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(fr) Coup de gueule à propos du Larzac 2003

From "libertaire17" <libertaire17@wanadoo.fr>
Date Tue, 19 Aug 2003 21:23:51 +0200 (CEST)


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Coup de gueule à propos du « Larzac 2003 »

A l'intention de ceux qui envisageraient de construire un « autre monde »

Après une année de mobilisation intense qui a vu se succéder et parfois
converger des mouvements contestataires, il semblait bien-entendu
légitime que nous nous retrouvions en grand nombre sur le causse afin
d'échanger les points de vue, travailler sur les convergences entre nos
luttes, préparer celles à venir et bien faire comprendre aux décideurs
politiques et économiques que nous sommes une force politique
incompressible, mobilisée et capable d'organiser son action.

Au moment où beaucoup se réjouissent d'une telle mobilisation (150 à 200
000 participants), certains d'entre nous sont choqués (d'autres ne
s'étonnent plus) de ce qu'ils ont pu voir et vivre lors du rassemblement
du « Larzac 2003 » .
J'aimerai donc soulever quelques questions, parfois sur un ton un peu
excédé il est vrai (c'est un « coup de gueule »).

Qu'avons nous montré à ceux que nous désirions toucher ?
Quelle image avons nous donné à nos détracteurs et aux tenants des
idéologies que nous combattons ?
Et surtout, quel autre monde avons nous construit pendant ces 3 jours ?

Donneur de leçon.

C'est pour ça que je vais passer en balançant ce texte. Avec quelques
personnes nous avons organisé une manif autour des slogans LE
RASSEMBLEMENT DU LARZAC N'EST PAS UN FESTIVAL et NON A LA
MARCHANDISATION DE « LARZAC 2003 ». Beaucoup de gens avaient l'air de
très bien comprendre ce que nous voulions dire, d'autres nous ont demandé
ce que nous entendions par marchandisation. Il suffisait de regarder
autour de soi je crois. Certains diront qu'on ne peut pas vivre sans
argent. Faut-il pour autant transformer nos rassemblements en foire au
pognon ? Certains m'ont reproché lors de cette « manifestation » de ne
pas avoir pris part à l'organisation du rassemblement, sous-entendant que
je n'avais donc pas voix au chapitre. Le problème du rassemblement du
Larzac, c'est qu'il devient une vitrine de la contestation. Là, par
vitrine, j'entends ce que l'on perçoit du monde militant.
Et moi en tant que militant, je n'ai pas envie qu'on me ressorte les
contradictions flagrantes entre les propos alter-mondialistes et le
fonctionnement réel de leurs rassemblements.
En tant que personne ayant envie d'un autre monde, j'ai le droit, et même
le devoir de protester quand je vois des conneries qui discrédite la
faisabilité de cet autre monde.
En tant que personne, je gueule quand on me prend pour un con.
Il n'a pas fallu longtemps à certains bénévoles pour comprendre que leurs
possibilités d'actions pour organiser les choses de manière plus
cohérente et efficace était plus que limitée dans un système bien
bureaucratisé et au mode de fonctionnement déjà bien lancé.
En essayant de trouver un interlocuteur pour discuter du problème de la
distribution de l'eau, j'ai vite compris que c'était comme d'habitude :
les mecs aux talkies-walkies te disent que tout va bien ou qu'ils ne
savent pas qui est responsable, ou bien ils disent qu'ils s'en occupent
et tu les revois plus. Il n'y a pas que le stand PS qui mériterait d'être
démonté.
J'ai vite compris que je m'étais trompé d'endroit et qu'il était hors de
question que je sois bénévole dans ce genre de lieu. Par contre j'avais
bel et bien le devoir d'y faire entendre mon désarroi.

Pour un autre Larzac

Quelques jours avant le rassemblement, 2 ou 3 personnes ont lancé sur le
réseau un texte soulevant le problème du disque de la Confédération
Paysanne distribué par la FNAC. Les gars ont pu organiser un forum sur le
thème « pour un autre Larzac ». J'ai pris la parole au cours de ce forum
pour appeler à la création d'un comité pour la ré-appropriation du
rassemblement du Larzac. Je m'explique.

Un processus constant : la perte de sens.

