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(fr) Alternative Libertaire #305 (UCL) - 1832: L'épidémie de choléra, «peur bleue» de la bourgeoisie
Date
Tue, 26 May 2020 16:35:00 +0100
L'arrivée du choléra à Paris en 1832 produisit un choc médical,
politique et social qui marqua durablement son époque. Au-delà du
traumatisme des quelque 18000 morts en moins de sixmois, ce sont les
bases même de la société qui tremblèrent. Après le passage du
choléra-morbus dans la capitale une évidence s'imposa à la bourgeoisie:
il fallait des réformes sociales, au risque de voir triompher les idéaux
révolutionnaires. ---- Décrit par des médecins portugais puis hollandais
depuis le milieu du XVIe siècle, le choléra n'est, en 1830, pas inconnu
des Européens. Mais, endémique au golfe du Bengale, il n'en était guère
sorti avant 1817. Rendons grâce aux armées coloniales de l'Empire
britannique et de la Russie tsariste: elles permirent que s'exprime
pleinement le potentiel mortifère du vibrion cholérique. Le XIXe siècle
va être frappé par six épisodes pandémiques, le dernier ne s'achevant
qu'en 1923. Si la première épidémie (1817-1824) a épargné l'Europe, la
seconde (1829-1837), est favorisée par les incursions britanniques en
Afghanistan, par les guerres de la Russie contre la Perse et l'Empire
ottoman, puis par la répression de l'insurrection polonaise. Entre 1826
et 1831, le choléra franchit ainsi la mer Caspienne et se diffuse en
Russie, puis dans toute l'Europe. ---- Dès 1831, l'arrivée du choléra
semble inéluctable. Mais le pouvoir en place à Paris l'assure, toutes
les mesures nécessaires ont été prises. Le nouveau président du Conseil,
le banquier d'affaires et régent de la Banque de France Casimir Perier -
le même qui réprime, en novembre de la même année, l'insurrection des
canuts lyonnais - est confiant, la France échappera au fléau. En fait,
le choléra fera quelque 18000 morts rien qu'à Paris cette année-là, dont
Casimir Perier qui succombera le 16mai.
La maladie trouve à Paris un terreau propice malgré la mise en place,
fin 1831, d'une Commission centrale de salubrité chargée de rechercher
les causes d'insalubrité des maisons particulières et des maisons
garnies. Car, en 1832 la population parisienne est dans une situation
qui, par bien des aspects, est pire encore qu'en 1789. Manquant d'eau et
de pain, s'entassant dans des logements infâmes et humides, dans des
rues où la lumière ne pénètre guère, le peuple est à l'agonie: «une
populace qui se meurt seule» selon l'écrivain Jules Janin. La
révolution de Juillet 1830, en portant Louis-Philippe sur le trône, a
conforté le poids politique de la bourgeoisie industrielle et
financière, mais n'a guère amélioré le sort de la population. C'est donc
dans une atmosphère post-révolutionnaire, encore passablement explosive,
que la maladie frappe Paris. Le 29 mars 1832, le Journal des débats
s'alarme: «Le choléra-morbus est dans nos murs.[...]Aujourd'hui, neuf
personnes ont été portées à l'Hôtel-Dieu et quatre sont déjà mortes.
Tous les hommes atteints de ce mal épidémique, mais que l'on ne croit
pas contagieux, appartiennent à la classe du peuple.[...]Ils habitent
les rues sales et étroites de la Cité et du quartier Notre-Dame». Le
caractère social de l'épidémie en est dès l'origine une caractéristique
majeure. Si les médecins de l'époque n'arrivent pas à expliquer la
marche de la maladie, une évidence s'impose très rapidement: l'épidémie
semble ne frapper que les «misérables» et épargner les «honnêtes gens».
Les thèses hygiénistes du docteur Villermé sur le caractère social de la
morbidité et de la mortalité vont se vérifier de façon inéluctable.
