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{Info on A-Infos}
(fr) L'Irak, c'est juste un tour de chauffe
From
Manuel Baptista <veve@netcabo.pt>
Date
Tue, 15 Apr 2003 22:05:08 +0200 (CEST)
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A G E N C E D E P R E S S E A - I N F O S
http://www.ainfos.ca/
http://ainfos.ca/index24.html
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[ interview de Naom Chomsky repris du site de Sisyphe :
http://sisyphe.levillage.org/article.php?id_article=437 ]
dimanche 13 avril 2003
"L'Irak, c'est juste un tour de chauffe"
Entretien de Noam Chomsky avec V. K. Ramachandran
par Noam Chomsky
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Noam Chomsky, professeur au Massachusetts Institute of
Technology, fondateur de la linguistique moderne et figure de
proue de l'engagement politique, est une « locomotive » du
militantisme anti-impérialiste aux Etats-Unis. Le 21 mars 2003
est une journée typiquement 'chomskienne', combinant une intense
activité politique et recherches scientifiques. Pourtant Chomsky,
depuis son bureau, accorde un entretien d'une demi-heure à V. K.
Ramachandran sur le déclenchement des hostilités en Irak. Selon
Chomsky, "la doctrine de guerre préventive a été explicitement
exposée dans le rapport sur la stratégie nationale en matière de
sécurité paru en septembre 2002. Ce rapport a fait frémir le
monde entier, y compris l'establishment américain, au sein duquel
l'opposition à la guerre est inhabituellement forte. Le rapport
sur la stratégie nationale de sécurité indique clairement que les
Etats-Unis vont dominer le monde par la force, le seul domaine où
ils règnent en maître absolu."
ENTREVUE
VK Ramachandran : Est-ce que l'agression contre l'Irak est le
prolongement de la politique internationale pratiquée par les Etats
Unis ces dernières années ou correspond-elle un nouveau stade
qualitatif ?
Noam Chomsky : Il s'agit bien d'une nouvelle phase. Pas sans
précédent, mais incontestablement une nouvelle étape.
Il faut être bien conscient qu'il ne s'agit encore que d'un « tour
de chauffe ». L'Irak est perçu comme une cible facile et totalement
sans défense. On suppose, sans doute à juste titre, que la société
irakienne va s'effondrer, que les troupes américaines vont investir
le pays et que les Etats Unis vont prendre le contrôle et établir
des bases militaires et le régime de leur choix. Ils pourront
ensuite passer aux pays suivants, qui posent plus de difficultés.
Les prochains sur la liste pouvant être la région des Andes, ou
l'Iran, ou d'autres encore.
La doctrine de la guerre "préventive"
Ce tour de chauffe est effectué dans le but d'expérimenter puis
d'instaurer ce que les Etats-Unis appellent une « nouvelle norme »
dans les relations internationales : celle de la « guerre
préventive » (Vous remarquerez que les nouvelles normes sont
instaurées uniquement par les Etats-Unis). Ainsi, par exemple,
lorsque l'Inde a envahi l'est du Pakistan pour mettre un terme à
d'épouvantables massacres, elle n'a pas institué une nouvelle norme
de l'intervention humanitaire, parce qu'elle a le tort de ne pas
être du côté du bien, et qu'en outre, les Etats-Unis s'étaient
vigoureusement opposés à cette action.
La guerre en Irak n'est pas une guerre de défense anticipée
('pre-emptive') et la différence est considérable. Une telle guerre
a un sens ; pour l'illustrer, si des avions survolent l'Atlantique
avec comme objectif de bombarder les Etats-Unis, ces derniers ont
le droit de les abattre avant même qu'ils ne larguent leurs bombes
et sont autorisés à riposter contre les bases aériennes d'où
proviennent ces bombardiers. La guerre préemptive est une réponse à
une attaque imminente ou en cours.
La doctrine de guerre préventive est totalement différente ; elle
sous-entend que les Etats-Unis et eux seuls ont le droit d'attaquer
n'importe quel pays qu'ils estiment potentiellement dangereux pour
eux.
