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(fr) Une brève histoire de la révolte féministe

From Nicolas Phebus <nicolasphebus@yahoo.com>
Date Tue, 11 Feb 2003 16:42:51 -0500 (EST)


 _________________________________________________
   A G E N C E  D E  P R E S S E  A - I N F O S
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        http://ainfos.ca/index24.html
 _________________________________________________

SIÈCLES OCCULTÉS

Le féminisme comme théorie politique ne s'institue pas véritablement avant
le XVIIIème siècle mais l'histoire de centaines de femmes, féministes avant
l'heure, est trop souvent passée sous silence. Depuis des siècles, nous
pouvons retrouver des traces écrites de femmes, connues ou anonymes, qui
réclament un changement dans leur situation de servitude ou de dépendance.
Qu'elles aient été abbesses (supérieures de couvent), musiciennes,
écrivaines, poétesses, courtisanes, prostituées ou sorcières, quelques-unes
de leurs oeuvres ont survécu au temps mais combien d'autres ont été
occultées! (1)

Certaines de ces femmes ont formé des associations diverses, le plus souvent
sous le couvert de congrégations religieuses, mais il faut attendre la
Révolution française (1789) pour voir apparaître théories et mouvements
féministes.  C'est en Europe qu'on en trouve les premières traces, alors
qu'un courant républicain tente de recentrer l'organisation du politique
autour des humains. Ces " humains " sont avant tout des hommes, mais le fait
que tout ne soit plus remis entre les mains de la volonté de Dieu contribue
à rendre plus visibles les rôles sociaux et les oppressions qui en
découlent. Des principes d'égalité, de liberté, somme toute limités,
apparaissent alors et c'est en voyant poser ces principes au masculin que
des femmes se regrouperont sur des bases ouvertement politiques.

Mary Wollstoncraft se fait l'une des portes-voix de ces regroupements,
notamment en écrivant " La défense des droits de la femme " en 1792. Au
moment même où l'Europe est marquée par le passage de certaines monarchies à
des gouvernements dits démocratiques, l'auteure pense l'égalité en insistant
sur le fait qu'on ne peut détruire les rapports d'autorité au niveau
politique si on laisse persister l'autoritarisme domestique et la tyrannie
familiale. Dans le même ordre d'idées, Olympe de Gouge rédige ensuite " La
Déclaration des droits de la femme " révélant le caractère exclusivement
masculin de l'égalité, et celui fort limité des " avancées " promises par la
" Déclaration des droits de l'homme ".

Ces quelques pas sont cependant rapidement suivis de reculs. Dès 1793, on
interdit par exemple les clubs de femmes en France. Puis, 1806 signe
l'entrée en vigueur du Code Napoléon. Le nouveau code civil français (repris
au Québec) renie ainsi toute existence sociale aux femmes, leur interdisant
pratiquement de lever le petit doigt sans la signature de leur père ou de
leur mari.

Des femmes font pourtant leur marque en s'y opposant comme c'est le cas de
Louise Michel (1830-1905). Cette anarchiste française met sur pied plusieurs
écoles libres, prend part à la Commune de Paris (1871), nous légue nombres
d'écrits et de discours, etc. et pose continuellement la lutte pour la
libération des femmes au coeur tant de ses actions que de ses discours.

C'est également au cours de ce siècle que le féministe comme mouvement
politique commence à se constituer en Amérique, notamment autour de la
Révolution industrielle. Comme ailleurs, ce féminisme naît de la condition
politique, économique et sociale des femmes alors reliée à une nature
féminine faible et devant être consacrée exclusivement aux plaisirs des
hommes, à la fabrication de bébés et au récurage du plancher.

La remise en question que certaines femmes ont toujours faite de la
différentiation des genres basée sur des arguments biologiques prends alors
de l'ampleur (tout étant relatif) et commence à  s'organiser politiquement.
Les féministes refusent la logique d'inégalités naturelles différenciant
hommes et femmes et constituant des statuts inchangeables. Elles définissent
l'oppression des femmes au sein d'un système social et politique et tentent
de mettre à jour l'idéologie patriarcale sur lequel s'appui ce système (par
l'intermédiaire de rôles sociaux, de normes sexistes, d'exploitations et
d'oppressions). Le débat nature/culture est alors ramené sur la place
publique.

Il s'agit évidemment de mouvements très minoritaires. Des femmes anarchistes
et socialistes sont pourtant très actives dans le nord-est américain;
militantEs de la base multiplient les grèves, la diffusion de moyens de
contraception, les conseils utiles aux jeunes mariées, etc. Emma Goldman, la
plus connue peut-être de ces militantes, arrive à New York, où elle joint le
mouvement anarchiste, en 1889. Elle prend part aux luttes pour le droit de
vote des femmes, mais développe une critique des plus intéressantes du
suffrage, mettant en lumière les mensonges de la démocratie républicaine.
Emma Goldman milite en faveur du contrôle des naissance, contre la
mobilisation de guerre, contre le capitalisme, etc. En opposition à
l'oppression sociale et la dépendance économique des femmes, elle multiplie
les écrits, les conférences, les manifestations et... les séjours en prison.

