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(fr) France, Alternative Libertaire AL Septembre - Entretien, SIlvia Federici (féministe): «Le capitalisme sépare et isole les femmes» (en, it, pt)
Date
Mon, 26 Sep 2016 16:15:51 +0300
Comment le capitalisme est-il possible? À question marxiste, réponse de Marx: par le
travail non payé. La force de travail de l'ouvrier est exploitée, et la richesse qu'elle
produit est extorquée par le capitaliste. Comment le travail de l'ouvrier est-il possible?
À question féministe, réponse de Silvia Federici: par le travail domestique des femmes qui
permet à l'ouvrier de reproduire chaque jour sa force de travail. Dans un entretien avec
Hourya Bentouhami, philosophe et militante d'AL, Silvia Federici revient sur la
spécificité du patriarcat au sein des sociétés capitalistes. ---- AL: Est-ce que tu peux
nous expliquer ton parcours qui va de l'étude de la chasse aux sorcières (dans «Caliban et
la Sorcière») comme ayant contribué selon toi à la première forme d'accumulation primitive
avec les enclosures[1]des femmes, à la réflexion que tu mènes aujourd'hui sur le travail
domestique et le capitalisme à une échelle globale dans ce qui s'apparente à une forme de
néocolonialisme?
Silvia Federici: Dans les années 1970, on a commencé à analyser le travail de
reproduction, le travail domestique, comme étant un terrain très important d'exploitation
des femmes et de luttes dans les sociétés capitalistes. Cela nous a conduits à penser que
les femmes doivent mener une lutte autonome et pas seulement assurer une fonction de
soutien des luttes des hommes. À partir de cette perspective, j'ai commencé à penser
l'histoire de la construction du travail domestique, et cela m'a conduite à repenser
l'histoire de l'accumulation primitive. J'ai compris très tôt qu'il était important de
comprendre ce qu'est le capitalisme, comment il s'est développé, et comment s'est
transformé le travail que l'on appelle dans la société moderne travail de reproduction -
surtout le travail ménager. Je me suis donc intéressée aux sociétés précapitalistes pour
comprendre comment ce travail a été transformé, surtout en Europe. J'ai alors étudié le
Moyen Âge. Et j'ai compris que dans la société féodale qui était une société très
opprimante en raison de la servitude (qui était un système d'exploitation très fort), le
serf dans beaucoup de cas avait en guise de salaire accès à la terre, donc à des moyens de
reproduction[2].
Dans la plupart des cas, ils travaillaient la terre d'une façon communautaire. Les
propriétaires terriens (les seigneurs) leur donnaient une parcelle de terre pour se
reproduire. J'ai étudié ce système de reproduction communautaire et j'ai constaté qu'il
était le terrain d'une grande solidarité, où se construisaient des liens forts. J'ai
surtout vu que les femmes dans ce système étaient moins isolées et moins dépendantes des
hommes que dans le système capitaliste. Moins dépendantes que la ménagère de la vie
moderne, séparée, isolée dans sa maison, souvent sans ressources, alors que la femme du
village médiéval est une femme qui est toujours avec d'autres femmes. Ces recherches m'ont
par là-même permis de saisir également le rôle des femmes dans les luttes précapitalistes
contre le pouvoir féodal. C'est en me penchant sur les luttes auxquelles participaient les
femmes et qui se sont développées contre le système féodal que j'ai commencé à comprendre
le développement du capitalisme: celui-ci n'a pas été un facteur d'évolution interne du
système social, mais a opéré à la manière d'une contre-révolution.
AL: Bien qu'il y ait toujours eu de la violence sociale, tu insistes sur la spécificité de
l'exploitation capitaliste.
Silvia Federici: Oui, je ne veux pas idéaliser le Moyen Âge, ni les rapports entre hommes
et femmes à cette époque. J'ai toujours peur de faire de grandes généralisations parce que
d'une société féodale à l'autre il y a aussi beaucoup de différences. Cependant, ce qui
m'a donné à penser réside dans ce constat: dans une communauté où les biens du travail
sont en partage dans un régime communautaire, la manière dont femmes et hommes
travaillaient avait un caractère plus fort de coopération. Ces régimes communautaires ont
créé des relations et des possibilités: à la fin du Moyen-Age, avant la grande croissance
et les hérésies religieuses, qui étaient en fait des hérésies sociales, il y avait une
alternative au système féodal et au début d'une société marchande. On observe des guerres
paysannes: à la fin du XVe siècle, elles ont rassemblé des milliers de personnes. Par
exemple, en Espagne, les paysans allaient d'un village à l'autre pour recruter lors des
jacqueries. Ils avaient une grande expérience des armes.