Si les Etats-Unis déclarent, pour quelque raison que ce soit, que
quelque pays que ce soit peut, à un moment donné, constituer une
menace, alors ils sont en droit de l'attaquer.
La doctrine de guerre préventive a été explicitement exposée dans
le rapport sur la stratégie nationale en matière de sécurité paru
en septembre 2002. Ce rapport a fait frémir le monde entier, y
compris l'establishment américain, au sein duquel l'opposition à la
guerre est inhabituellement forte.
Le rapport sur la stratégie nationale de sécurité indique
clairement que les Etats-Unis vont dominer le monde par la force,
le seul domaine où ils règnent en maître absolu. En outre, cette
domination s'exercera pour une durée illimitée, car à l'émergence
d'une potentielle menace sur cette position dominante des
Etats-Unis, ils l'élimineront avant même qu'elle ne devienne
réelle.
Comment on crée une nouvelle norme
La guerre en Irak est la première mise en application de cette
doctrine. Si elle est menée à bien suivant les termes de la
nouvelle norme, ce qui sera probablement le cas vu le peu de moyens
dont dispose pour se défendre la cible visée, alors les juristes
internationaux et les intellectuels occidentaux, entre autres, vont
commencer à parler d'une nouvelle norme dans les affaires
internationales. Il est primordial pour un pays qui souhaite
dominer le monde par la force dans un avenir prévisible d'ériger
une telle norme.
Cela n'est pas sans précédent mais reste extrêmement rare. Je
mentionnerai juste l'un de ces précédents, pour montrer à quel
point le spectre est étroit. En 1963, Dean Acheson, qui était un
homme d'état chevronné très respecté ainsi qu'un vétéran parmi les
conseillers de l'administration Kennedy, a fait une allocution
importante devant l'Americana Society of International Law, dans
laquelle il justifiait l'attaque des Etats-Unis contre Cuba. Le
raid opéré par le gouvernement de l'époque sur Cuba rentrait dans
le champ du terrorisme international à grande échelle et de la
guerre économique. Le moment choisi était judicieux - juste après
la crise des missiles, alors que le monde avait frôlé une guerre
nucléaire terminale. Dans son discours, Acheson affirmait plus ou
moins en ces termes qu' « aucune question de légalité ne se pose
lorsque les Etats-Unis répondent aux contestations de leurs
orientations, leur prestige ou leur autorité ».
C'est également l'un des principes de la doctrine Bush. Bien
qu'Acheson ait été un homme politique important, sa prise de
position n'avait pas été la politique officielle du gouvernement
dans la période d'après guerre. Elle l'est devenue, et la guerre en
Irak en est la première illustration. Cette dernière a comme
objectif de fournir un précédent. De telles « normes » sont
établies quand une puissance occidentale passe à l'action, pas
quand d'autres agissent. Attitude inhérente au racisme ancré dans
la culture occidentale, prenant ses racines si profondément dans
des siècles d'impérialisme qu'il en est inconscient.
Aussi je pense que cette guerre est une nouvelle phase importante
de la politique internationale, et c'était d'ailleurs un de ses
objectifs.
VK Ramachandran : Est-ce également une nouvelle phase dans le sens
où les Etats-Unis n'ont pas réussi à convaincre d'autres pays d'y
prendre part ?
Noam Chomsky : Ca n'est pas nouveau. Lors de la guerre du Vietnam,
par exemple, les Etats-Unis n'avaient même pas essayé d'obtenir un
soutien international. Néanmoins, vous avez raison dans ce cas
précis, où il est inhabituel de voir le monde ne pas céder à la
pression exercée par les Etats-Unis qui pour des raisons politiques
étaient obligés de forcer les autres pays à accepter ses
conditions. Habituellement, le monde se soumet.
Échec de la coercition, non de la diplomatie
VK Ramachandran : S'agit-il alors d'un « échec diplomatique » ou
d'une redéfinition même de la diplomatie ?
