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(fr) Organisation Communiste Libertarie (OCL) - DOSSIER Où va le féminisme? (Première partie)
Date
Fri, 25 Oct 2019 21:55:08 +0100
Depuis que le mouvement de libération des femmes (MLF) a disparu en
France, à la fin des années 1970, le féminisme a gagné en audience
auprès des institutions mais beaucoup perdu en capacité de mobilisation
dans la rue. Il produit actuellement des analyses universitaires bien
plus que militantes, suscite des pratiques individuelles bien plus que
collectives; et, trop souvent, sa finalité semble davantage d’intégrer
les femmes à la société, en luttant contre le sexisme et les inégalités
économiques avec les hommes, que d’en finir avec l’ordre établi. Comment
en est-on arrivé là? ---- Aujourd’hui comme hier, il faut bien sûr
multiplier les mobilisations pour le maintien du droit à l’avortement
partout dans le monde, car c’est toujours sur la libre disposition de
leur corps, ainsi que sur leur indépendance économique, que repose
l’indépendance des femmes. De même, pour parvenir à vivre dans la
société existante quand on est une femme, il faut se battre notamment
contre les discriminations et les comportements sexistes. Néanmoins, la
condition d’une véritable émancipation sociale demeure la disparition du
système patriarcal et capitaliste. ---- En 1949, Simone de Beauvoir
dénonçait dans Le Deuxième Sexe l’oppression féminine mais ne proposait
aux femmes qu’une voie individuelle pour se libérer: adopter le modèle,
dit « universel », des hommes pour leur propre usage. Dans les années
1970, les militantes du MLF – qui appartiennent à la « deuxième vague »
féministe (1) – ont au contraire pensé leur révolte en termes de lutte
collective, tout en l’appuyant sur le vécu de chacune. Cependant, deux
idées contradictoires avaient cours dans leurs rangs. D’une part, le
refus d’une nature féminine mais l’affirmation d’une « différence » par
rapport aux hommes, une spécificité qui était source de fierté et qui
donnait aux femmes le droit d’exister en tant que personnes (2). D’autre
part, le rejet du modèle masculin dominant comme seule représentation de
l’humain et le désir d’en finir avec les rôles imposés à la fois aux
femmes et aux hommes par le patriarcat, donc socialement construits.
Il a découlé de cette contradiction une première scission du MLF entre
un courant essentialiste qui niait l’existence des rapports sociaux et
un courant matérialiste qui niait tout fondement naturel à la
répartition des tâches selon les sexes. La querelle a conduit soit à
définir à nouveau les femmes, avec Antoinette Fouque et Psychépo, par la
maternité; soit à les tenir, avec Christine Delphy et Questions
féministes, pour une « classe de sexe » assujettie à celle des hommes
sur une base économique – le travail domestique et l’élevage des enfants.
Une seconde scission s’est ensuite effectuée à l’initiative de certaines
lesbiennes, ces dernières s’autoproclamant avant-garde du mouvement –
avec Monique Wittig qui, en 1976, écrivit dans l’article « The Category
of Sex »: « Ce qui fait une femme, c’est une relation sociale
particulière à un homme (…), relation à laquelle les lesbiennes
échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles. »
Ce fut la fin du MLF, dont le cadavre fut récupéré par des sphères
académiques sous l’emprise des universités américaines, pour un
embaumement dans une réflexion théorique de plus en plus éloignée du
quotidien féminin.
La dérive vers un individualisme peu compatible avec les luttes sociales
Au début de cette même décennie s’était développé aux Etats-Unis un
mouvement féministe sur l’affirmation que « le personnel est politique
», et l’idée qu’en racontant leur expérience personnelle les femmes
parviendraient à une prise de conscience susceptible de mobiliser
suffisamment pour renverser l’ordre établi. La contestation massive qui
existait à l’époque, à travers entre autre la lutte contre la guerre du
Vietnam, permettait en effet de croire en cette possibilité.
Aux Etats-Unis aussi, le féminisme recelait des tendances diverses, mais
celles-ci débattaient moins des relations entre culture et biologie que
du séparatisme politique et personnel: les femmes devaient-elles
s’organiser ou vivre en dehors des hommes? S’engager contre la guerre en
combattant tout à la fois le patriarcat et l’impérialisme ou se
cantonner à des questions spécifiquement féminines?