La «Peur bleue» frappe le prolétariat d'abord
La ségrégation géographique étant moins effective dans les quartiers
commerçants, on comprend assez rapidement que la «peste de la populace»
n'épargnerait personne, que «ce choléra qui est dans les mansardes peut
à tout moment descendre et franchir les trois étages qui le sépare de
vos chambres à coucher». Le choléra se répand alors dans toute la ville,
le nombre des malades explose et les hôpitaux, où la mortalité atteint
45%, ne peuvent rapidement plus faire face à l'afflux des patientes et
patients. Beaucoup meurentchez eux, les cadavres sont chargés sur des
fourgons d'artillerie. La «peur bleue» écourte d'ailleurs la session
parlementaire et nombre de prolétaires, désormais sans emploi, s'en
retournent dans leurs provinces, propageant le choléra malgré eux.
Dès les premiers signes, une violente controverse scientifique s'engage.
Les médecins «contagionnistes» -politiquement plutôt conservateurs et
favorables à l'isolement des malades - s'opposent aux «infectionnistes»,
plus libéraux, favorables aux thèses hygiénistes naissantes, pour
lesquels ce sont les foyers malsains qui jouent un rôle prépondérant
dans l'étiologie de la maladie. Les controverses scientifiques n'étant
pas isolées des questions économiques et sociales, les «contagionnistes»
vont perdre la bataille de l'opinion: en isolant les malades ils sont
accusés de ségrégation. Pire encore, en prônant l'établissement d'un
cordon sanitaire aux frontières et sur les côtes, on leur reproche de
faire entrave au commerce. Les thèses hygiénistes, apparaissant comme
issues d'une médecine moderne, sont alors plus favorablement
accueillies, leur compatibilité avec la continuité du commerce
s'accommodant également d'une vision misérabiliste et paternaliste des
classes populaires.
Pour autant, «contagionnistes» aussi bien qu'«infectionnistes», se
révèlent tout autant incapables de freiner l'avancée de la maladie. Son
caractère violent, soudain -on meurt du choléra le plus souvent en moins
de quarante-huit heures - et épassant les connaissances scientifiques de
l'époque, conforte les interprétations les plus farfelues. Chacun y
trouve de quoi conforter sa vision du monde. Des sermons apocalyptiques
attribuent le fléau à une vengeance divine punissant une «populace»
victime de ses vices, de son gout de la révolution et de l'irréligion:
«ces malheureux meurent dans l'impénitence, mais la colère du Dieu de
justice va croissant et bientôt chaque jour comptera son millier de
victimes. Le crime de la destruction de l'archevêché[durant la
révolution de Juillet]est loin d'être expié».
Le faubourg Saint-Antoine au bord de la révolte
La foule des quartiers populaires, victime à la fois de la maladie et
des mesures de police l'empêchant de gagner de quoi survivre, trouve une
autre explication à cette épidémie. Elle est convaincue qu'on veut
«l'empoisonner». Le faubourg Saint-Antoine se couvre d'affiches: «Le
choléra est une invention de la bourgeoisie et du gouvernement pour
affamer le peuple... Aux armes!» Les obligations sanitaires interdisant
en effet aux chiffonniers de ramasser les ordures, le marché est cédé à
des entreprises privées. Quelque 1800 biffins (selon la police) se
révoltent alors, mettent à sac et incendièrent les entrepôts de
l'entreprise Salvette qui les privés de leur maigre gagne-pain.
Le mécontentement s'amplifie sous l'impulsion de «meneurs» (encore selon
la police), et l'atmosphère émeutière se propage dans de nombreux
quartiers. Elle gagne même la prison Sainte-Pélagie où, dans la nuit du
3 au 4 avril, la garde nationale en profite pour fusiller les
prisonniers politiques mutinés. Il n'en faut pas davantage pour que
l'opposition républicaine y vit la preuve de la collusion entre le
pouvoir et le choléra.
L'inefficacité des traitements médicaux obligea les autorités à traiter
socialement l'épidémie en tentant d'améliorer les conditions de vie des
indigents. Le préfet de police ordonne des distributions de vivres et de
vêtements. Les taudis les plus insalubres sont détruits, des ruelles
fermées. Plus de 20000 logements furent visités et badigeonnés à la
chaux. Deux fois par jour, on déverse de l'eau chlorurée sur les boulevards.
