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(fr) Le syndicalisme aux Etats-Unis

From Worker <a-infos-fr@ainfos.ca>
Date Mon, 3 Feb 2003 16:39:04 -0500 (EST)


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[ texte tiré du bulletin de l'émission de radio "Le Monde comme il va"
  cf. coordonnées en bas de ce mail ]

Syndicalisme US

Je vous propose aujourd'hui la présentation d'un livre récemment paru aux
Editions Raisons d'agir, livre intitulé « Des syndicats domestiqués ­
Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis ». Les deux
auteurs sont des sociologues : Rick Fantasia et Kim Voss. En près de deux
cents pages, ils tracent à grands traits la singularité du syndicalisme
américain et présentent ce qui sera peut-être son renouveau.
Mais avant cela, ils tordent le cou à une idée malheureusement fort
répandue dans nos contrées. Ecoutons-les : « Les Américains, dit-on,
possèdent le niveau de vie le plus élevé du monde, ont droit aux soins
médicaux les meilleurs, fournissent le travail le plus productif, et
ainsi de suite. De telles affirmations ont pour but de promouvoir le
néo-libéralisme américain et de l'ériger en modèle pour le reste du
monde. Elles sont pourtant, en grande partie, fondées sur des illusions.
En fait, ce qui distingue réellement les Etats-Unis de l'Europe de
l'Ouest n'est ni le marché de l'emploi florissant ni la haute
productivité si souvent cités mais, au contraire, l'absence de protection
sociale (sécurité sociale, garde des enfants, congés parentaux payés), le
surmenage et une scandaleuse inégalité constitués en normes. » Le tableau
ne serait pas complet si je n'ajoutais que la durée moyenne des congés
annuels d'un travailleur n'est que de 16 jours, que les pauses auxquels
il a droit sont moins longues qu'ici et que la direction a le droit de
l'obliger à faire autant d'heures supplémentaires qu'elle le juge
nécessaire. Evidemment « la protection sociale dont bénéficient les
travailleurs américains dépend de leur puissance collective ou de l'état
du marché de l'emploi ».
Le premier chapitre s'intéresse justement à celles et ceux qui subissent
surmenage et salaires bas. N'allez pas les chercher dans le secteur de
l'industrie, tournez plutôt votre regard du côté de la nouvelle-économie,
du e-business. Amazon.com par exemple, repose sur l'exploitation de
salariés sous-payés chargés de répondre instantanément à toutes les
demandes des e-consommateurs.
Les entreprises productrices de produits informatiques tels les logiciels
reposent sur un personnel mélangeant ingénieurs hautement qualifiés et
fort bien rémunérés et une quantité de petites mains corvéables à merci.
Elles le sont d'autant plus qu'elles sont souvent étrangères. D'ailleurs
ces entreprises ont réussi à faire adopter par le congrès une série de
loi rendant ce personnel encore plus soumis à leur logique managériale.
Leur seul droit : se taire et courber l'échine. « Cette loi donne aux
patrons non seulement le droit d'embaucher et de licencier à leur guise,
mais également les moyens de transformer le statut d'immigrant de leurs
employés : ils peuvent ainsi renvoyer à l'étranger tous ceux qui
tenteraient de créer un syndicat, d'attaquer une entreprise en justice
pour discrimination ou qui refuseraient tout simplement de faire des
heures supplémentaires ». Pourquoi diable le néo-libéralisme sauce
américaine s'est-il imposé aussi facilement ? Pour les auteurs, cela
tient à la faiblesse du mouvement syndical et socialiste ; mais cela
s'explique également par l'importance de l'individualisme dans la
mentalité américaine : « L'individualisme, écrivent Fantasia et Voss, il
faut le comprendre, n'est pas un simple trait culturel mais l'un des
éléments d'un ensemble de pratiques, à la fois objectives et subjectives,
dont le rôle est d'empêcher les véritables individus et les véritables
citoyens de se défendre face au pouvoir des entreprises » lequel repose
sur trois autres éléments : dérégulation, décentralisation,
privatisation.