Les groupes dont l'Histoire fait le plus état se développent cependant
davantage dans les milieux bourgeois. Des femmes bourgeoises se réunissent
autour de salons de thé ou d'oeuvres de charité et vont peu à peu se
politiser. Au Québec, la première association féministe officielle, le
Montreal Local Council of Women, fut fondée en 1893. Regroupant francophones
et anglophones, le groupe réclame notamment l'amélioration des droits civils
de l'épouse (le Code civile datant de 1866 est alors inspiré du Code
Napoléon et il faudra attendre 1964 pour que soit inscrit dans la loi
canadienne le droit des femmes à prendre part à la direction de leur
famille. Vivre la démocratie!), le droit à l'éducation supérieure, le droit
de vote, le droit d'exercer des professions et le droit de participer aux
différents pouvoirs. Tout cela est revendiqué au nom de l'égalité des sexes
et tranche avec le discours la majorité des groupes de femmes qui misent
encore sur leurs différences et revendiquent des droits pour les femmes aux
noms de leur statut de femmes et de mères.

Dans tous les cas, pourtant, ces revendications seront récupérées par le
grand courant de l'accès à la démocratie. Absorbées par les mouvements
républicains et les revendications pour les droits civils, les inégalités
subies par les femmes passent inaperçues pour la plupart, quand elles ne
sont pas carrément niées au nom de la supériorité naturelle des hommes.
Malgré la relative démocratisation que connaissaient la majorité des pays
occidentaux, les femmes ne peuvent toujours pas jouir des " privilèges "
grandissant reliés à la citoyenneté puisqu'on les dit incapables d'en
assumer les obligations (prise de parole en public, armée, etc). Et cette
logique patriarcale règne au Québec peut-être plus qu'ailleurs (!) en raison
de l'omniprésence de l'Église catholique et de la grande force qu'elle
exerce contre la libération des femmes.


LE 20ÈME SIÉCLE

On divise généralement les féminismes qui animèrent le XXème siècle en trois
grandes vagues. La première étant datée du début des années 1900 à la fin de
la Première Guerre mondiale; la deuxième se développant autour de la
Deuxième Guerre mondiale et la troisième atteignant son sommet dans les
années 1960-70. Attardons-nous y un peu.


DÉBUT DE SIÈCLE

Le début du XXème siècle est marqué par les luttes pour le droit de vote.
Les suffragettes apparaissent en Angleterre au milieu des années 1800, mais
leurs luttes atteindront la plupart des pays occidentaux dans les décennies
suivantes. Les femmes habituées aux salons de thé et aux cercles de lectures
se fâchent alors et des milliers d'entre elles descendent dans la rue,
provoquant scandales et émeutes (actions directes, manifestes-agis,
journaux, manifestations, etc.). En Angleterre, elles tentent même de
prendre le palais de Buckingham.

Ces luttes déclenchent une très forte répression. Les arrestations se font
par centaines et celles qu'on identifie comme les " leadeuses " du mouvement
se voient la plupart du temps refuser leur remise en liberté. Plusieurs ne
sortent de prison qu'à la suite de longues grèves de la faim. Prenant ainsi
le chemin de l'hôpital, elles sont retournées derrière les barreaux dès leur
rétablissement.

Les suffragettes signent donc les premières grandes luttes organisées mais
le rassemblement de ces femmes sous une mêmes bannières avive rapidement
leur conscience d'une exploitation commune. En permettant de mieux
identifier la structure patriarcale dominant de même que ses nombreuses
manifestations, chaque lutte en amène quantité d'autres et toutes sont
liées.

Les grandes grèves qui se multiplient dans le Nord-est américain depuis 1857
prennent alors de l'ampleur et permettent aux mouvements ouvrier et
féministe d'afficher leurs revendications à la face du monde mais surtout
d'inscrire les luttes (et les gains) dans des perspectives plus globales qui
dépassent l'horizon législatif. Ces influences anarcho-féministes et
socialistes ne tardent pas à avoir leur effet sur les ouvriers, mais aussi
sur les ouvrières.

Le slogan " Du pain et des roses " trouve d'ailleurs son origine dans ce
mouvement. Des grévistes du textile revendiquent de meilleures conditions de
vie matérielle, du pain, mais aussi des roses pour représenter le côté
immatériel nécessaire à une réelle libération. Celui-là, on ne le peut
trouver dans aucune loi, mais dans un changement profond des mentalités.

De même, c'est dans ce contexte de protestation et d'activisme politique que
naît la Journée internationale des femmes, le 8 mars. Le premier appel pour
un Woman's Day est lancé en 1908 à l'initiative des femmes du parti
socialiste américain et prend la forme d'une manifestation pour le droit de
vote et la reconnaissance des droits politiques et économiques des femmes.
2000 personnes marchent sur Manhattan et dès l'année suivante, le 28 février
1909, cinq Woman's Suffrage Demonstrations sont organisés dans la seule
région de New York et tiennent lieux de Woman's Day. Le mouvement prend de
l'ampleur en 1910 sous l'impulsion des Wobblies et de la grève générale de
20 000 à 30 000 chemisierÈREs (au moins 80% sont des femmes) de New York qui
revendiquent un salaire décent et de meilleures conditions de vie. C'est la
même année, quelques mois après les 13 semaines de grève qui soulevent les
mouvements ouvrier et féministes, que la IIème Internationale socialiste
adopte à Copenhague une motion pour internationaliser le Woman's Day
américain. Le 19 mars 1911 la première journée internationale des femmes est
fêtée, mais il faudra attendre 1914 pour que soit tenue le premier 8 mars.