J'ai également constaté qu'il y avait une différence dans la position des femmes par
rapport à la situation capitaliste: ce que j'ai aussi remarqué plus tard en étudiant les
sociétés précapitalistes, précoloniales en Afrique, où il y avait une division sexuelle du
travail. Les femmes cultivaient, faisaient un type particulier de culture, elles avaient
leur propre récolte; et les hommes avaient la leur de leur côté. Il y avait donc une
différenciation sexuelle, mais qui ne mettait pas les femmes dans une position de
faiblesse parce que cette différenciation s'accompagnait d'une grande coopération entre
les femmes elles-mêmes, notamment dans le domaine agricole. Pour te donner un exemple, en
1929 au Nigeria, dans la ville où j'étais près du delta du Niger, qui est devenue célèbre
en raison de la «guerre des femmes» qui s'y est déroulée, les Anglais qui avaient colonisé
la région taxaient déjà la récolte des hommes. Mais cette année-là, ils ont décidé de
taxer aussi la récolte des femmes, ce qui a eu pour effet de voir les femmes se soulever.
Elles ont commencé à s'organiser dans toute la région, 10 000 femmes ont convergé sur Aba,
libéré des prisonniers, organisé un siège de la cité administrative. Pris par surprise,
les Anglais durent reculer. C'est à cette lutte que l'on date l'entrée des femmes
africaines dans l'anthropologie anglaise. On s'est rendu compte qu'à partir de cette forme
de travail agricole communautaire, les femmes étaient extrêmement organisées. Cela a été
décrit dans ce beau livre de Wole Soyinka (Aké - Les années d'enfance), sa mère s'était
engagée dans le mouvement à cette époque où lui-même n'était encore qu'un petit garçon. La
mère de Fela aussi y avait pris part. C'est un épisode extraordinaire.
AL: Cela rappelle les analyses de cette féministe nigériane, Oyeronke Oyewumi, auteure de
The Invention of Women. Elle a travaillé sur les Yoruba. Elle explique dans son livre
qu'on a importé une certaine manière de voir le genre à partir des pays occidentaux, et
que cela ne correspond pas à la réalité namibienne: il y a des différences sexuelles mais
elles ne fonctionnent pas nécessairement dans une matrice d'exploitation et de domination.
Silvia Federici: À partir du moment où la différence sexuelle se convertit en exclusion,
en hiérarchie, alors elle doit être combattue. La différence sexuelle en soi ne signifie
pas l'oppression: du moins lorsque l'on se situe dans une société non capitaliste. Par
exemple, les féministes nigérianes ont parlé de cette institution dans la famille au sein
de laquelle la femme infertile pouvait trouver une forme de compensation sociale à son
infertilité. Si elle ne pouvait pas procréer, elle pouvait se marier avec une autre femme,
laquelle pouvait avoir un enfant avec un «serviteur».
En revanche, le capitalisme produit de la différence, y compris de la différence sexuelle.
Ce que le capitalisme fait c'est séparer, isoler. La chasse aux sorcières n'a pas
seulement signifié l'assujettissement des femmes, mais aussi la séparation des femmes
entre elles. Elle a fait du rassemblement des femmes, de l'amitié entre femmes une chose
dangereuse. Il y a eu une période dans le capitalisme où une femme devait avoir peur
d'être vue avec d'autres femmes, parce qu'elle pouvait être suspectée de participer à une
secte de sorcières. Cela s'est accompagné d'une législation qui a progressivement interdit
aux femmes de se réunir avec d'autres femmes, de se promener seules dans la rue,
d'accompagner leurs amies. Et aussi d'avoir des relations fortes avec leur famille après
le mariage. En Angleterre par exemple on considérait que les femmes, une fois mariées,
devaient construire une nouvelle loyauté envers le mari. La chasse aux sorcières a donc
été fondamentale pour restructurer les rapports au sein de la famille dans trois
directions: la relation de la femme avec la famille, avec les autres femmes et avec les
enfants. La solidarité entre les femmes est attaquée: toute solidarité doit se concentrer
dans la famille nucléaire autour de la figure du mari.