Il y avait, en particulier, un courant radical à la recherche de
profondes transformations sociales pour mettre fin à l’oppression des
femmes, et un courant libéral qui, avec la National Organization for
Women, voulait l’égalité des femmes dans l’arène politique. Les «
radicales » s’opposaient à ce combat, qu’elles jugeaient opportuniste et
bourgeois; mais leurs forces faiblirent dans les années 1970, tandis que
des mesures de discrimination positive en faveur des femmes étaient
adoptées par le Congrès grâce à la convergence des mouvements pour les
droits civiques et des mouvements de femmes. Ces mesures eurent entre
autres effets, dans le domaine éducatif, l’accroissement soudain du
nombre de femmes recrutées à l’Université. Celles-ci firent des women
(puis gender puis subaltern) studies leur spécialité, et elles
appartiennent au féminisme radical actuel. Mais, de même que leurs
collègues, elles jouent à fond le jeu de l’institution pour réussir,
avec en conséquence une autopromotion et une surenchère constantes dans
l’innovation théorique, ainsi qu’une certaine tendance au dogmatisme.
Dans cette logique, les féministes universitaires ont très vite adhéré
aux thèses postmodernes (voir l’encadré), ce qui les a conduites à
privilégier l’hétérogénéité et l’individu sur l’unité et le collectif.
Un choix préjudiciable aux luttes sociales, quelles qu’elles soient,
mais particulièrement dans le contexte américain des années 1980, lequel
était devenu bien moins favorable à une subversion sociale, avec l’arrêt
de la lutte antimilitariste (la guerre du Vietnam s’étant terminée en
avril 1975) et le retour en force des idées conservatrices.
Une intense campagne idéologique – que dénonça en 1991 Susan Faludi dans
Backlash: la guerre froide contre les femmes – a en effet été menée
alors par les tenants de l’ordre contre les féministes. Celles-ci
étaient censées avoir obtenu l’émancipation des femmes: que
veulent-elles donc encore?! serinèrent les médias. Les discriminations
en raison du sexe étaient selon eux pour ainsi dire éradiquées; les
femmes, quasiment à égalité avec les hommes, parvenaient à harmoniser
carrière (on reviendra sur cette notion dans la troisième partie de ce
dossier), famille, vie sexuelle et amoureuse. Bien plus, les féministes
étaient allées trop loin, et avaient par leur action modifié
irréversiblement les relations hommes-femmes: les premiers avaient
maintenant tendance à adopter une rhétorique « victimaire » tout en
essayant désespérément de retrouver une identité perdue; les secondes
voyaient leur indépendance se muer en solitude, leur réussite
professionnelle s’effectuer au détriment de la maternité voire du
bien-être de leurs enfants, et l’égalité au travail les obligeait à des
efforts qui les conduisaient à autant d’échecs professionnels. Etc.
Cette énorme propagande incita tant à critiquer le féminisme qu’à
revaloriser les standards de la féminité, tandis qu’émergeait un
mouvement de masse anti-avortement pour une large part composé de femmes.
La « deuxième vague » combattit tous ces mensonges, mais les conflits
idéologiques et politiques se multiplièrent en son sein, entre
hétérosexuelles et lesbiennes, entre femmes de la classe ouvrière et de
la classe moyenne… et, surtout, des groupes marginalisés ou dont la
différence avait été gommée au profit d’une « condition féminine » posée
comme universelle commencèrent à faire entendre leur voix. Sous
l’influence de militantes du Black feminism, qui reprochaient à la
théorie féministe de concerner seulement les Blanches et d’ignorer
certaines réalités de « race » et de classe – tel le confinement de la
majorité des Noir-e-s dans les travaux de service, qui montrait la
profonde imbrication de ces deux rapports sociaux –, la critique de
l’oppression céda la place à la déconstruction de la catégorie « femmes ».
