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(fr) aubanar lautre: l'anarchie, une amie de cinquante ans
Date
Mon, 14 May 2018 08:28:56 +0300
Ce texte, daté du 26 mars, est paru dans https://monde-libertaire.net/. Allez donc vous
promenez sur ce site, une bonne façon de suivre l'actualité avec un regard différent. ----
À celui qui sema une graine d'anarchie dans ma tête de môme. ---- Jef avait neuf ans. Il
apprenait le BL-A-BLA dans une petite école. Le temps des foutues plumes «sergent major»,
des porte-plumes, du corrector avec ses deux flacons, des buvards, sans oublier les pleins
et les déliés. ---- La télé se démocratisait, dans le sens de mise à la portée du plus
grand nombre. ---- Jef était pote avec un petit brun assez rigolard, Luis, qui était un as
du ballon rond. En revanche au niveau scolaire, il collectionnait les matchs perdus à
l'extérieur. L'extérieur de Luis étant l'école tant il semblait chez lui partout ailleurs.
Luis faisait tout pour passer en sixième. Juste pour voir des étoiles dans les yeux du
patriarche.
Le grand-père de Luis avait la peau toute burinée de quelqu'un qui avait passé une bonne
partie de sa vie à l'extérieur, et pas forcément dans de bonnes conditions. Jef le
respectait par crainte de son regard d'aigle. Il ne savait rien de lui, n'était même pas
sur de l'avoir entendu prononcer une seule phrase entière. Il était généralement assis sur
un fauteuil en train de lire le journal ou alors, les deux coudes sur la table, il
écoutait la radio.
Quand Jef allait faire ses devoirs chez Luis, il n'osait pas lever les yeux surtout quand
ils récitaient leurs leçons en bousillant complètement une des deux occupations favorites
du respectable aîné. Luis avait beau lui dire qu'il avait la cote avec avi Angel (pépé
Angel), c'est toujours avec une certaine appréhension que Jef s'approchait du vieil
Ibérique. Il n'allait pas tarder à entendre sa voix rocailleuse.
Le printemps était là depuis un moment, les grandes vacances se rapprochaient. Avant
elles, la remise des prix avec la bise du maire et son haleine à fabriquer des cancres.
Plus que deux mois de classe, bientôt les compositions avec la rituelle dictée tirée d'un
texte sérieux et moralisateur comme toujours.
Perdu au fin fond de la province, le petit village de Jef ronronnait tranquillement bien
loin de se douter de ce qui se jouait dans la capitale et dans de nombreuses grandes
villes. Et puis des nouvelles commencèrent à arriver par bribes. Il était question
d'étudiants, surtout d'un rouquin. Et puis on parlait de manifestations, de pavés, de
barricades, de CRS, d'occupation de la Sorbonne.
Tout ça ne dispensait pas Jef et ses collègues de devoirs bien fournis. Ce qui était
synonyme de gouters chez Luis.
Un jour, en arrivant, les deux potes trouvèrent avi Angel agrippé au vieux poste de radio
«grandes ondes», pas encore la bande FM.. Dès que la réception d'une station laissait à
désirer, il tournait frénétiquement la molette pour vite se caler sur une nouvelle source
d'informations. Il avait les yeux pétillants et sautillait sur place. La radio distillait
des nouvelles de ce qui se passait essentiellement à Paname.
- A las Barricadas! A las Barricadas! por el triunfo de la Confederacion!
Et Jef assista ébahi au spectacle d'un vieil Espagnol dansant une sardane, donnant la main
à des amis invisibles et chantant d'une voix tonitruante.
Et Angel commença à parler et ne s'arrêta plus. La république espagnole, son père, ses
deux frères, ses copains, tous cénétistes. Et puis cette «marde» de Franco. La
collectivisation chez lui en Catalogne. Les rêves fous partagés avec des villages entiers.
Le départ pour le front à 23 ans, un foulard noir et rouge pour cacher la grosse boule
dans la gorge de laisser sa mère et ses soeurs. Le gout de la faim, de la boue, du froid
et du sang. Et la nuit qui s'installe dans les yeux du copain tombé juste à côté de lui.
Et le repli, le départ pour la France «terre d'asile» avec la planque pour éviter les
camps d'internement, et les fragments de nouvelles qui parviennent par bribes. Et toutes
ces personnes - connues et aimées - emportées par la tempête, mortes ou disparues.
- Viva la muerte! Carognes de franquistes de marde!