Noam Chomsky : Je ne parlerais même pas de diplomatie. C'est un
échec de la coercition. Vous pouvez le comparer avec la première
guerre du Golfe. Lors de cette guerre, les Etats-Unis ont contraint
le Conseil de Sécurité à adopter leurs orientations, bien qu'une
grande partie du monde s'y soit opposée. L'OTAN a suivi les
Etats-Unis, et le seul pays du Conseil de Sécurité qui ait refusé
de se soumettre - le Yémen - a été immédiatement et lourdement
sanctionné.
Dans tout système légal pris au sérieux, les jugements sous la
contrainte n'ont pas de valeur, mais dans les affaires
internationales gérées par le dominant, ces jugements sont valables
- c'est ce qu'on appelle la diplomatie.
Ce qui est remarquable dans la guerre en cours, c'est le refus
d'obéir à la contrainte. Certains pays - la plupart d'entre eux en
fait - ont fermement défendu la position exprimée par la majorité
de leur population.
Le cas le plus remarquable est celui de la Turquie. La Turquie est
un pays exposé aux punitions et récompenses délivrées par les Etats
Unis. Cependant, le nouveau gouvernement, et ce je pense à la
surprise générale, a suivi l'opinion de 90% de sa population. La
Turquie est sévèrement condamnée pour cette raison, tout comme la
France et l'Allemagne sont sévèrement critiquées parce qu'elles ont
adopté la position d'une majorité écrasante de leurs populations.
Les pays couverts d'éloges aux Etats-Unis, comme l'Espagne et
l'Italie, sont ceux dont les présidents ont accepté de suivre les
ordres de Washington bien que 90% de leur population soit opposée à
la guerre.
Ceci aussi, c'est nouveau. Je ne me souviens pas d'une autre
situation où la haine et le mépris pour la démocratie aient été
aussi ouvertement proclamés, pas seulement par le gouvernement,
mais également par des commentateurs libéraux par exemple. Il
existe maintenant une pléiade d'ouvrages tentant d'expliquer
pourquoi la France, l'Allemagne, la soi-disant « vieille Europe »,
la Turquie et ceux qui refusent de céder aux pressions américaines
tentent de déstabiliser les Etats-Unis. Ces donneurs de leçon ne
peuvent concevoir que ces pays agissent de la sorte parce qu'ils
croient en une démocratie où les gouvernements doivent écouter leur
population lorsqu'une large majorité exprime une opinion. C'est du
mépris réel pour la démocratie, comme ce qui est arrivé aux
Nations-Unies est une marque de mépris total du système
international. Il y a même aujourd'hui des appels lancés - entre
autres par le Wall Street Journal et des membres du gouvernement -
pour dissoudre les Nations-Unies.
La peur des Etats-Unis de par le Monde est extraordinaire. Elle est
tellement profonde qu'elle fait maintenant l'objet de débats dans
les médias traditionnels. Newsweek consacre la première de
couverture de son prochain numéro à la question « Pourquoi le monde
a-t-il tellement peur des Etats-Unis ? ». Il y a quelques semaines
de cela, le Washington Post traitait du même thème en couverture.
Bien entendu, c'est le monde qui est en tort, et certes il y a des
choses qui ne vont pas dans le monde et qu'il nous faut identifier.
Une propagande efficace pour détourner de la politique intérieure
VK Ramachandran : L'idée selon laquelle l'Irak représente un
quelconque danger réel et effectif aujourd'hui, est évidemment sans
aucun fondement.
Noam Chomsky : Personne n'accorde la moindre attention à cette
accusation, sauf la population des Etats-Unis, ce qui est
évidemment intéressant.
Au cours des derniers mois, et cela est très visible dans les
sondages, la propagande médiatique et gouvernementale a été
extraordinairement efficace. Les sondages d'opinion internationaux
montrent que le soutien à la guerre était plus élevé aux Etats-Unis
que dans d'autres pays. Un résultat trompeur cependant car en y
regardant de plus près on s'aperçoit que les Etats-Unis se
démarquaient du reste du monde sur un autre sujet.
