialiste, qu'ils cherchent plutôt à faire progresser leurs intérêts
dans le cadre général de l'impérialisme. Les nouveaux États conservent
des liens économiques étroits avec les pays occidentaux du Centre, tout
en utilisant leur pouvoir d'État pour construire une force à eux, dans
l'espoir d'accéder eux-mêmes au statut d'États impérialistes. La manière
la plus efficace pour la classe dominante locale de développer le
capitalisme local, c'est de briser les mouvements des ouvriers et des
petits paysans pour pouvoir vendre bon marché les matières premières et
des produits manufacturés sur le marché mondial.
Ce n'est évidemment pas une solution. Il faut abolir l'impérialisme pour
créer les conditions de l'autogestion de tous les gens dans le monde
entier. Mais cela exige la destruction du système capitaliste et du
système étatique. En même temps, notre lutte est une lutte contre les
classes dirigeantes du tiers monde: l'oppression locale n'est pas non
plus une solution. Les élites indigènes sont nos ennemis tant au sein des
mouvements de libération nationale qu'après la formation de nouveaux
États-nations. Seule la classe ouvrière et paysanne peut détruite
l'impérialisme et le capitalisme, et remplacer la domination par les
élites locales et étrangères par l'autogestion, l'égalité économique et
sociale.
Voilà pourquoi nous sommes favorables à l'autonomie de la classe
ouvrière, à l'unité et à la solidarité internationales, entre les pays et
les
continents, et pour la création d'un système international
anarcho-communiste par l'activité autonome de tous les ouvriers et
paysans. Comme le disait Sandino, "dans cette lutte, seuls les ouvriers
et les paysans iront jusqu'au bout."
Lucien van der Walt
(Traduit de l'anglais par Marianne Enckel du CIRA.pour publication dans
la revue Refractions)
http://struggle.ws/trans/french/antiimp.html
http://struggle.ws/issues/war/afghan/pamwt/antiimp.html
Traduction de l'article History of anarchist anti-imperialism, The
anarchist movement has a long tradition of fighting imperialism.
Notes Van der Walt
1 N'krumah, Kwame, L'Afrique doit s'unir, Paris 1964.
2 Cité par Daniel Guérin, L'Anarchisme, Paris, 1965, p. 81-82.
3 Michel Bakounine [1866], "Points essentiels des catéchismes nationaux",
in Guérin, D., éd., Ni Dieu ni maître, Paris 1969 p. 202.
4 M. Bakounine [1873], Étatisme et anarchie, Leiden 1967, p. 235, 240,
242, 274.
5 Voir Alexandre Skirda, Nestor Makhno, le cosaque libertaire, Paris
1999.
6 G. Woodcock, Anarchism: a History of Libertarian Ideas and Movements.
Penguin 1975, pp. 236-8. H. Oliver, The International Anarchist Movement
in Late Victorian London, London 1983, p. 15. V. Richards, Malatesta:
Life and Ideas, London, p. 229. P. Marshall, Demanding the Impossible: a
history of anarchism, Fontana 1994, p. 347. D. Poole, "Appendix: About
Malatesta", in E. Malatesta, Fra Contadini: a Dialogue on Anarchy,
London, 1981, p. 42
7 Saïl Mohamed, Appel aux travailleurs algériens (textes réunis et
présentés par Sylvain Boulouque), Volonté anarchiste, 1994.
8 Sylvain Boulouque, "Saïl Mohamed, ou la vie et la révolte d'un
anarchiste algérien", in Mohamed, op cit.
9 F.D., "Le Syndicat Marocain," in La Bataille Syndicaliste, n° 1, 27
avril 1911.
10 R. Kedward, Les Anarchistes, Lausanne 1970. P. Trewhela, "George
Padmore: a critique", in Searchlight South Africa, vol 1, n° 1,1988, p.
50. M. Bookchin, 1977, The Spanish Anarchists: the heroic years
1868-1936, New York, London, 1977, p. 163. A. Paz, Un anarchiste
espagnol, Durruti, Paris 1993 p. 46.
11 Frank Fernandez, El Anarquismo en Cuba, Madrid 2000, p. 36.
12 J. Casanovas, Labour and Colonialism in Cuba in the Second Half of the
Nineteenth Century, Ph.D. thesis, State University of New York 1994; et
"Slavery, the Labour Movement and Spanish Colonialism in Cuba,
1850-1890", International Review of Social History, 40, 1995, pp. 381-2.
13 Voir N. Caulfield, "Wobblies and Mexican Workers in Petroleum,
1905-1924", International Review of Social History, 40, 1995, p. 52, et
du même, "Syndicalism and the Trade Union Culture of Mexico" (paper
presented at Syndicalism: Swedish and International Historical
Experiences, Stockholm University: March 13-14, 1998); J. Hart, Anarchism
and the Mexican Working Class, 1860-1931, Texas University Press 1978.
14 D.C. Hodges, The Intellectual Foundations of the Nicaraguan
Revolution, cited in The Anarchist FAQ, http://flag.blackened.net/i.
Navarro-Genie, Sin Sandino No Hay Sandinismo: lo que Bendana pretende
(ms: n.d.). A. Bendana, A Sandinista Commemoration of the Sandino
Centennial (speech given on the 61 anniversary of the death of General
Sandino, Managua, 1995).
15 Carl Levy, "Italian Anarchism, 1870-1926", in D. Goodway (ed), For
Anarchism: history, theory and practice, London 1989, p. 56. G. Williams,
A Proletarian Order: Antonio Gramsci, factory councils and the origins of
Italian communism 1911-21, London 1975, pp. 36-7
16 Sur Connolly et Larkin, voir E. O'Connor, Syndicalism in Ireland,
1917-23, Cork University Press, 1988. Sans entrer dans un débat sur
Connolly, je signalerai juste que les tentatives récurrentes de faire de
lui un stalinien, un trotskiste ou autre marxiste, ou encore un
nationaliste irlandais pro-catholique, ne tiennent pas au regard des
positions propres de Connolly sur le syndicalisme révolutionnaire après
1904: voir notamment les textes réunis par O. B. Edwards et B. Ransom,
James Connolly: selected political writings, London 1973
17 J. Connolly [1909], "Socialism Made Easy," Edwards et Ransom, op cit.,
pp. 271, 274, 262.
18 J. Connolly, Labour in Irish History (Corpus of Electronic Texts:
University College, Cork, Ireland [1903-1910]), p. 183, 25.
19 Ha Ki-Rak, A History of Korean Anarchist Movement, Daegu (Korea) 1986.
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