La crainte des organisateurs de ce forum est bien légitime et très
lucide. Il paraît clair qu'au-delà de la récupération qui nous attend à
chaque coin de rue, le fait de faire appel à la FNAC pour distribuer le
CD de la Confédération Paysanne sur la jaquette duquel on remercie Sony
et
Universal Music, d'organiser le FSE dans des locaux de Pathé-Gaumont, de
demander des financements à n'importe qui, c'est se mettre en
contradiction avec nos propos et nos desseins. Les réseaux alternatifs et
indépendants sont fragiles mais ils existent. Si c'est pour leur défense
que nous nous battons, pourquoi ne pas les faire fonctionner et les
mettre en avant ? Si nous ne les faisons pas vivre, qui le fera ? Que
penser de tout cela quand Co_errances met en place un mouvement des
non-alignés pour débattre et développer des moyens de production,
d'édition et de
distribution indépendants ?
Dans le même ordre d'idée, vouloir donner des allures de grand festival
de ralliement au rassemblement du Larzac peut rapidement amener ses
organisateurs à faire des compromissions sur le financement et
l'organisation qui iraient à l'encontre de ces autres mondes dont nous
revendiquons le possible. Le rassemblement du Larzac étant un lieu de
vie, y appliquer nos modes de vies alternatifs me semblait être un
minimum. En lançant ce comité, nous avions dans l'idée, 2 amis et moi, de
faire perdurer cet espace de réflexion sur le sens d'un rassemblement tel
que « Larzac 2003 » et d'agir rapidement pour sensibiliser les
participants sur le danger qui nous guettent, nous, nos modes d'action en
général et ce lieu de lutte en particulier : la perte de sens.
Comme dans tout collectif, il est apparu au sein de ce « comité »
certaines divergences d'opinions. La nécessité d'agir rapidement et le
peu de temps qui nous était imparti pour débattre et nous structurer a
fait que nous ne sommes restés qu'un petit groupe restreint (en moyenne
une dizaine) toujours hésitant sur la radicalité de nos actions et de nos
propos.
Et par conséquent le contenu du présent texte n'engage que moi.

Un grand spectacle.

Le lapsus apparut plusieurs fois. On parle de festival. Le festival du
Larzac ? Tiens donc, je pensais qu'il s'agissait d'un rendez-vous
militant. il est vrai que c'est le trentième anniversaire de la première
mobilisation, l'ambiance se devait donc d'être particulièrement festive.
Je n'ai rien contre les rassemblements festifs, bien au contraire, si
nous construisons un autre monde, il n'est pas question de nous y faire
chier. Mais la tournure que cela prend mérite d'être discutée. La fête
serait donc obligatoirement synonyme de grandes stars, de grandes scènes,
de gourous avec leurs adeptes ?
Nos détracteurs auront tôt fait de nous renvoyer dans la gueule le Star
System du Larzac 2003.
Je me faisais une autre idée de cet autre monde, et le construire, pour
moi, c'est le vivre ici, maintenant sans attendre un quelconque Grand
Soir.
Une autre fête est possible, avec des artistes dédéifiés, redevenus des
hommes comme les autres, des groupes qui se forment, discutent,
échangent, sans être étouffés par les watts. La fête des autres artistes,
de cette autre culture, riche dans sa diversité, riche dans sa proximité
pour laquelle se battent aussi les intermittents du spectacle.
Que signifient ces grandes scènes à l'heure où les intermittents se
demandent dans le déchirement s'il faut jouer ou pas et que bon nombre
d'entre eux vont vers le blocage de ces grands festivals pour provoquer
le débat, vont vers la grève pour organiser leur lutte ? Où donc était le
respect de leur mouvement ici ? Ici, on a fait comme si de rien n'était.

Tiens j'étais venu avec un masque à gaz et des citrons.