Puis,  presque au même moment, éclate la Première Guerre mondiale. Les
hommes étant partis se battre en Europe, il faut bien qu'on puisse les
remplacer à l'usine, histoire de faire rouler l'économie. Le travail à
l'extérieur de la maison est alors presque généralisé pour les femmes,
l'État récupérant ainsi les revendications féministes. Cela n'est évidemment
pas sans provoquer de profonds changements sociaux : on se rend compte que
les femmes sont capables de faire des travaux qui étaient considérés comme
typiquement masculins; pour la première fois, elles ont une reconnaissance
sociale pour le travail fait et elles sont payées; elles sortent de leur
isolement à la maison et prennent conscience de leur situation commune; on
crée les premières garderies, souvent sur les lieux de travail (ce qu'on n'a
pas nécessairement aujourd'hui) et le gouvernement fédéral canadien
accordera le droit de vote aux femmes en 1918. Tous ces gains, bien qu'ils
aient été acquis de chaudes luttes et qu'ils aient réellement profiter aux
femmes, ne sont pourtant pas autant de reconnaissance de droits
fondamentaux. Pour les autorités, il ne s'agit que de récompenser les femmes
pour les services rendus pendant la guerre et les remercier de leur loyauté
politique. Ces gains ne sont que ponctuels pour la plupart et peu de
changements à long terme en découlent.

La fin de la Première Guerre mondiale signe d'ailleurs de nombreux reculs
pour les femmes et le mouvement féministe. Les hommes démobilisés vont
reprendre leur job et le discours dominant, celui des politiciens autant que
des maris, qui avait incité les femmes à sortir de chez elles, revient  " à
la normale " pour qu'elles retournent à la maison. Après tout, " les femmes
sont faites pour la chaleur du foyer et peuvent bien laisser les dures
travaux aux hommes viriles. " Différentes mesures incitatrices accompagnent
ce changement de discours (diminution des subventions pour les crèches ou
les garderies, harcèlement, etc.) et tout devient alors difficile pour les
femmes qui veulent travailler à l'extérieur du domicile.


LUTTES DIFFICILES D'ENTRE DEUX GUERRES

Ce n'était qu'une parenthèse pour les femmes, mais toutes n'acceptent pas le
retour au foyer aussi facilement. Malgré le recul, l'entre deux guerres
marque un début pour les luttes syndicales des Québécoises. Non seulement
des femmes militent pour la syndicalisation des travailleurSEs des deux
genres, mais des unions apparaissent dans les " usines de femmes " (surtout
du textile). Les Madeleine Parent et Léa Roback sortent alors de l'anonymat
et une vague de grèves éclate à Montréal. Celle-ci sera durement réprimée
par Duplessis et ses chasseurs de sorcières.

Toujours au Québec, le mouvement pour le droit de vote mobilise encore les
femmes, mais l'époque est à l'élargissement des perspectives de luttes.
L'Alliance canadienne pour le vote des femmes au Québec devient, par
exemple, La Ligue des droits de la femme. Aux luttes pour le droit de vote
des femmes sont reliées les revendications pour des allocations familiales,
pour l'égalité des conditions de travail (heures et salaires), pour la
défense des enfants nés hors mariage et pour une réforme du code civile
(pour le droit de garder son nom de jeune fille une fois mariée, pour le
droit d'avoir un compte en banque et de gérer son salaire, pour le droit
d'emprunter de l'argent à une institution financière), etc.


LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE : L'HISTOIRE SE RÉPÈTE

La Deuxième Guerre mondiale définie l'espace pour de nouvelles
mobilisations. Le scénario se répète et les femmes retournent massivement
aux usines. La plupart des professions libérales s'ouvrent également aux
femmes et certaines peuvent, pour la première fois, accéder à l'éducation
supérieure de même qu'à des postes de pouvoirs (députées et sénatrices).

Encore une fois, cependant, ce ne fut qu'une parenthèse et la fin de la
guerre souligne bien l'insuffisance de ces gains matériels non intégrés à
des changements de mentalités. On retourne une fois de plus les femmes à
leur foyer et le recul est d'autant appuyé qu'il est caractérisé par la
vague de consommation des années 1950. Bien que cela ait pu faciliter de
beaucoup la vie des femmes, le temps des bungalow, des appareils
électro-ménagers et des pubs de la parfaite femme au foyer est, pour le
moins, peu propice aux luttes féministes.

Une période plus conservatrice s'amorce alors et les Cercles des fermières,
Association féminine pour l'éducation et l'action (AFEAS) et Fédération de
la femme du Québec (FFQ, née en 1966) prennent l'avant-scène. Ces groupes se
mobilisent  notamment autour de la Commission Bird, une commission d'enquête
tenue en 1967 par le gouvernement fédéral sur la situation des femmes au
Canada.


LA " NOUVELLE GAUCHE "

Peu à peu on assistera tout de même à une remontée de la gauche. La deuxième
moitié des années 1960 entraîne l'Amérique du Nord et l'Europe dans les
luttes étudiantes, les luttes contre la Guerre du Vietnam, Mai 1968, le
mouvement nationaliste québécois et la montée des marxismes et des groupes
marxistes-léninistes.

Les féministes participent à ce large mouvement de remise en question de
l'ordre établi, mais elles se rendent rapidement compte que le machisme
règne même chez les militantEs les plus radicaux. La division de genre se
répercute jusque dans l'organisation des luttes et les femmes ne peuvent
souvent pas faire grand chose d'autre que le café et la prise de note,
pendant que les gars changent le monde.

Ces luttes sont tout de même autant de catalyseurs pour les féministes.
Elles leur permettent de préciser leurs objectifs et d'entrevoir de nouveaux
terrains de lutte. Les femmes commencent alors à s'organiser de façon
autonome. Les comités-femmes se multiplient au sein de syndicats,
d'organisations étudiantes, etc. et la non-mixité apparaît comme principe
politique, comme un moyen d'atteindre l'égalité.