En mai, le choléra reflue mais la ville reste sinistrée, et les
sans-emplois sont légion. Une étincelle suffit à rallumer la flamme de
la révolte. Début juin, deux figures du camp républicain sont inhumées:
le mathématicien Évariste Gallois (membre, avec Auguste Blanqui, de la
Société des amis du peuple dissoute par Guizot) et du général Lamarque,
mort, lui, du choléra. Le 5 juin, le cortège funéraire du général, sous
l'impulsion de meneurs républicains, se pare de drapeaux rouges (et
quelques noirs, comme à la Croix-Rousse à Lyon l'an précédent), et se
mue en manifestation sauvage. Des membres de la garde nationale font
défection et rejoignent les insurgés. Des barricades se dressent et deux
jours d'affrontements féroces opposent les insurgés à l'armée (c'est
l'épisode des barricades narré par Victor Hugo dans Les Misérables).
Rapidement cependant, les leaders bourgeois du camp républicain se
désolidarisent de l'événement, certains s'enfuyant même de Paris... Les
classes populaires ont payé un lourd tribut à la maladie. La commission
médicale nommée en pleine épidémie et composée essentiellement
d'hygiénistes, établit rapidement le caractère socialement différencié
de la mortalité par le choléra. La mortalité des indigents a bondi de
20%. Le rapport Benoiston de Châteauneuf (1834) confirmera l'analyse,
indiquant que toutes les zones de surmortalité «sans exception, sont
situées dans les plus mauvais quartiers, tels que ceux de la Cité, de
l'Hôtel de Ville, ou dans les plus mauvaises rues des quartiers les
meilleurs».
Des études vont démontrer que l'insalubrité a été la cause structurelle
des très forts taux de morbidité (pourcentage de personnes infectées) et
de mortalité (pourcentage de personnes décédées) au sein des classes
populaires en zone urbaine. Les hygiénistes vont alors lancer une
intense campagne en faveur de la salubrité des logements, mais ne
pourront obtenir de mesures coercitives contre les propriétaires de ces
taudis s'enrichissant sur la misère. Il aurait fallu pour cela aller
contre le «sacro-saint» principe d'inviolabilité de la propriété privée.
Légiférer pour calmer le peuple
C'est seulement en 1848, au lendemain de ces journées de Juin où le
prolétariat parisien se dressera à nouveau contre l'ordre établi, et
tandis qu'une nouvelle pandémie frappera l'Angleterre, que la question
de la salubrité reprendra place dans le calendrier politique. Craignant
de nouvelles violences avec le retour du choléra, le gouvernement
Cavaignac multipliera les commissions et mesures visant à rassurer
l'opinion. Comme en 1832, les quartiers les plus populaires seront les
premiers et les plus touchés.
Si l'épidémie de 1849 ne suscitera pas d'émeutes populaires, l'ensemble
de la classe politique sera unanime: l'insalubrité était cause de
désordre - non seulement social et sanitaire mais aussi et surtout moral
- et il est urgent de légiférer sur cette question, au risque qu'elle ne
débouche sur une crise politique et sociale. Sitôt installée, la
nouvelle assemblée examinera une proposition de loi en ce sens, et le
rapporteur du texte, n'en cachera pas l'intérêt moral:«Si l'ouvrier
trouve dans son habitation, non pas l'agrément, mais la propreté, mais
la salubrité, il s'y plaira, il y restera. Au contraire, supposez, ce
qui est malheureusement trop fréquent, un air méphitique, des émanations
nauséabondes, il s'empressera de le fuir pour aller chercher au dehors
des distractions trop souvent dangereuses... Les liens se relâchent, les
vices sont encouragés et le désordre se multiplie...» La loi sera votée
à l'unanimité, et bien que limitée dans ses effets, elle fera date comme
l'une des premières lois sociales et la première portant le sceau des
rénovateurs hygiénistes. Plus qu'une avancée vers davantage de progrès
social, elle sera le signe d'un moment de fébrilité de la bourgeoisie,
prête à concéder des miettes de peur de perdre l'essentiel du gâteau.
Les révoltes populaires font trembler les pouvoirs, d'une pandémie à
l'autre, souvenons-nous de la leçon...
David (UCL Grand-Paris sud)
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1832-L-epidemie-de-cholera-peur-bleue-de-la-bourgeoisie
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