Et qu'avons nous fait pour les militants et tous les autres qui restent
incarcérés, qui sont inculpés. La criminalisation, à la mode depuis
quelques temps, n'a pas touché que José Bové. Lui est dehors maintenant,
mais il reste tous les autres.
Alors oui la fête me laisse un goût amer, a fortiori quand aucune action
ne se met en place. Pas besoin d'être 100000 pour aller visiter un champ,
un MacDo ou une prison, et pourtant, là nous étions le double et nous
n'avons rien fait, rien. L'AGCS s'en est bien tiré, nous aurions pu aller
le populariser sur l'autoroute, toutes les caméras étaient sur nous. Non,
nous avons attendu que les journalistes daignent pointer leurs nez dans
les forums et retranscrivent ce qu'ils comprendront, ce qu'ils choisiront
du discours de Bové. Qu'on ne s'étonne pas non plus si les médias
préfèrent montrer le concert de Manu Chao.
« On a fait mieux que les paysans il y a trente ans », ceux qui tiennent
de tels propos mériteraient de se faire réveiller à coup de fourche. A
l'époque, face aux militants, il y avait l'armée, il y avait une lutte
sur le causse. Aujourd'hui, sur le causse, il y a du spectacle.
Applaudissons, tous. Nous avons réussi à transformer un lieu de combat en
lieu d'orgie. Gloire à nous. Joli palmarès au tableau des
alter-mondialistes. Unissons-nous dans l'euphorie des paillettes,
célébrons l'avènement d'un nouvel être social : le décérébré
strass-contest. Je pollue mais c'est au nom de l'écologie. J'achète un
T-shirt pour dire qu'il faut consommer moins. Plus rien n'a de sens. Mais
voilà un nouveau style dans lequel une jeunesse sans cerveau va pouvoir
puiser son identité. La mode est à la politisation. Le problème c'est
qu'être politisé, c'est se poser des questions, la première étant « quel
est le sens de mes actes ? ».
Invitons plus de stars « engagées » ou pas, rameutons 500000, 1 million
de personnes à qui l'on sert « la contestation sur un plateau » . Pas de
problème, vous pouvez avoir bonne conscience, vous avez fait votre
pèlerinage au Larzac.
Qu'on se le dise, il n'y a plus rien à craindre de ce rassemblement, la
Terre entière pourra bien s'y retrouver, elle n'y fera que boire des
bières et les paroles de son prophète. Messieurs les décideurs, vous avez
relâché José, nous aurions pu vous montrer que nous ne sommes pas dupes,
mais non, nous vous remercions bien bas, nous allons faire la fête et
nous ne vous embêterons pas.

La tyrannie du toujours plus nombreux.

Qu'est-ce donc que cette folie des grandeurs ? Bien évidemment, il y a
eu, de la part des organisateurs, la volonté de rassembler pour démontrer
que la contestation est nombreuse. La volonté d'organiser le soutien à
José Bové. Et bien nous avons été nombreux mais à quel prix ? Les
organisateurs se sont dits surpris puis dépassés par le grand nombre.
Qu'y a t'il de surprenant quand on sait que les concerts de Manu Chao et
d'Asian Dub font se déplacer les foules par dizaines de milliers de
personnes ?
Quelle est la valeur dans ces conditions de ce chiffre de 200000
personnes ? Peut-on vraiment être surpris quand on organise un
rassemblement à la manière d'un festival, que celui-ci prenne en effet
l'aspect d'un festival ? avec ce qu'il peut avoir de plus décadent.
Peut-on s'étonner, quand on génère une telle concentration de personnes,
un tel « marché potentiel », de voir débarquer les marchands de
malbouffe, de coca, de biscuits LU et de tabac ?
Peut-on s'étonner même de voir des organisations militantes servir leurs
assiettes entre 4 et 6 ? ?
Ici, on est venu faire du business.
Un distributeur de fric est là pour nous y aider.
Parce qu'ici on a créé pendant 3 jour l'équivalent d'une cité urbaine,
avec sa pollution, son ingérabilité, ses dérives, ses clochards qui font
les poubelles (et oui) .
Ce n'est pas pour rien que, dans ces « autres mondes possibles » pour
lesquels nous luttons, le développement de l'économie locale tient une
place importante. C'est parce que dans le petit groupe, la communauté à
taille humaine, réside la possibilité de l'autogestion, du rétrocontrôle,
du dialogue, de l'organisation autonome.
Soyons clairs, il est hors de question que la qualité de notre
organisation, que le cour même des modes de vies que nous défendons
soient mis à mal au profit du grand nombre et de la recherche de
ralliement. Intolérance ? Il y a des choses qu'un alter-mondialiste ne
peut pas tolérer. je crois.

Cet autre monde n'est pas le notre.