Tous ces éléments combinés ont permis la naissance durant la dernière
décennie de multiples emplois précaires et hors-normes, sous-payés et
sans protection. Sans oublier bien sûr que la faiblesse toute relative du
taux de chômage outre-atlantique est liée tout autant à la faiblesse des
droits accordés là-bas aux chômeurs qu'à la politique d'incarcération
massive de la jeunesse délinquante.
Venons-en maintenant au syndicalisme américain. Pour Fantasia et Voss, «
la carte syndicale est le principal passeport pour une véritable
existence sociale » : sans carte syndicale, pas de couverture sociale !
Mais n'allez pas croire qu'il soit si facile que cela de se syndiquer ou
de le rester : « L'appartenance à un syndicat est un statut que l'on
obtient (et que l'on défend) site par site et entreprise par entreprise,
par un processus quasi indépendant ». il existe donc aux Etats-Unis des
milliers de sections locales fonctionnant comme elle le décide, plus ou
moins reliés aux 64 syndicats nationaux qui existent et sont rassemblés
sous la bannière de l'AFL-CIO.
Faisons un peu d'histoire. Au XIXe siècle, il y avait les Chevaliers du
travail, nés dans les ateliers textile de Philadelphie. Ces chevaliers
radicaux firent de nombreuses grèves, groupèrent jusqu'à 700 000
adhérents, se lancèrent même dans la politique politicienne... et
d'ailleurs ils y sombrèrent.
Cette décrépitude servit les intérêts des syndicalistes de l'AFL beaucoup
plus modéré, très corporatiste : un « syndicalisme gestionnaire ». Les
stratégies développés par les Chevaliers puis, un peu plus tard par les
IWW, les fameux Wobblies » ne pouvaient que les effrayer. Les wobblies
proclamaient « nous sommes tous des dirigeants », se lançaient dans des
grèves dures, mobilisaient les travailleurs les moins qualifiés et
revendiquaient bien haut leur marginalité sociale et politique. On
comprend dès lors un peu mieux pourquoi patronat et AFL furent souvent
associés pour liquider toute présence de wobblies dans les entreprises.
Dans les années 1930 émergea du secteur de l'industrie la CIO. Celle-ci
accomplit dans ses premières années un travail remarquable : grèves
générales, sur le tas, grèves de solidarité... les années 1930 furent des
années de fortes tensions sociales et de fortes conquêtes sociales. Puis
arriva la guerre, et en temps de guerre, on ne badine pas avec... la paix
sociale ; puis, arrivèrent la guerre froide et le maccarthysme virulent.
En 1947, la loi Taft-Hartley, au nom de l'anticommunisme, mit au rencard
les lois qui avaient permis au syndicalisme de se développer
numériquement et de s'installer durablement dans le paysage : « Depuis
1947, vingt états, pour la plupart dans le Sud ou le Midwest, ont
promulgué ces lois du « droit du travail » qui rendent extrêmement
difficile le maintien de syndicats. Les grandes entreprises américaines,
en quête de lieux sans régulation ni syndicats et où, en conséquence, les
salaires sont bas, se sot depuis longtemps installés dans ces Etats dits
du « droit du travail », sortes de « républiques bananières »
intérieures, qui représentent aujourd'hui une partie importante du
territoire américain ». En 1955, AFL et CIO s'unirent pour le meilleur et
pour le pire : les dirigeants de la nouvelle
organisation unique, bien installés dans le syndicalisme gestionnaire se
firent les supporters inconditionnels de la politique du patronat et de
la classe politique américaine, voire même de la CIA, puisqu'au nom du «
syndicalisme libre », l'AFL-CIO aida à la liquidation des syndicats de
gauche, notamment en Amérique latine. Bref, durant plusieurs décennies,
le paysage sembla paisible : le syndicalisme était domestiqué, certes,
mais le boom économique favorisait parallèlement la naissance d'une
classe moyenne consumériste en diable.
A partir des années 1970 et 1980, la tendance s'inversa. La crise
fragilisa le pouvoir d'achat des travailleurs et l'AFL-CIO dut sortir de
sa torpeur pour défendre les intérêts de ses adhérents. Or, les temps