Après 1985, la « deuxième vague » déclina. A l’instar du mouvement Black
Is Beautiful pour la communauté afro-américaine, une partie des
féministes se tourna vers l’affirmation de la féminité et des valeurs
féminines tout en menant des campagnes contre la violence ou la
pornographie qui reflétaient souvent un moralisme hérité du puritanisme
anglo-saxon. D’autres s’orientèrent vers la spiritualité en assurant
que, par leur supériorité éthique, les femmes étaient porteuses
d’enrichissement, de coopération et de paix; l’écoféminisme, qui connaît
présentement une certaine vogue en France, s’inscrit dans cette lignée
essentialiste (on y reviendra dans la deuxième partie de ce dossier).
Mais, surtout, apparut une « troisième vague » féministe (étiquetée
comme telle dans les années 1990 en dépit de sa diversité), et une bonne
part de ses représentantes à l’Université promurent les analyses
intersectionnelles. La catégorie « femmes » devint dépendante de toutes
les différences d’ordre matériel et culturel existant entre les femmes
(« race », classe, ethnie, orientation sexuelle, contexte socioculturel…).
Des militantes de la « deuxième vague » critiquèrent cette démarche
comme étant source de divisions néfastes pour le mouvement féministe;
mais celles de la « troisième vague », souvent plus jeunes, pensaient
que c’était la seule manière valable d’appréhender la réalité des femmes
– et elles l’ont emporté. Aujourd’hui, aucune polémique n’est menée
contre les intellectuelles féministes de ce courant, que ce soit pour ne
pas se disputer publiquement entre féministes, par désintérêt pour leurs
productions ou par crainte d’être traité-e d’antiféministe; de ce fait,
les analyses féministes ne paraissent provenir que de ce courant.
Les « troisième vague » ont de multiples centres d’intérêt: l’accès des
femmes à l’éducation, l’accentuation de la pauvreté au féminin, les
violences domestiques, les effets du racisme, les troubles alimentaires,
l’accès inéquitable à Internet selon les sexes, l’environnement,
l’altermondialisme, le sida, la santé sexuelle des femmes, les problèmes
soulevés par l’avènement des techniques de reproduction médicalement
assistée… mais ces questions sont en général abordées sur le plan
personnel. Même quand elles se préoccupent d’injustices sociales, ces
féministes investissent peu dans les formes collectives d’action (plutôt
que de descendre dans la rue contre les publicités sexistes, par
exemple, elles utilisent l’espace médiatique ou Internet). Et, qu’elles
militent autour des enjeux de la sexualité ou de l’esthétique
corporelle, il s’agit de valoriser sa différence (en se livrant par
exemple dans des autobiographies) et d’acquérir un statut à soi sans en
référer à une quelconque catégorie. On est ainsi arrivé à une
dissémination du concept d’identité politique, voire du concept
d’identité en général puisque celle-ci est toujours avancée à un niveau
individuel.
On peut modifier les identités sexuelles sans perturber le système en place
A partir des années 1980, on a également assisté en France à un retour
de l’ordre moral (3) et à une remise en cause des acquis des années 1970
(qui avaient été obtenus grâce aux brèches ouvertes par Mai 68). Une «
troisième vague » féministe centrée sur l’idéologie de l’individualisme
et sur une éthique de l’hétérogénéité y est aussi apparue, mais plus
tard qu’aux Etats-Unis – sans doute parce que l’ex-courant « lutte de
classe » du MLF a longtemps servi de pare-feu. En revanche, dans tous
les discours féministes ou prétendus tels, un nouveau concept venu des
universités américaines a rapidement triomphé: gender. Il a remplacé le
« sexe social », qui avait été défini sur la base du « On ne naît pas
femme, on le devient » beauvoirien, et que les femmes du MLF visaient à
modifier par l’action politique. A la différence du « sexe biologique »,
ce « sexe social » renommé « genre » n’est pas une donnée déterminée à
la naissance, on le sait, puisqu’il est construit par le biais des
stéréotypes sexuels de la masculinité et de la féminité inculqués tant
dans la famille qu’à l’école. Comme l’apprentissage des rôles sexués et
la division sociale qui en découle s’inscrivent dans un rapport de
domination des hommes sur les femmes, étudier le genre aide à «
dénaturaliser » les inégalités entre les sexes et à comprendre la
construction sociale des rôles « masculin » et « féminin ».