Entre 1970 et 1975 se constitue, en quelque sorte, une avant-garde du
féminisme. De petits groupes de féministes radicales font leur apparition et
occupent la scène québécoise. Le Women liberation movement appuie
l'ouverture de la clinique du Dr Morgentaler; le Front de libération des
femmes (1969) occupe les tribunes de jury et obtient le droit pour les
femmes d'être jurés; le Centre des femmes opére une clinique d'avortement en
plus de diffuser largement différentes techniques de contraception (c'est à
cette époque qu'on peut situer l'histoire du doit à l'avortement au Québec)
et différentes revues (La vie en rose, Québécoises debouttes!, etc.)
assurent, pour la première fois, une diffusion large des idées féministes.

Ces femmes remettent de l'avant le féminisme comme pensée politique et
retrouvent des moyens d'action moins institutionnalisés. Désirant aller à la
racine du problème, elles prennent la scène, la rue.... leur place. Elles
veulent changer les pensées et les pratiques sexistes, bousculer les
stéréotypes, éliminer les discriminations au niveau du travail et des
salaires, obtenir le droit à l'avortement libre et gratuit, proscrire le
harcèlement sous toutes ses formes (c'est le début des notions d'atteinte à
l'intégrité des femmes), mettre fin aux barrières entre les sphères privée
et publique et à l'association de chacune d'entre elles à un seul genre
(hommes publics vs femmes privées et sans vie sociale et politique), etc.

Les féministes de cette période articulent les luttes des femmes dans le
cadre d'un projet de transformation sociale et politique d'ensemble et
veulent repenser totalement les institutions, le pouvoir et l'autorité.
Patriarcat et capitalisme sont alors réunis pour un même combat et les
femmes lient leurs situations quotidiennes concrètent aux grands principes
politiques du féminisme. Elles mettent en évidence les facettes et
manifestations multiples de l'oppression des femmes.

Ces prises de conscience mèneront entre 1976 et 1980 à l'éclatement
idéologique et organisationnel du féminisme. Les pratiques et références
idéologiques changent pour aboutir à la consolidation de la formule "
collectif ". Les groupes féministes connaissent du même coup leur plus large
extension sociale et géographique et ils se concentrent, pour la plupart,
autour des luttes pour le travail, le corps et la parole.


LES ANNÉES 1980 : SOUS LE SIGNE DE LA DISPERSION

Si une idée peut résumer les années 1980, c'est celle du backlash et les
féministes n'échappent pas au mouvement.

Le recul pourrait être positif. Après l'effervescence, les féministes
souhaitent marquer un temps pour recentrer leurs actions sur les fondements
du féminismes. Des gains structurels ont été marqués, mais on se rend compte
qu'il y a eu confusion entre les fondements idéologiques, les idées à la
base du féminisme et les applications qu'elles peuvent avoir dans le système
patriarcal. Veut-on, par exemple, que les  femmes aient accès à l'armée ou
désire-on éliminer l'armée comme institution patriarcale?

En fait, on constate que les modèles changent mais qu'ils sont encore
imposés par la société et non par une volonté féministe. Ils ne
correspondent toujours pas à la réalité des femmes, comme des hommes
d'ailleurs, et sont toujours à l'image du pouvoir, patriarcal et
capitaliste, qui reste présent partout. On remarque alors que l'évolution
des consciences vers l'égalité n'a pas vraiment suivi les changements légaux
ou concrets et qu'il faut peut-être réorienter l'action féministe.

Mis en perspective avec la montée du conservatisme et du néo-libéralisme, ce
temps de réflexion initiera cependant une grande période de recul et de
division dans le mouvement féministe. Rien ne semble pouvoir donner l'essor
nécessaire pour poursuivre la lutte. Les groupes se dépolitisent et
s'institutionnalisent peu à peu en groupes de services, en groupe de femmes.
C'est l'État qui dispose maintenant des moyens d'occuper l'essentiel du
champs des pratiques féministes inspirées du féminisme, et cela coïncide
avec une remise en cause de plus en plus grande du féminisme comme pensée
politique.

Au Québec, comme ailleurs, l'abandon du projet social et politique
féministe, au profit d'un syndicat ou d'un lobby féminin, prit
malheureusement des formes bien concrètes à travers l'économie sociale, le
virage ambulatoire, la montée des groupes masculinistes, etc.


LA SUITE...

Nous ne pouvons nier les grandes avancées qui marquèrent l'histoire des
femmes, particulièrement depuis les suffragettes, mais il ne faut pas non
plus se laisser prendre au piège de l'illusion d'égalité et rejeter le
féminisme. Beaucoup essaient simplement de préserver les acquis sans penser
à tout ce qui reste à gagner et légitiment, par le fait même, le système
patriarcal qui domine toujours.

Comme le souligne Micheline Dumont, " Feminist have learned that changing
the laws is a difficult task. The dates when they have succeeded are well
known. However, compared to changing attitudes and mentalities, revising the
laws is an easy task. Not a single date can be found for that kind of
change. That is why, in the history of women, especially, in the history of
feminism, we must concentrate on changing mentalities and developping
awareness." (dans The origins of the Women's Movement in Quebec).

Faisons donc en sorte qu'une simple liste d'épicerie pour l'État ne se
superpose plus au projet féministe.