avaient changé. La vulgate libérale ne désirait même plus composer avec
un syndicalisme mou. Bien souvent, en s'appuyant sur le droit du travail,
le patronat parvînt même à se débarrasser des syndicats présents dans les
entreprises. Bref, à la fin du dernier siècle, le paysage social
américain pouvait se présenter comme suit : un patronat vorace, des
salariés précarisés, des syndicats liquidés et des directions syndicales
corrompues et inactives. En 1995, ce qui devait arriver n'est pas arrivé.
A la tête de l'AFL-CIO s'est installé un triumvirat qui entendait rompre
avec la docilité de ses devanciers. N'en faisons pas des
révolutionnaires. Ils se sont tout simplement appuyés sur tous ceux qui
étaient négligés par les anciens bureaucrates repus : les femmes, les
minorités ethniques et certains syndicats historiquement contestataires.
Pour changer profondément l'AFL-CIO, cette équipe dirigeante peut compter
sur de nombreux militants de la gauche américaine qui sont favorables à
une politique de recrutement. Alors qu'auparavant, la direction ne se
préoccupait que des syndicats existants, les nouveaux syndicalistes
entendent pénétrer des milieux qui leur étaient fermés, amener au
syndicat des travailleurs peu diplômés, en situation de grande précarité.
Celles et ceux qui ont vu Bread and Roses de Ken Loach voient de quoi je
veux parler. Ces nouveaux syndicalistes entendent également redynamiser
ce que l'on appelle en France l'Interprofessionnelle et là-bas, les
Central Labor Councils, mais également faire en sorte que les syndicats
se joignent à d'autres forces de contestation, comme les groupes
communautaires. Ces nouveaux syndicalistes, souvent issus de
l'université, luttent également pour que des liens plus étroits se nouent
entre les syndicalistes d'un côté et les intellectuels : « alors que les
dirigeants des générations
précédentes n'avaient que mépris pour les intellectuels et les militants
de gauche, du fait de l'immense fossé qui séparait leur cultures et leurs
expériences respectives, nous disent Fantasia et Voss, les nouveaux
militants sont plus à l'aise avec eux parce qu'ils partagent un même
capital culturel et une même expérience de la lutte sociale ».
Evidemment, cette nouvelle stratégie se heurte à deux inconvénients
majeurs :
- tout d'abord, au sein de l'AFL-CIO, les syndicats réactionnaires voient
d'un mauvais ¦il les gauchistes leur faire la leçon ; et comme chaque
structure syndicale est très indépendante, cette nouvelle stratégie n'est
pas accueillie et appliquée partout : « seuls 10 des 64 syndicats
affiliés à l'AFL-CIO ont accepté d'adopter une politique de recrutement
plus agressive » nous disent Fantasia et Voss.
- Ensuite, l'histoire nous enseigne que « le patronat américain a
toujours très bien su s'adapter aux tactiques syndicales. Il peut
s'appuyer sur un droit du travail qui leur est très favorable d'une part,
et sur la situation actuelle où la récession et la paranoïa liées aux
événements du 11 septembre 2001 rendent la tâche des syndicalistes encore
plus difficile qu'auparavant.

Pour conclure, je laisserai de nouveau la parole à Fantasia et Voss : «
nous pouvons raisonnablement dire que le mouvement syndical, même s'il
est en position de faiblesse, présente aujourd'hui une image différente ;
il est composé d'une constellation de groupes, d'institutions et de
mouvements, préoccupés principalement par des questions concernant la
justice sociale. Cela signifie-t-il qu'il parviendra à renverser les
énormes obstacles qui l'empêchent d'exercer un réel pouvoir sur la
société américaine ? Ce n'est pas sûr, mais la question reste ouverte. Ce
qui importe c'est que, pour la première fois depuis bien longtemps, on
peut penser qu'une telle chose est possible ».

Rick Fantasia / Kim Voss « Des syndicats domestiqués ­ Répression
patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis », Ed. Raisons d'agir,
2003, 8 Euros.

Patsy <patsy.cht@wanadoo.fr>


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