Cependant, les milieux universitaires américains de l’ère postmoderne ne
s’en sont pas tenus là: ils ont contesté la distinction entre le sexe et
le genre: Judith Butler (voir l’encadré), avec Trouble dans le genre
(paru aux Etats-Unis en 1990), a affirmé en s’appuyant sur une « théorie
queer » que le sexe lui-même était un construit social – elle a été
suivie en France notamment par Christine Delphy.
A cette même période, une minorité du mouvement homo américain très
active dans la lutte contre la pandémie de sida (qui avait commencé à la
fin de la décennie 1970) se revendiquait queer (4) et défendait un
engagement politique « contre toute forme d’exclusion et d’oppression »,
convaincue que « la révolution c’est maintenant ». Elle s’opposait aux
courants homosexuels dominants – à la soif de respectabilité de certains
gays comme à la revendication de droits par la « communauté » LGBT – et,
par son côté décapant, elle renouvelait la critique de la sexualité et
de la société. Mais à partir de 1993, dans le même temps où le queer
acquérait une popularité, il a perdu son caractère militant et subversif
pour être lui aussi régurgité par les sphères académiques dans une sauce
postmoderne.
Avec la théorie qui en a été tirée, exit toute généralisation, donc tout
point de vue humainement situé (5); et exit la recherche d’une vision
globale de l’Histoire – celle-ci étant réduite à l’élaboration de «
grands récits » parfois contestables. La réalité a été désagrégée en une
multitude de formes de pouvoir et d’hégémonie; l’action collective
susceptible de transformer cette réalité a été divisée en une multitude
de pratiques déconnectées des conflits de classe. Loin de s’intéresser
aux femmes réelles, vivant dans un monde mixte, ou à la lutte contre la
domination masculine, un nouvel avant-gardisme intellectuel a insisté
sur les exceptions à la bipolarité entre les sexes, en reprochant aux
mouvements féministes et homos des années 1970 de s’être centrés sur les
questions d’identités collectives constituées, de catégories
d’opposition binaires « dépassées » voire « essentialistes ». Et il a
articulé le genre ou la sexualité non tant avec les classes qu’avec les
« races », ou encore de multiples autres oppressions (âge, validité…).
En France, on constate ainsi depuis des années, dans les milieux
universitaires mais aussi militants, l’influence grandissante des
approches intersectionnelles ou « décoloniales » – ces dernières posant
avec insistance la question de la « diversité », sinon de la franche «
dualisation » de la catégorie « femmes », avec pour paradigme la «
patronne » assez aisée et à l’emploi valorisant, blanche ou « du Nord »
et « sa » domestique racialisée, migrante « du Sud » et peut-être sans
papiers. A partir de là, le destin collectif des femmes – cette fameuse
« condition féminine » fondée sur le travail domestique et la
reproduction sociale – a-t-il un avenir? Françoise Picq s’en inquiétait
déjà en 2010 (6): « Cette insistance mise sur le brouillage des
frontières, sur les exceptions à la bipolarité entre les sexes, la
contestation radicale des identités de sexe ne risque-t-elle pas, en
faisant disparaître “les femmes” comme groupe, d’enterrer le féminisme
comme projet politique? ».
Quoi qu’il en soit, comment la « subversion » des identités genrées
pourrait-elle suffire à abattre l’organisation économique et sociale qui
perpétue à la fois l’oppression des femmes et l’exploitation de classe?
S’il est important pour son épanouissement personnel de se remettre en
question, en interrogeant sa sexualité, son rapport au pouvoir, etc., on
ne modifiera pas les fondements de la société par des actions
individuelles. Offrir pour Noël à ses proches des cadeaux contredisant
leur genre (7) ne change rien à la consommation effrénée qu’entraîne
l’approche des « fêtes », ni à la pratique devenue courante chez les
adeptes d’internet de poster des images de produits (« dégenrés » ou
non) avec en lien la pub permettant de les acquérir! Car, loin d’être
dangereuse pour le système marchand, la simple « dénonciation » des
rôles sociaux imposés est recyclable et récupérable par lui. Il peut
multiplier à l’infini les espaces « non mixtes » de personnes
discriminées (de la piscine pour femmes âgées au bistrot pour gros
barbus); les « choix de vie » que celles-ci revendiquent deviennent
simplement des « choix d’achat », source de nouveaux profits.