La femme doit y consacrer toute son énergie. L'intense socialité féminine qui existait
au Moyen Âge est attaquée. Ensuite, la solidarité avec les parents et la famille d'ou tu
viens est également attaquée. Tu dois être solidaire avec tes enfants. Cela se traduit
aussi dans la politique de la procréation. Au Moyen Âge, lorsque la vie de la mère était
en danger, on sauvait la mère. À partir de l'industrialisation, c'est l'inverse: on
sacrifie la mère. Avec la professionnalisation de la médecine, on donne la priorité à
l'enfant. On peut expliquer cela à partir du marché du travail: l'enfant, la nouvelle vie
est le nouveau travailleur productif, les personnes âgées peuvent être abandonnées parce
qu'elles ne sont pas productives; les relations avec les ami-e-s ne sont pas productives,
les relations avec le mari sont productives car elles permettent au mari de se libérer du
travail domestique. C'est cela que je vois dans le passage d'une société précapitaliste à
une société capitaliste. Naturellement il y a beaucoup de différences entres les sociétés
précapitalistes, c'est une généralisation mais ce tissu de relations communautaires des
femmes constitue un élément commun que l'on trouve en Afrique, en Europe, mais aussi en
Amérique latine, en dépit des contrastes entre ces différents modèles et expériences
historiques.
Propos recuillis par Hourya Bentouhami
Quand le capitalisme mondial oppose les femmes entre elles
Silvia Federici a également apporté une contribution précieuse aux réflexions féministes
sur la division internationale du travail à l'oeuvre depuis les années 1970. Celle-ci a
globalement fragilisé la condition des femmes, en les soumettant à des formes
d'exploitation spécifiques - les solidarités et les activités de subsistance préalables
étant rongées par l'extention des rapports capitalistes et les restructurations
néolibérales -, mais elle a aussi participé à établir ou renforcer des rapports
néo-coloniaux entre les femmes elles-mêmes, car si la production est redistribuée
internationalement, le travail reproductif l'est également. D'abord, comme elle le
rappelle, l'emploi massif d'émigrantes de pays du tiers-monde au sein des métropoles
d'Amérique du Nord, d'Europe de l'Ouest ou des pays riches du Proche-Orient a permis
d'apporter une solution coloniale au problème du travail ménager pour les femmes des
classes moyennes et supérieures. Cela laisse inchangé le statu quo entre les sexes quant à
la répartition des tâches ménagères, et les relations «servantes-madames» qui en découlent
font obstacle à toute solidarité féministe. Ensuite, il faut noter que l'important flux
international de bébés vers ces mêmes pays riches (via l'adoption et les mères porteuses),
échange qui tend parfois vers la marchandisation, reporte le poids de la procréation (les
conséquences sur le travail ou les risques de santé par exemple) sur les femmes du
tiers-monde au lieu de le faire assumer par la collectivité. Enfin, par l'intermédiaire du
tourisme sexuel ou de la prostitution de femmes émigrées, c'est la dimension sexuelle du
travail reproductif qui se trouve redistribuée. Ainsi, la nouvelle division internationale
du travail «accentue la division au sein des femmes par une spécialisation et une fixation
à des tâches qui réduisent nos possibilités de vie et introduisent parmi nous de nouvelles
hiérarchies et stratifications, mettant en danger la possibilité d'une lutte commune»[3].
Marco (AL 92)
[1]Les enclosures (clôtures, en français) à la fin du Moyen Âge en Angleterre
correspondait à l'expropriation des paysans hors des terres communales. L'expression
«enclosures des femmes» correspond à la dépossession des femmes de la maîtrise de leur
corps et de leur savoir.
[2]Les moyens de reproduction désignent chez Marx l'ensemble des moyens nécessaires non
seulement à la reproduction sexuée des travailleurs, mais également à leur propre survie,
la reproduction de leurs cellules, de leurs muscles, etc. (cela peut passer par des moyens
de production comme chez les serfs - terre, outils, bétail - ou à l'accès aux biens de
consommation nécessaires à travers le salaire comme chez le prolétariat - nourriture,
vêtements, chauffage, logement).
[3]«Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail»
(1999).
http://www.alternativelibertaire.org/?Interview-de-SIlvia-Federici-Le
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