Fanshawe

1) Faute d'espace et, malheureusement, de connaissances, le récit qui suit
se déroula dans les limites de  l'Occident. Je ne veux par là, en aucun cas,
nier les efforts que les femmes du Tiers Monde ont faits, et font encore,
pour mettre fin à l'oppression qui les malmène et/ou les tue en tant que
femmes. Il faudra poursuivre le récit...SIÈCLES OCCULTÉS

Le féminisme comme théorie politique ne s'institue pas véritablement avant
le XVIIIème siècle mais l'histoire de centaines de femmes, féministes avant
l'heure, est trop souvent passée sous silence. Depuis des siècles, nous
pouvons retrouver des traces écrites de femmes, connues ou anonymes, qui
réclament un changement dans leur situation de servitude ou de dépendance.
Qu'elles aient été abbesses (supérieures de couvent), musiciennes,
écrivaines, poétesses, courtisanes, prostituées ou sorcières, quelques-unes
de leurs oeuvres ont survécu au temps mais combien d'autres ont été
occultées! (1)

Certaines de ces femmes ont formé des associations diverses, le plus souvent
sous le couvert de congrégations religieuses, mais il faut attendre la
Révolution française (1789) pour voir apparaître théories et mouvements
féministes.  C'est en Europe qu'on en trouve les premières traces, alors
qu'un courant républicain tente de recentrer l'organisation du politique
autour des humains. Ces " humains " sont avant tout des hommes, mais le fait
que tout ne soit plus remis entre les mains de la volonté de Dieu contribue
à rendre plus visibles les rôles sociaux et les oppressions qui en
découlent. Des principes d'égalité, de liberté, somme toute limités,
apparaissent alors et c'est en voyant poser ces principes au masculin que
des femmes se regrouperont sur des bases ouvertement politiques.

Mary Wollstoncraft se fait l'une des portes-voix de ces regroupements,
notamment en écrivant " La défense des droits de la femme " en 1792. Au
moment même où l'Europe est marquée par le passage de certaines monarchies à
des gouvernements dits démocratiques, l'auteure pense l'égalité en insistant
sur le fait qu'on ne peut détruire les rapports d'autorité au niveau
politique si on laisse persister l'autoritarisme domestique et la tyrannie
familiale. Dans le même ordre d'idées, Olympe de Gouge rédige ensuite " La
Déclaration des droits de la femme " révélant le caractère exclusivement
masculin de l'égalité, et celui fort limité des " avancées " promises par la
" Déclaration des droits de l'homme ".

Ces quelques pas sont cependant rapidement suivis de reculs. Dès 1793, on
interdit par exemple les clubs de femmes en France. Puis, 1806 signe
l'entrée en vigueur du Code Napoléon. Le nouveau code civil français (repris
au Québec) renie ainsi toute existence sociale aux femmes, leur interdisant
pratiquement de lever le petit doigt sans la signature de leur père ou de
leur mari.

Des femmes font pourtant leur marque en s'y opposant comme c'est le cas de
Louise Michel (1830-1905). Cette anarchiste française met sur pied plusieurs
écoles libres, prend part à la Commune de Paris (1871), nous légue nombres
d'écrits et de discours, etc. et pose continuellement la lutte pour la
libération des femmes au coeur tant de ses actions que de ses discours.

C'est également au cours de ce siècle que le féministe comme mouvement
politique commence à se constituer en Amérique, notamment autour de la
Révolution industrielle. Comme ailleurs, ce féminisme naît de la condition
politique, économique et sociale des femmes alors reliée à une nature
féminine faible et devant être consacrée exclusivement aux plaisirs des
hommes, à la fabrication de bébés et au récurage du plancher.

La remise en question que certaines femmes ont toujours faite de la
différentiation des genres basée sur des arguments biologiques prends alors
de l'ampleur (tout étant relatif) et commence à  s'organiser politiquement.
Les féministes refusent la logique d'inégalités naturelles différenciant
hommes et femmes et constituant des statuts inchangeables. Elles définissent
l'oppression des femmes au sein d'un système social et politique et tentent
de mettre à jour l'idéologie patriarcale sur lequel s'appui ce système (par
l'intermédiaire de rôles sociaux, de normes sexistes, d'exploitations et
d'oppressions). Le débat nature/culture est alors ramené sur la place
publique.

Il s'agit évidemment de mouvements très minoritaires. Des femmes anarchistes
et socialistes sont pourtant très actives dans le nord-est américain;
militantEs de la base multiplient les grèves, la diffusion de moyens de
contraception, les conseils utiles aux jeunes mariées, etc. Emma Goldman, la
plus connue peut-être de ces militantes, arrive à New York, où elle joint le
mouvement anarchiste, en 1889. Elle prend part aux luttes pour le droit de
vote des femmes, mais développe une critique des plus intéressantes du
suffrage, mettant en lumière les mensonges de la démocratie républicaine.
Emma Goldman milite en faveur du contrôle des naissance, contre la
mobilisation de guerre, contre le capitalisme, etc. En opposition à
l'oppression sociale et la dépendance économique des femmes, elle multiplie
les écrits, les conférences, les manifestations et... les séjours en prison.

Les groupes dont l'Histoire fait le plus état se développent cependant
davantage dans les milieux bourgeois. Des femmes bourgeoises se réunissent
autour de salons de thé ou d'oeuvres de charité et vont peu à peu se
politiser. Au Québec, la première association féministe officielle, le
Montreal Local Council of Women, fut fondée en 1893. Regroupant francophones
et anglophones, le groupe réclame notamment l'amélioration des droits civils
de l'épouse (le Code civile datant de 1866 est alors inspiré du Code
Napoléon et il faudra attendre 1964 pour que soit inscrit dans la loi
canadienne le droit des femmes à prendre part à la direction de leur
famille. Vivre la démocratie!), le droit à l'éducation supérieure, le droit
de vote, le droit d'exercer des professions et le droit de participer aux
différents pouvoirs. Tout cela est revendiqué au nom de l'égalité des sexes
et tranche avec le discours la majorité des groupes de femmes qui misent
encore sur leurs différences et revendiquent des droits pour les femmes aux
noms de leur statut de femmes et de mères.