De même, viser l’égalité entre les sexes par une meilleure intégration
des femmes dans les sphères supérieures ne peut contribuer qu’au
maintien de l’ordre établi, d’autant que l’Etat ne cesse de renforcer
son dispositif sécuritaire. La fin du patriarcat implique le
bouleversement de ses structures mais aussi la disparition du
capitalisme, ces deux systèmes n’étant pas aménageables. Or considérer,
comme le font les postmodernes, que le pouvoir est partout ou que
l’idéologie est un brouillard auquel on ne peut échapper, tenir un
discours moraliste plutôt que politique vient contrecarrer pareil objectif.
L’exploitation économique et l’oppression féminine, des questions
distinctes mais indissolublement liées
S’attaquer au seul capitalisme ne suffit évidemment pas non plus à
briser la domination masculine, car celle-ci lui est antérieure: si
personne n’a jusqu’ici réussi à dater son apparition, on sait que la
division sexuelle du travail est un trait universel et majeur des
sociétés primitives. Dans tous les types d’économie observés et à tous
les degrés du développement social, ce sont les hommes qui détiennent
l’essentiel, sinon la totalité, des fonctions politiques et militaires.
Les femmes sont placées en position d’infériorité, et leur condition ne
s’améliore un peu que dans la mesure où elles participent aux travaux
productifs, ou encore au contrôle de la distribution (marchande ou non)
de leurs propres produits.
L’origine de la subordination féminine se trouve donc dans la division
sexuelle du travail et dans le monopole masculin de la chasse et des
armes. Et elle a perduré parce que, jusqu’à l’époque contemporaine,
aucune organisation économique n’a remis en cause ces rôles sociaux
différents et inégalement valorisés. Avec l’essor du capitalisme, les
progrès considérables de la productivité et de la technique ont accentué
les travaux spécifiques et les métiers réservés soit aux hommes, soit
aux femmes; et, de nos jours, les inégalités entre les sexes perdurent –
concernant les salaires, l’évolution professionnelle, les tâches
domestiques, les violences conjugales, les attitudes sociales, la
représentation politique…
Dès les années 1970, les féministes du courant « lutte de classe » dans
le MLF avaient pris en compte les paramètres de classe, sexe et « race »
pour viser l’émancipation sociale, mais sans déprécier l’importance du
facteur classe et toujours dans l’optique d’un changement
révolutionnaire. Du fait des mobilisations en cours à cette époque,
pareille démarche constituait un enrichissement pour la lutte, qui
restait collective et dirigée contre l’ennemi – les systèmes
d’exploitation et d’oppression. A l’heure actuelle, ces paramètres
servent plutôt à semer la zizanie dans les groupes militants. Au lieu de
s’affirmer contre toutes les discriminations comme naguère, on y décline
celles-ci une à une (à l’instar d’une partie de la classe politique et
des médias) au risque d’en oublier. Qui plus est, des personnes ou des
groupes deviennent ce faisant une de ces catégories si décriées. Par
exemple « les LGBT » (« QI+ » ou non), désigné-e-s sous ce sigle comme
s’ils et elles formaient un tout homogène sur la seule base de leurs
préférences ou identité sexuelles. A la vérité, non seulement on y
trouve toutes les classes sociales, mais la Fédération LGBT qui regroupe
des homos, lesbiennes et trans a une ligne assez conservatrice. On l’a
vu avec le mariage homo, qu’elle réclamait contre l’avis d’autres
homosexuel-le-s.
Le critère « classe » est quant à lui de moins en moins pris en compte,
jusque dans les collectifs ou organisations d’extrême gauche et
libertaires; ou alors l’exploitation économique est tenue pour une
oppression parmi d’autres, comme si elle n’avait plus d’importance, ou
qu’une importance relative. Toni Morrison le remarquait elle-même, dès
février 2007, dans une interview au Fenwib Digest, « derrière les
tensions raciales aux Etats-Unis se cache, en réalité, un conflit entre
classes sociales: et c’est un tabou beaucoup plus grand que le racisme ».