Depuis septembre 2002, les Etats-Unis sont le seul pays du monde où
60% de la population croit que l'Irak est une menace imminente -
croyance que ne partagent pas d'autres populations même au Koweït
ou en Iran. En outre, environ 50% de la population des Etats-Unis
est persuadé aujourd'hui que l'Irak est responsable de l'attaque
sur les tours du World Trade Center. Cette croyance est née en
septembre 2002. Après l'attaque du 11 septembre 2001, seulement 3 %
de la population croyait en une responsabilité de l'Irak dans les
attentats. La propagande de l'alliance médias-gouvernement a réussi
à amener ce chiffre à 50%. Car si les gens sont sincèrement
convaincus que l'Irak a mené des opérations terroristes contre les
Etas-Unis et prévoit de recommencer, bien évidemment, ils
soutiendront la guerre.
Cette croyance est donc apparue en septembre 2002, lorsque la
campagne médias-gouvernement ainsi que la campagne pour les
élections de mi-mandat ont démarré aux Etats-Unis. L'administration
Bush aurait été battue à plates coutures aux élections si les
problèmes économiques et sociaux avaient été portés sur le devant
de la scène, mais elle a réussi à occulter ces questions derrière
des problèmes de sécurité - et les gens se sont réfugiés sous
l'ombrelle du pouvoir.
Le pays a été gouverné exactement de la même manière dans les
années 80. Rappelez-vous que les membres de l'administration
actuelles sont quasiment les mêmes que ceux des administrations
Reagan et Bush père. En plein milieu des années 80, ils ont mené
des politiques intérieures aux conséquences catastrophiques pour la
population. Politiques auxquelles celle-ci était d'ailleurs
opposée, comme l'ont montré de nombreux sondages d'opinion.
Mais l'administration de l'époque a réussi à garder le contrôle en
terrorisant la population. Ainsi, l'armée du Nicaragua était-elle à
deux jours de marche du Texas, prête à conquérir les Etats-Unis, et
la base aérienne située à Grenade allait servir aux Russes d'aire
de décollage russe pour bombarder les Etats-Unis. Chaque année, le
même déluge de raisons toutes plus absurdes l'une que l'autre.
L'administration Reagan avait même instauré l'état d'urgence
national en 1985 en réponse à la menace pour la sécurité des
Etats-Unis que représentait le gouvernement du Nicaragua.
Un observateur depuis la planète Mars ne saurait s'il faut en rire
ou en pleurer.
L'administration Bush fait exactement la même chose aujourd'hui, et
va probablement opérer de façon similaire pour les campagnes
présidentielles. Elle aura besoin d'un nouveau dragon à terrasser,
car si elle laisse les questions de politique intérieure émerger,
elle court à sa perte.
L'invasion de Irak encourage le terrorisme international
VK Ramachandran : Vous avez écrit que cette agression guerrière
aura de graves répercussions sur le terrorisme international et la
menace de guerre nucléaire.
Noam Chomsky : Je ne revendique pas la paternité de cette idée. Je
m'en réfère simplement à la CIA, aux autres agences de services
secrets et à pratiquement tous les spécialistes en matière de
relations internationales et de terrorisme. L'administration des
Affaires Étrangères, celle de la politique extérieure, l'étude
menée par l'American Academy of Arts and Sciences et la Commission
spéciale d'enquête Hart-Rudman sur les menaces terroristes pesant
sur les Etats-Unis, tous s'accordent pour dire que cette guerre en
Irak va vraisemblablement renforcer le terrorisme et la
prolifération d'armes de destruction massive.
La raison en est simple : en partie pour se venger, mais aussi
simplement pour se protéger. Il n'existe aucun autre moyen
d'autodéfense contre une attaque des Etats-Unis. Finalement, les
Etats-Unis ont été très clairs sur ce point et donnent au monde une
leçon profondément ignoble. Comparez la Corée du Nord avec l'Irak.