Dans tous les cas, pourtant, ces revendications seront récupérées par le
grand courant de l'accès à la démocratie. Absorbées par les mouvements
républicains et les revendications pour les droits civils, les inégalités
subies par les femmes passent inaperçues pour la plupart, quand elles ne
sont pas carrément niées au nom de la supériorité naturelle des hommes.
Malgré la relative démocratisation que connaissaient la majorité des pays
occidentaux, les femmes ne peuvent toujours pas jouir des " privilèges "
grandissant reliés à la citoyenneté puisqu'on les dit incapables d'en
assumer les obligations (prise de parole en public, armée, etc). Et cette
logique patriarcale règne au Québec peut-être plus qu'ailleurs (!) en raison
de l'omniprésence de l'Église catholique et de la grande force qu'elle
exerce contre la libération des femmes.


LE 20ÈME SIÉCLE

On divise généralement les féminismes qui animèrent le XXème siècle en trois
grandes vagues. La première étant datée du début des années 1900 à la fin de
la Première Guerre mondiale; la deuxième se développant autour de la
Deuxième Guerre mondiale et la troisième atteignant son sommet dans les
années 1960-70. Attardons-nous y un peu.


DÉBUT DE SIÈCLE

Le début du XXème siècle est marqué par les luttes pour le droit de vote.
Les suffragettes apparaissent en Angleterre au milieu des années 1800, mais
leurs luttes atteindront la plupart des pays occidentaux dans les décennies
suivantes. Les femmes habituées aux salons de thé et aux cercles de lectures
se fâchent alors et des milliers d'entre elles descendent dans la rue,
provoquant scandales et émeutes (actions directes, manifestes-agis,
journaux, manifestations, etc.). En Angleterre, elles tentent même de
prendre le palais de Buckingham.

Ces luttes déclenchent une très forte répression. Les arrestations se font
par centaines et celles qu'on identifie comme les " leadeuses " du mouvement
se voient la plupart du temps refuser leur remise en liberté. Plusieurs ne
sortent de prison qu'à la suite de longues grèves de la faim. Prenant ainsi
le chemin de l'hôpital, elles sont retournées derrière les barreaux dès leur
rétablissement.

Les suffragettes signent donc les premières grandes luttes organisées mais
le rassemblement de ces femmes sous une mêmes bannières avive rapidement
leur conscience d'une exploitation commune. En permettant de mieux
identifier la structure patriarcale dominant de même que ses nombreuses
manifestations, chaque lutte en amène quantité d'autres et toutes sont
liées.

Les grandes grèves qui se multiplient dans le Nord-est américain depuis 1857
prennent alors de l'ampleur et permettent aux mouvements ouvrier et
féministe d'afficher leurs revendications à la face du monde mais surtout
d'inscrire les luttes (et les gains) dans des perspectives plus globales qui
dépassent l'horizon législatif. Ces influences anarcho-féministes et
socialistes ne tardent pas à avoir leur effet sur les ouvriers, mais aussi
sur les ouvrières.

Le slogan " Du pain et des roses " trouve d'ailleurs son origine dans ce
mouvement. Des grévistes du textile revendiquent de meilleures conditions de
vie matérielle, du pain, mais aussi des roses pour représenter le côté
immatériel nécessaire à une réelle libération. Celui-là, on ne le peut
trouver dans aucune loi, mais dans un changement profond des mentalités.

De même, c'est dans ce contexte de protestation et d'activisme politique que
naît la Journée internationale des femmes, le 8 mars. Le premier appel pour
un Woman's Day est lancé en 1908 à l'initiative des femmes du parti
socialiste américain et prend la forme d'une manifestation pour le droit de
vote et la reconnaissance des droits politiques et économiques des femmes.
2000 personnes marchent sur Manhattan et dès l'année suivante, le 28 février
1909, cinq Woman's Suffrage Demonstrations sont organisés dans la seule
région de New York et tiennent lieux de Woman's Day. Le mouvement prend de
l'ampleur en 1910 sous l'impulsion des Wobblies et de la grève générale de
20 000 à 30 000 chemisierÈREs (au moins 80% sont des femmes) de New York qui
revendiquent un salaire décent et de meilleures conditions de vie. C'est la
même année, quelques mois après les 13 semaines de grève qui soulevent les
mouvements ouvrier et féministes, que la IIème Internationale socialiste
adopte à Copenhague une motion pour internationaliser le Woman's Day
américain. Le 19 mars 1911 la première journée internationale des femmes est
fêtée, mais il faudra attendre 1914 pour que soit tenue le premier 8 mars.

Puis,  presque au même moment, éclate la Première Guerre mondiale. Les
hommes étant partis se battre en Europe, il faut bien qu'on puisse les
remplacer à l'usine, histoire de faire rouler l'économie. Le travail à
l'extérieur de la maison est alors presque généralisé pour les femmes,
l'État récupérant ainsi les revendications féministes. Cela n'est évidemment
pas sans provoquer de profonds changements sociaux : on se rend compte que
les femmes sont capables de faire des travaux qui étaient considérés comme
typiquement masculins; pour la première fois, elles ont une reconnaissance
sociale pour le travail fait et elles sont payées; elles sortent de leur
isolement à la maison et prennent conscience de leur situation commune; on
crée les premières garderies, souvent sur les lieux de travail (ce qu'on n'a
pas nécessairement aujourd'hui) et le gouvernement fédéral canadien
accordera le droit de vote aux femmes en 1918. Tous ces gains, bien qu'ils
aient été acquis de chaudes luttes et qu'ils aient réellement profiter aux
femmes, ne sont pourtant pas autant de reconnaissance de droits
fondamentaux. Pour les autorités, il ne s'agit que de récompenser les femmes
pour les services rendus pendant la guerre et les remercier de leur loyauté
politique. Ces gains ne sont que ponctuels pour la plupart et peu de
changements à long terme en découlent.