Alors que les inégalités sociales ne cessent de croître, il paraît
pourtant impossible d’ignorer la lutte des classes. Le mouvement des
gilets jaunes montre largement son actualité – et, rappelons-le, ce
mouvement a été pendant des mois composé de femmes bien plus nombreuses
et actives que dans les autres mobilisations sociales… ou les cortèges
féministes du 8 mars. Elles y étaient présentes en tant que
travailleuses (souvent précaires, exerçant les métiers les moins payés
et avec des temps partiels imposés) et en tant que mères de famille
(gérant les revenus du foyer et élevant fréquemment seules leurs
enfants). Voilà qui devrait peut-être interpeller certaines
universitaires et militantes féministes?
Vanina
(Suite de ce dossier dans le prochain CA)
1. La « première vague » est celle des mouvements pour l’obtention des
droits civiques qu’ont connus les pays occidentaux de 1850 à 1945.
2. La libre disposition de son corps par l’accès à la contraception et à
l’avortement permet d’être femme sans être mère, et la maternité n’est
ni un instinct ni un destin.
3. Voir par exemple « Corps, rapports sociaux et ordre moral » sur
kropot.free.fr.
4. En adoptant ce terme insultant (« bizarre », « tordu ») pour lui
donner une connotation positive. Sur l’histoire du queer, on peut lire «
Homo 12/ Queer, ou l’identité qui refuse d’en être une », sur
ddt21.noblogs.org.
5. Tout n’étant à leurs yeux que constructions socioculturelles, les
postmodernes ignorent de plus le concept d’aliénation, car celui-ci
présuppose une nature humaine.
6. Dans Réfractions n° 24, mai 2010: « Des féminismes en veux-tu, en
voilà ».
7. Exemple cité dans « Comment le genre trouble la classe », Agone n°
43, 2010 – un numéro dont cet article tire une partie de ses sources.
ENCADRÉ 1
La pensée postmoderne, une idéologie à combattre!
L’abandon progressif de l’idée de révolution par les mouvances
contestataires et intellectuelles en Occident est dû à la vague «
néolibérale » qui a suivi l’effondrement du bloc de l’Est en 1991. Les
théories postmodernes qui se sont répandues alors en Occident via
l’Université ont beaucoup contribué à valoriser les initiatives
contre-culturelles style « mode de vie » aux dépens de l’action sociale
et militante, en écartant la référence historique et théorique que
représentait le monde ouvrier et en perdant de plus en plus de vue les
classes populaires.
Le postmodernisme (ou poststructuralisme) a émergé en France – porté par
des penseurs tels que Jacques Derrida et Michel Foucault, et avec comme
références Heidegger ou Nietzsche – dans le contexte particulier de
l’après-Mai 68, avec une critique de l’humanisme mais aussi d’un
marxisme jusque-là hégémonique dans la pensée politique. Cependant,
c’est d’abord aux Etats-Unis qu’il a pris son essor. Jusqu’au milieu des
années 1980, il y a désigné des mouvances architecturales et artistiques
d’avant-garde, puis les groupes les plus radicaux des mouvements
antinucléaire, homo et écoféministe, ou encore des milieux
universitaires échaudés par l’échec des révolutions « communistes ».
Ce courant de pensée rejette la conception moderne de l’humanité (ou de
l’Homme) comme point focal de l’Histoire et de la philosophie, ainsi que
la notion d’un sujet rationnel, autonome, capable d’actions et de choix
conscients. Il accorde une grande importance aux structures, notamment
linguistiques, et aux modèles de pensée, d’organisation sociale et de
comportement que celles-ci déterminent, mais pour en souligner le
caractère instable et temporaire. Ainsi, la réalité est « précaire »,
plurielle et morcelée parce qu’elle se confond avec les interprétations
subjectives qu’on en fait; de même, l’identité se réduit à des positions
d’identité, autrement dit des notions provisoires et en devenir,
fragmentées et éclatées.