L'Irak est un pays faible et sans défense ; c'est en réalité le
régime le plus fragile de la région. Même si à sa tête règne un
monstre cruel, l'Irak ne représente une menace pour aucun autre
pays. Par contre, la Corée du Nord est une menace réelle.
Mais la Corée du Nord n'est pas attaquée pour une raison évidente :
elle possède des armes de dissuasion nucléaire. Une batterie de
missiles sont pointés sur Séoul, et si les Etats-Unis attaquent la
Corée du Nord, cette dernière peut rayer de la carte une grande
partie de la Corée du Sud.
En fait, les Etats-Unis s'adressent de la manière suivante aux
autres pays du monde : « Si vous êtes sans défense, nous vous
attaquerons quand nous le déciderons, mais si vous avez des armes
de dissuasion, nous nous retirerons, parce que nous ne choisissons
que des cibles sans défense. » En d'autres termes, les Etats-Unis
incitent les autres pays à développer leur réseau terroriste et des
armes de destruction massive ou toute autre arme de dissuasion,
faute de quoi ces derniers pourraient s'exposer à une « guerre
préventive ». Pour cette seule raison, la guerre en Irak est
susceptible d'accentuer la prolifération non seulement du
terrorisme mais également des armes de destruction massive.
VK Ramachandran : Selon vous, comment les Etats-Unis vont-ils gérer
les conséquences humaines - et humanitaires - de la guerre ?
Noam Chomsky : Personne ne le sait, bien évidemment. C'est pourquoi
les honnêtes gens n'ont pas recours à la violence - simplement
parce que personne ne sait qu'elles seront les conséquences d'une
guerre. Les organisations humanitaires et médicales qui travaillent
en Irak ont souligné que les répercussions peuvent être
désastreuses. Tout le monde espère que ce ne sera pas le cas, mais
le conflit pourrait avoir une grave incidence sur des millions de
personnes. Utiliser la violence, même quand la possibilité existe,
est un acte criminel. La catastrophe humanitaire était déjà une
réalité avant que la guerre ne soit déclenchée. Selon de prudentes
estimations, dix années de sanctions économiques ont tué des
centaines de milliers de personnes. S'il y avait la moindre trace
d'honnêteté dans l'administration américaine, elle commencerait par
dédommager l'Irak du tort que ces sanctions ont causé. La situation
était identique lors des bombardements sur l'Afghanistan, dont nous
avons tous deux parlé à l'époque. Il était évident alors que les
Etats-Unis n'enquêteraient pas sur les conséquences de ces
bombardements.
VK Ramachandran : ...et n'engageraient aucun moyen financier
nécessaire aux réparations.
Noam Chomsky : Oh non. D'abord, la question n'est pas posée, et
personne n'a la moindre idée de ce qu'ont été les dégâts provoqués
par les bombardements dans une grande partie du pays. Ensuite,
aucune subvention n'est dégagée. Finalement, l'évènement n'est plus
d'actualité et plus personne n'y prête attention. En Irak, les
Etats-Unis vont mettre en scène le spectacle de la reconstruction
humanitaire et mettre en place un régime qu'ils qualifieront de
démocratique, c'est-à- dire qu'il obéira aux ordres de Washington.
Puis ils se moqueront de ce qui peut se passer ensuite, et
passeront au pays suivant.
VK Ramachandran : De quelle manière cette fois encore les médias
ont-ils endossé leur uniforme de petit soldat de la propagande ?
Noam Chomsky : En réalité les médias mènent la danse des supporters
autour de l'équipe nationale. Ce que fait CNN est répugnant - et le
constat est identique dans tous les autres médias. C'est prévisible
en temps de guerre : ils sont aux ordres du pouvoir.
L'organisation du battage publicitaire dont a bénéficié la guerre
est aussi fort intéressante. Que la propagande gouvernement-médias
ait réussi à convaincre la population que l'Irak est non seulement
un danger imminent mais également responsable des attentats du 11
septembre est une prouesse spectaculaire, accomplie, comme je l'ai
indiqué auparavant, en quatre mois. Si vous interrogez des médias à
ce sujet, ils répondront : « Mais enfin, nous n'avons jamais dit
cela » et c'est vrai, ils ne l'ont jamais dit. L'affirmation selon
laquelle l'Irak allait envahir les Etats-Unis ou portait la
responsabilité des attaques du 11 septembre n' a jamais été lancée.