La fin de la Première Guerre mondiale signe d'ailleurs de nombreux reculs
pour les femmes et le mouvement féministe. Les hommes démobilisés vont
reprendre leur job et le discours dominant, celui des politiciens autant que
des maris, qui avait incité les femmes à sortir de chez elles, revient  " à
la normale " pour qu'elles retournent à la maison. Après tout, " les femmes
sont faites pour la chaleur du foyer et peuvent bien laisser les dures
travaux aux hommes viriles. " Différentes mesures incitatrices accompagnent
ce changement de discours (diminution des subventions pour les crèches ou
les garderies, harcèlement, etc.) et tout devient alors difficile pour les
femmes qui veulent travailler à l'extérieur du domicile.


LUTTES DIFFICILES D'ENTRE DEUX GUERRES

Ce n'était qu'une parenthèse pour les femmes, mais toutes n'acceptent pas le
retour au foyer aussi facilement. Malgré le recul, l'entre deux guerres
marque un début pour les luttes syndicales des Québécoises. Non seulement
des femmes militent pour la syndicalisation des travailleurSEs des deux
genres, mais des unions apparaissent dans les " usines de femmes " (surtout
du textile). Les Madeleine Parent et Léa Roback sortent alors de l'anonymat
et une vague de grèves éclate à Montréal. Celle-ci sera durement réprimée
par Duplessis et ses chasseurs de sorcières.

Toujours au Québec, le mouvement pour le droit de vote mobilise encore les
femmes, mais l'époque est à l'élargissement des perspectives de luttes.
L'Alliance canadienne pour le vote des femmes au Québec devient, par
exemple, La Ligue des droits de la femme. Aux luttes pour le droit de vote
des femmes sont reliées les revendications pour des allocations familiales,
pour l'égalité des conditions de travail (heures et salaires), pour la
défense des enfants nés hors mariage et pour une réforme du code civile
(pour le droit de garder son nom de jeune fille une fois mariée, pour le
droit d'avoir un compte en banque et de gérer son salaire, pour le droit
d'emprunter de l'argent à une institution financière), etc.


LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE : L'HISTOIRE SE RÉPÈTE

La Deuxième Guerre mondiale définie l'espace pour de nouvelles
mobilisations. Le scénario se répète et les femmes retournent massivement
aux usines. La plupart des professions libérales s'ouvrent également aux
femmes et certaines peuvent, pour la première fois, accéder à l'éducation
supérieure de même qu'à des postes de pouvoirs (députées et sénatrices).

Encore une fois, cependant, ce ne fut qu'une parenthèse et la fin de la
guerre souligne bien l'insuffisance de ces gains matériels non intégrés à
des changements de mentalités. On retourne une fois de plus les femmes à
leur foyer et le recul est d'autant appuyé qu'il est caractérisé par la
vague de consommation des années 1950. Bien que cela ait pu faciliter de
beaucoup la vie des femmes, le temps des bungalow, des appareils
électro-ménagers et des pubs de la parfaite femme au foyer est, pour le
moins, peu propice aux luttes féministes.

Une période plus conservatrice s'amorce alors et les Cercles des fermières,
Association féminine pour l'éducation et l'action (AFEAS) et Fédération de
la femme du Québec (FFQ, née en 1966) prennent l'avant-scène. Ces groupes se
mobilisent  notamment autour de la Commission Bird, une commission d'enquête
tenue en 1967 par le gouvernement fédéral sur la situation des femmes au
Canada.


LA " NOUVELLE GAUCHE "

Peu à peu on assistera tout de même à une remontée de la gauche. La deuxième
moitié des années 1960 entraîne l'Amérique du Nord et l'Europe dans les
luttes étudiantes, les luttes contre la Guerre du Vietnam, Mai 1968, le
mouvement nationaliste québécois et la montée des marxismes et des groupes
marxistes-léninistes.

Les féministes participent à ce large mouvement de remise en question de
l'ordre établi, mais elles se rendent rapidement compte que le machisme
règne même chez les militantEs les plus radicaux. La division de genre se
répercute jusque dans l'organisation des luttes et les femmes ne peuvent
souvent pas faire grand chose d'autre que le café et la prise de note,
pendant que les gars changent le monde.

Ces luttes sont tout de même autant de catalyseurs pour les féministes.
Elles leur permettent de préciser leurs objectifs et d'entrevoir de nouveaux
terrains de lutte. Les femmes commencent alors à s'organiser de façon
autonome. Les comités-femmes se multiplient au sein de syndicats,
d'organisations étudiantes, etc. et la non-mixité apparaît comme principe
politique, comme un moyen d'atteindre l'égalité.

Entre 1970 et 1975 se constitue, en quelque sorte, une avant-garde du
féminisme. De petits groupes de féministes radicales font leur apparition et
occupent la scène québécoise. Le Women liberation movement appuie
l'ouverture de la clinique du Dr Morgentaler; le Front de libération des
femmes (1969) occupe les tribunes de jury et obtient le droit pour les
femmes d'être jurés; le Centre des femmes opére une clinique d'avortement en
plus de diffuser largement différentes techniques de contraception (c'est à
cette époque qu'on peut situer l'histoire du doit à l'avortement au Québec)
et différentes revues (La vie en rose, Québécoises debouttes!, etc.)
assurent, pour la première fois, une diffusion large des idées féministes.