Ce que nous avons montré pendant ces 3 jours, c'est que nous n'étions pas
plus capables que le monde libéral d'organiser une distribution
démocratique de l'eau. Ressource essentielle et vitale, surtout par cette
chaleur.
Ceux qui en avaient les moyens achetaient leur bouteille 1 ? voir 2,50 ?
en période de pénurie, les autres faisaient la queue aux citernes pendant
parfois plus de 3/4 d'heure sous le cagnard. Sur le camp, ce problème
devient presque un sujet tabou, « la région manque d'eau ». Certes. Et
quand bien même, les pacs ne manquaient pas, si la logistique de ce
rassemblement coûtaient cher, il était scandaleux que son financement se
fasse sur la vente d'eau. Mais le prix prohibitif de la bouteille d'eau
était peut-être bien un moyen trouvé pour en modérer la consommation. Si
les ressources en eau de la région posaient problème, encourager la venue
d'autant de personnes sur le site était criminel. Si l'arrivée de
personnes pouvait être stoppée, c'est bien avant qu'elle aurait dû
l'être.

Apprendre à vivre autrement.

Si mon désarroi est grand, c'est que je pensais vraiment entrevoir la
construction d'un autre monde sur le Larzac, la mise en application de
principes simples instituant des rapports différents entre les individus
et entre les individus et leur milieu.
Rapidement la boue se forme au bas des robinets des citernes. La
récupération d'eau est un réflexe que nous devrions assimiler rapidement.
Une technique assez efficace est d'intercaler un récipient entre le trou
d'évacuation et le sol (balaise). Une citerne de récupération à coté et
l'affaire est réglée. Les paysans du coin auraient sûrement su quoi en
faire.
Une autre curiosité du camp étaient ces toilettes (chimiques ?) qui n'ont
mis qu'une journée à se boucher et dégager une bonne odeur de marée. Les
toilettes sèches existent, écologiques, compostables, pédagogiques, un
exemple pas si compliqué et éloquent pour faire comprendre qu'on peut
agir intelligemment même avec son trou du cul.
Non finalement, à ma connaissance, les seuls à nous avoir fait vivre un
autre possible, ce sont les anars, c'est à dire la cantine autogérée, et
le car de la Vieille Valette. Ces deux groupes ont institué le prix libre
dans leur fonctionnement, permettant à bon nombre d'entre nous de pouvoir
se nourrir pour des sommes raisonnables et adaptées et ainsi de ne pas
mettre un terme prématuré au séjour pour des raisons d'argent ! Ces mecs
là ont mis un claque à tout le monde. Le prix libre incite à devenir
responsable en consommant, à se poser la question de la réelle valeur de
la marchandise, du travail et de l'argent.
Finalement, des gens, des communautés qui instaurent un mode de vie
alternatif, il y en a peut-être plein nos campagnes. Ils ont certainement
un grand nombre de choses à nous apprendre. Il n'y aura rien d'étonnant à
ne pas les voir dans ce genre de foires.

La solution à tous les problèmes de dysfonctionnement : l'appel à la
solidarité.

On pouvait en effet parler de « tous ensemble », mais du « vivre ensemble
», c'était déjà plus audacieux. Vivre ensemble, ça se pense, ça s'appelle
l'autogestion, et cela suppose au départ d'encourager les initiatives
individuelles, de favoriser la vie communautaire, le dialogue, la
responsabilisation de chacun par sa participation effective et lisible
dans la vie de la communauté. Organiser cette masse de personnes en
petites communautés, chacune gérant son eau, ses déchets, ses places de
camping pour faire des zones d'ombre sous le soleil, aurait peut-être été
possible (à condition de penser ce rassemblement différemment). C'est
peut-être aussi cela lutter contre un mode de vie consumériste.
Qu'on arrête avec ces appels à la solidarité. Si à chaque fois qu'on met
en place une organisation déresponsabilisante il faut demander aux uns,
par pure charité chrétienne, de réparer les conneries des autres, on
risque de voir nos rangs désertés par ceux en recherche d'une autre au
logique et se remplir d'autres en quête d'une nouvelle religion, sans
grand sens critique. Réparer les pots cassés dans un système incohérent,
c'est ce qui se fait déjà tous les jours autour de nous, et c'est ce
contre quoi nous luttons je crois.

Peut-être en effet que je suis un donneur de leçon et que je n'ai rien de
consistent à proposer. Cela ne doit pas me faire fermer les yeux sur ce
que je vois de dangereux. Ce rassemblement du Larzac peut apparaître aux
yeux d'une majorité comme étant une réussite, pour ma part, il est le
révélateur de nos lacunes, de nos incohérences sur lesquels il
conviendrait de réfléchir ensemble dès maintenant si nous ne voulons pas
tous passer pour des rigolos.

Martin

agate@no-log.org


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