Les héritages des Lumières et de la pensée rationnelle sont pointés
comme autant de normes imposées partout dans le monde par l’impérialisme
de l’homme blanc occidental hétérosexuel. Or, s’il est vrai que les
Lumières ont servi à présenter le colonialisme et le patriarcat comme
légitimes et bénéfiques y compris pour les peuples de couleur et pour
les femmes, le féminisme et les mouvements antiesclavagistes et
pacifistes n’en ont pas moins émergé au XIXe siècle dans leur sillage.
Cantonnés aux campus universitaires et aux tribunes médiatiques, les
adeptes du postmodernisme écartent souvent les classes sociales et les
intérêts économiques qu’elles représentent pour se focaliser sur les
rapports de « race »; ou encore sur les rapports de genre, mais
fréquemment réduits aux oppressions particulières, c’est-à-dire au
détriment des femmes, et en particulier de celles qui appartiennent aux
classes populaires. On est ainsi passé des luttes contre la hiérarchie
et la domination, qui portaient en elles la critique radicale des
rapports de pouvoir, à une valorisation du moi-sujet et à une
problématique de l’identité tournée sur une recherche obstinée de la
différence.
On le voit, le postmodernisme a surgi à point nommé pour les tenants du
système: il vise à nous convaincre d’accepter comme une fatalité une
société dont toutes les sphères et tous les aspects de la vie seront
dominés par les échanges commerciaux, et dans laquelle il n’y aura plus
de fondement pour la critique et la résistance… et de nous y fondre en
nous consacrant au consumérisme et à une libération personnelle plutôt
que collective.
ENCADRE 2
La pensée hyperconstructiviste de Judith Butler
Que ce soit dans les sphères médiatiques et académiques ou dans certains
milieux radicaux, la philosophe Judith Butler est devenue la référence
obligée de toute revendication portant sur les discriminations de sexe
et de genre, même si elle définit peu les concepts qu’elle utilise (elle
ne distingue par exemple guère les caractéristiques sexuelles et
l’identité sexuelle) et recourt à un jargon des plus hermétiques.
La sexualité, en tant qu’ensemble d’activités sexuelles pratiquées par
un individu, à but reproductif ou non, relève à la fois du genre et du
sexe, elle a donc des origines à la fois biologiques et socialement
construites. Mais, pour Butler, la distinction entre mâle et femelle
résulte, comme celle entre les rôles d’homme et de femme, d’une
construction « performative » qui passe par le langage. Dans la lignée
de Michel Foucault, pour qui le corps n’est pas sexué avant d’être
déterminé par un discours qui l’investit d’une idée de sexe naturel,
elle affirme que la parole ne se réduit pas à la signification, mais
constitue aussi une action: on donne réalité à quelque chose en
l’énonçant. On n’est ainsi pas doté-e d’un genre parce qu’on est
biologiquement un mâle ou une femelle, mais parce qu’on vise à
correspondre à l’idéal normatif de la masculinité ou de la féminité. Par
exemple, parce qu’on me déclare fille sans me laisser d’autre choix, je
mets une robe et, ce faisant, je réalise un genre qui est
rétrospectivement considéré comme naturel puisqu’il me définit et que je
m’y conforme.
Mais, selon Butler, le sexe lui-même se construit en fonction d’un genre
socialement assigné. Elle s’appuie pour sa démonstration sur les
drag-queens, estimant que leurs performances révèlent le caractère non
naturel des normes sexuelles et peuvent de ce fait perturber la
sexuation des corps imposée par l’ordre dominant. Remettre en cause les
identités non seulement masculine et féminine mais mâle et femelle
servirait la lutte contre l’homophobie. Il n’est néanmoins pas tellement
sûr que la « performativité » ait des effets pratiques contre
l’hétérosexualité en tant que système social répressif.
Enfin, en se fondant sur l’infime minorité de personnes dont le sexe
génital est démenti par les chromosomes, Butler considère que la
sexualité elle-même est un effet des relations de pouvoir et des
pratiques culturelles. Il reste néanmoins difficile de démontrer que les
différences sexuelles sont le seul fait d’une construction sociale, et
que nos pratiques sexuelles sont linguistiquement déterminées.
http://www.oclibertaire.lautre.net/spip.php?article2307
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