Ces femmes remettent de l'avant le féminisme comme pensée politique et
retrouvent des moyens d'action moins institutionnalisés. Désirant aller à la
racine du problème, elles prennent la scène, la rue.... leur place. Elles
veulent changer les pensées et les pratiques sexistes, bousculer les
stéréotypes, éliminer les discriminations au niveau du travail et des
salaires, obtenir le droit à l'avortement libre et gratuit, proscrire le
harcèlement sous toutes ses formes (c'est le début des notions d'atteinte à
l'intégrité des femmes), mettre fin aux barrières entre les sphères privée
et publique et à l'association de chacune d'entre elles à un seul genre
(hommes publics vs femmes privées et sans vie sociale et politique), etc.

Les féministes de cette période articulent les luttes des femmes dans le
cadre d'un projet de transformation sociale et politique d'ensemble et
veulent repenser totalement les institutions, le pouvoir et l'autorité.
Patriarcat et capitalisme sont alors réunis pour un même combat et les
femmes lient leurs situations quotidiennes concrètent aux grands principes
politiques du féminisme. Elles mettent en évidence les facettes et
manifestations multiples de l'oppression des femmes.

Ces prises de conscience mèneront entre 1976 et 1980 à l'éclatement
idéologique et organisationnel du féminisme. Les pratiques et références
idéologiques changent pour aboutir à la consolidation de la formule "
collectif ". Les groupes féministes connaissent du même coup leur plus large
extension sociale et géographique et ils se concentrent, pour la plupart,
autour des luttes pour le travail, le corps et la parole.


LES ANNÉES 1980 : SOUS LE SIGNE DE LA DISPERSION

Si une idée peut résumer les années 1980, c'est celle du backlash et les
féministes n'échappent pas au mouvement.

Le recul pourrait être positif. Après l'effervescence, les féministes
souhaitent marquer un temps pour recentrer leurs actions sur les fondements
du féminismes. Des gains structurels ont été marqués, mais on se rend compte
qu'il y a eu confusion entre les fondements idéologiques, les idées à la
base du féminisme et les applications qu'elles peuvent avoir dans le système
patriarcal. Veut-on, par exemple, que les  femmes aient accès à l'armée ou
désire-on éliminer l'armée comme institution patriarcale?

En fait, on constate que les modèles changent mais qu'ils sont encore
imposés par la société et non par une volonté féministe. Ils ne
correspondent toujours pas à la réalité des femmes, comme des hommes
d'ailleurs, et sont toujours à l'image du pouvoir, patriarcal et
capitaliste, qui reste présent partout. On remarque alors que l'évolution
des consciences vers l'égalité n'a pas vraiment suivi les changements légaux
ou concrets et qu'il faut peut-être réorienter l'action féministe.

Mis en perspective avec la montée du conservatisme et du néo-libéralisme, ce
temps de réflexion initiera cependant une grande période de recul et de
division dans le mouvement féministe. Rien ne semble pouvoir donner l'essor
nécessaire pour poursuivre la lutte. Les groupes se dépolitisent et
s'institutionnalisent peu à peu en groupes de services, en groupe de femmes.
C'est l'État qui dispose maintenant des moyens d'occuper l'essentiel du
champs des pratiques féministes inspirées du féminisme, et cela coïncide
avec une remise en cause de plus en plus grande du féminisme comme pensée
politique.

Au Québec, comme ailleurs, l'abandon du projet social et politique
féministe, au profit d'un syndicat ou d'un lobby féminin, prit
malheureusement des formes bien concrètes à travers l'économie sociale, le
virage ambulatoire, la montée des groupes masculinistes, etc.


LA SUITE...

Nous ne pouvons nier les grandes avancées qui marquèrent l'histoire des
femmes, particulièrement depuis les suffragettes, mais il ne faut pas non
plus se laisser prendre au piège de l'illusion d'égalité et rejeter le
féminisme. Beaucoup essaient simplement de préserver les acquis sans penser
à tout ce qui reste à gagner et légitiment, par le fait même, le système
patriarcal qui domine toujours.

Comme le souligne Micheline Dumont, " Feminist have learned that changing
the laws is a difficult task. The dates when they have succeeded are well
known. However, compared to changing attitudes and mentalities, revising the
laws is an easy task. Not a single date can be found for that kind of
change. That is why, in the history of women, especially, in the history of
feminism, we must concentrate on changing mentalities and developping
awareness." (dans The origins of the Women's Movement in Quebec).

Faisons donc en sorte qu'une simple liste d'épicerie pour l'État ne se
superpose plus au projet féministe.

Fanshawe

1) Faute d'espace et, malheureusement, de connaissances, le récit qui suit
se déroula dans les limites de  l'Occident. Je ne veux par là, en aucun cas,
nier les efforts que les femmes du Tiers Monde ont faits, et font encore,
pour mettre fin à l'oppression qui les malmène et/ou les tue en tant que
femmes. Il faudra poursuivre le récit...

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Ruptures, la revue d'où il est extrait. 3$pp l'exemplaire à Groupe
anarchiste Emile-Henry (NEFAC), C.P. 55051, 138 St-Vallier Ouest, Québec
(Qc), G1K 1J0, Canada [abonnement 12$ / 4 numéro Québec/Canada, 24$
ailleurs, chèque à l'ordre de "Groupe Emile-Henry"] Pssit : le numéro 3
sort bientôt…
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