Elle a simplement été instillée, au goutte à goutte, dans l'esprit
du public qui a fini par y croire.
VK Ramachandran : Pourtant, l'opposition est forte. Malgré toute la
propagande, malgré le dénigrement des Nations-Unies, la partie est
loin d'être gagnée pour le gouvernement des Etats-Unis.
Noam Chomsky : Difficile à dire. L'ONU est dans une position
délicate et les Etats-Unis voudront peut-être la démanteler. Je ne
pense pas qu'ils iront jusque-là, mais ils voudront pour le moins
l'affaiblir. Quelle utilité peut-elle avoir si elle désobéit aux
ordres de Washington ?
Une mobilisation pour la paix sans précédent
VK Ramachandran : Noam, vous observez les mouvements de résistance
à l'impérialisme depuis longtemps déjà - Vietnam, Amérique
Centrale, la première Guerre du golfe. Quelles sont vos impressions
sur le caractère, ample et profond, de la protestation actuelle
contre l'agression en Irak ? L'extraordinaire mobilisation sur
toute la planète est très encourageante.
Noam Chomsky : Entièrement d'accord. Il n'y a tout simplement rien
de comparable. L'opposition à travers le monde est énorme et sans
précédent, même au coeur des Etats-Unis. Hier, par exemple, je
participais aux manifestations dans le centre de Boston, aux
alentours du terrain communal. Ce lieu de rassemblement m'est
familier. Ma première intervention publique lors d'une
manifestation organisée à cet endroit s'est déroulée en octobre
1965. Quatre ans après les premiers bombardements américains sur le
Vietnam. La moitié du Vietnam du Sud avait été détruit et la guerre
se propageait dans le Vietnam du Nord. A l'époque, nous n'avions
pas pu manifester en raison d'agressions contre le cortège,
principalement commises par des étudiants avec le soutien de la
presse et de la radio libérales, qui dénonçaient ces femmes et ces
hommes qui osaient protester contre une guerre américaine.
Mais contre l'agression en Irak, il y a eu un fort mouvement de
protestation avant que la guerre ne soit officiellement déclarée
qui s'est manifesté de plus belle le jour où elle a commencé - sans
qu'aucun contre-manifestant n'intervienne. Ce qui constitue une
différence fondamentale. Et sans le facteur « peur » que j'ai
évoqué auparavant, l'opposition à la guerre serait bien plus
importante.
Le gouvernement américain sait qu'il ne peut pas mener une guerre
longue et destructrice comme au Vietnam ; la population ne le
tolérerait pas.
Il n'y qu'une seule façon de mener une guerre aujourd'hui : en
premier lieu, choisir un ennemi beaucoup plus faible que soi, de
préférence sans défense. Dans un deuxième temps, au travers du
système de propagande, faire apparaître la cible comme un agresseur
potentiel ou une menace imminente. Enfin, l'emporter très
rapidement sur le champ de bataille. La divulgation d'un document
important de la première administration Bush de 1989 a permis de
découvrir le mode d'emploi d'une guerre telle que la conçoivent les
Etats-Unis. Il y est dit que les Etats-Unis doivent combattre des
ennemis bien plus faibles, et que la victoire doit être rapide et
décisive pour ne pas éroder le soutien de l'opinion publique.
Cela n'a plus rien à voir avec les années 60, où une guerre pouvait
durer des années sans aucune opposition.
De bien des façons et dans beaucoup de domaines, l'action militante
à partir des années 60 a rendu une grande partie du monde, y
compris les Etats-Unis, bien plus proche d'une humanité digne de ce
nom.
Interview de Noam Chomsky par V. K. Ramachandran
Frontline India (Interview réalisée le 21 mars 2003
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