Et le maquis dans les Alpes avec quelques compañeros. Et la neige aussi froide qu'en
Espagne. La nuit qui s'installe dans les yeux du copain fauché par la balle d'un enfoiré
de milicien français. Encore une fois trop de morts, trop de sang. Quelques rares
survivants. Et puis ce besoin de laisser couler beaucoup d'eau non pas pour oublier, mais
pour faire sans. Trop de chagrins.
Voilà que maintenant ces jeunes venaient agiter la marmite à souvenirs.
- A las Barricadas! A las Barricadas! por el triunfo de la Confederacion!
Vinrent les premiers témoignages de manifestations avec son lot de charges, de lacrymos,
de pavés et de barricades. Les parents de Luis n'avaient pas la télé. Les parents de Jef
en avaient une, Claude Pieplu racontait les Shadoks, Nounours endormait les plus petits.
Les infos étaient réservées aux adultes. Alors pour ce qui se déroulait dans les rues
parisiennes, Jef devait faire appel à son imagination. La dernière barricade qu'il avait
vue sur le petit écran, c'était celle de Marius, de Gavroche. Alors Jef s'imaginait des
jeunes qui se faisaient tirer comme des lapins par des hommes en uniformes. Dans son
imaginaire de môme, les rues de la capitale étaient à feu et à sang. Jabert et ses
collègues faisaient leur sale boulot à la perfection: six cents interpellations le 3 mai,
quatre cents le 6 mai. Il imaginait son petit village de huit cents habitants déserté par
un coup de matraque magique.
Et puis, comme dans les westerns, les grosses organisations syndicales arrivèrent sur
leurs gros chevaux pour être sur la photo. Vers la mi-mai la grève gagna les entreprises.
Le dix-sept fut une date historique pour Jef: l'ORTF était à son tour paralysé et on
diffusa des films pour faire patienter les téléspectateurs. Il n'avait rien contre «Cinq
colonnes à la une» mais grâce aux événements il put découvrir «Crésus» de Giono avec
Fernandel, «Guerre secrète» un film à sketchs très sombre avec Bourvil son idole et
d'autres films oubliés parce que moins marquants.
Il pouvait veiller tard, son institutrice était, elle aussi, en grève. Et comme il n'y
avait plus d'essence, même les tracteurs faisaient la grasse matinée, le boucher ne venait
plus sur la place en klaxonnant à 8h du matin. Seuls quelques coqs faisaient crânement
leur job de réveille-matin. Aucune solidarité avec les grévistes... C'est peut-être le
jaune de leur origine qui leur était resté dans la tronche.
Las, un peu avant la fin du joli mois de mai, Avi Angel cracha sur la route avant de jouer
les oiseaux de mauvais augure:
- Bah! les commounistes, ils vont encore touer la révolucion...
Et il raconta les milices obligées de s'intégrer aux Brigades Internationales farcies de
mouchards à la solde du Komintern. Et l'épisode de la poste centrale de Barcelone en mai
37 lorsque CNT, POUM essayèrent de résister héroïquement face aux staliniens plus
nombreux, mieux armés avant de devoir céder. Et la répression féroce qui suivit. Et les
assassinats, les disparitions des compañeros. Et la continuation de la sale besogne sur le
sol français.
- Staline pour touer la révolucion, il a embrassé Franco la marde sur la bouche. Les
commounistes francés, ils vont sé faire baiser par De Gaulle...
Quelques jours plus tard, Jef fut témoin d'un évènement d'une infinie tristesse: Avi
Angel, le vieux bloc de granit qui avait connu toutes les galères possibles, était en
train de pleurer en silence, sans chercher à se cacher. Il avait entendu au poste qu'un
accord sur le protocole de Grenelle avait été conclu entre syndicats, patronat et
gouvernement.
Avi Angel sortit le mouchoir à carreaux, se moucha bruyamment, regarda les deux mômes en
face de lui tout embêtés et prêt à y aller de leurs larmes.
Alors le vieux guerrier fit un petit sourire forcé et leur dit: «horosement qu'il y a les
commounistes pour faire des connéries sinon on s'ennouierait...»
Exit Mai 68...
Epilogue: Des années plus tard, alors que Jef était allé voir le patriarche...
«Yé dois tou lé dire, yé pris ma carte au parti commouniste...
-???
-Yé vais bientôt finir ma route alors si quelqu'un dois mourir, autant qué sé soit oun
commouniste...»
http://www.aubanar.lautre.net/lanarchie-une-amie-de-cinquante-ans/
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